Le crime de Chambige (1888) : entre psychologie et littérature
Résumé
Le 25 janvier 1888, quatre coups de feu retentissent dans la villa la plus cossue de Sidi-Mabrouk, près de Constantine. Peu après, la porte d’entrée est forcée. Le seul présent vivant dans la villa est le fils des propriétaires, Henri Chambige, étudiant de 22 ans, découvert blessé dans une chambre du premier étage. Sur le lit, à ses côtés, gît le corps à moitié dévêtu de Magdeleine Grille, une femme mariée de 30 ans.
Très vite, deux versions s’opposent pour l’explication de ce drame. Si Chambige reconnaît qu’il a tué madame Grille, il affirme que c’est à sa demande, car celle-ci lui aurait proposé d’être sa maîtresse puis de mourir avec lui pour ne pas survivre au déshonneur. Sous l’empire d’une passion réciproque, Chambige aurait accepté, mais il aurait manqué son propre suicide. Dans le souci de préserver la réputation d’une femme et de sa famille, le mari et la mère de la défunte se portent partie civile et soutiennent que celle-ci, de vertu irréprochable, n’a pu se donner librement à Chambige : elle aurait été hypnotisée ou droguée, puis violée avant d’être tuée.
Le meurtre de madame Grille serait donc dans un cas un double suicide raté devenu un crime passionnel et, dans l’autre, une affaire de viol sous suggestion, comme on en évoquait beaucoup en un temps où l’hypnotisme triomphait. Appelée à être jugée devant la cour d’assises de Constantine du 8 au 11 novembre 1888, l’affaire fait grand bruit parce qu’elle mobilise deux familles connues et influentes. Deux thèses, deux camps s’opposent, en Algérie comme à Paris ; mais il y a surtout, derrière la question judiciaire, une attention singulière portée à la relation entre le psychisme de l’accusé et le roman contemporain. Chambige a en effet rédigé en prison, après son crime une autobiographie dont les extraits furent publiés avant le procès. Nous voudrions montrer par l’analyse de cette affaire la profonde intrication des sciences psychologiques et de la littérature de l’époque en distinguant le temps du procès médiatique, marqué par la construction de l’accusé comme figure littéraire ; puis celui du procès pénal, qui vit la littérature mobilisée par les parties.
Nous reviendrons en conclusion sur le statut singulier des confessions de Chambige, pour montrer que le drame de Sidi-Mabrouk a connu une destinée littéraire qui s’est étendue bien au-delà de la sentence judiciaire.
Origine :
Accord explicite pour ce dépôt
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