L’autorité de l’écrit pragmatique dans la société chrétienne éthiopienne (XVe-XVIIIe s.) - HAL Accéder directement au contenu
Article dans une revue Annales. Histoire, Sciences sociales Année : 2019

L’autorité de l’écrit pragmatique dans la société chrétienne éthiopienne (XVe-XVIIIe s.)

Résumé

Between the eleventh and mid-twentieth centuries, the Christian royal power in Ethiopia produced documents recording land donations and transfers of privileges granted to religious institutions and important men of the kingdom. Although it was the only producer of written deeds, the royal authority showed little concern for the fate of these documents: it did not conserve them or endow them with any external mark of validation, and accepted modifications relatively easily. This paradox can be resolved through an in-depth study of the practices surrounding the production and preservation of this documentation. The royal power set up ad hoc committees that traveled to the provinces in order to have the acts promulgated there, or issued them from the royal camp and sent them to the institutions concerned. Both writing processes and archiving were delegated to religious institutions, whether they were direct beneficiaries of the acts or functioned as regional administrative centers. The chronological scansions of these phenomena remain difficult to trace. Nevertheless, a radical change took place from the 1720s onwards, as private individuals claimed the right to have transfers that concerned them written in the vernacular language. The stability of Gondarian society and the professionalization of scribes linked to the churches allowed them to become the notaries of their communities and to serve the interests of the lower nobility. Ethiopian bureaucracy thus escaped the monopoly of sovereign power to serve the community of landowners.
Le pouvoir royal chrétien éthiopien a produit, entre le XIe et le milieu du XXe siècle, un nombre incalculable de documents écrits témoignant des donations de terre et des transferts de privilèges accordés aux institutions religieuses et aux grands du royaume. Bien que seule émettrice d’actes écrits, l’autorité royale a accordé peu d’intérêt au devenir de ces documents : elle ne les a pas conservés, ne les dotait d’aucune marque externe de validation, acceptait relativement facilement qu’ils soient modifiés. Ce paradoxe se résout après une étude approfondie des pratiques qui permirent la production puis la conservation de cette documentation. Premièrement, le pouvoir royal mettait en place des comités ad hoc se déplaçant dans les provinces afin d’y faire promulguer les actes, ou encore les émettait depuis le camp royal (semi-nomade jusqu’au XVIIe siècle) pour les dépêcher ensuite vers les institutions concernées. Les rôles concernant la mise par écrit et la conservation étaient véritablement délégués aux institutions religieuses, qu’elles soient bénéficiaires ou centre administratif régional. Ainsi, les églises et monastères royaux formaient-ils un maillage incarnant l’autorité administrative royale sur l’ensemble du territoire. Le deuxième apport de cette enquête est de permettre de mieux comprendre le rapport au temps de ces deux instances : le pouvoir royal se donne à voir à la fois dans un temps long, avec le règne du roi biblique David comme point de départ dynastique, et les règnes de chaque rois ‑et reines‑ comme moment légitimant les actes de donation. Par contre, l’action politique est tournée vers le présent, et chaque souverain peut défaire ou confirmer ce que ses prédécesseurs avaient promulgué. La prise en charge de la mémoire, et la conservation des actes écrits, est entièrement confié aux institutions religieuses. Celles-ci peuvent alors modifier les actes écrits pour les ré-actualiser, au sens premier du terme, tout autant qu’elles peuvent négocier le contenu des actes de donation que les souverains leur accordent. Les documents royaux et leur mise en acte participent donc pleinement d’une représentation du pouvoir, qui sert autant à administrer qu’à construire l’espace politique et économique du royaume. Ce fonctionnement existe sans qu’il soit encore facile d’y percevoir des scansions chronologiques tout au long de la période médiévale, et même lorsque la cour se stabilise autour de la ville de Gondar, à partir du XVIIIe siècle. Néanmoins, un changement radical s’opère à partir de la décennie 1720, puisque les personnes privées s’arrogent le droit de faire écrire, en langue vernaculaire (amharique), leurs propres transferts de droits. Cela concerne tout particulièrement les régions proches de la ville de Gondar. Cet article s’ouvre donc sur une nouvelle hypothèse : la stabilité de la société gondarienne et la professionnalisation des scribes dans les églises ont permis à ces derniers de devenir les notaires de leurs communautés, et de servir par l’écrit les intérêts de la petite noblesse. Si on peut parler d’une bureaucratie éthiopienne, elle échappe à un moment donné au monopole du pouvoir souverain pour servir la communauté des propriétaires fonciers.

Domaines

Histoire
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Dates et versions

halshs-02424018, version 1 (26-12-2019)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02424018 , version 1

Citer

Anaïs Wion. L’autorité de l’écrit pragmatique dans la société chrétienne éthiopienne (XVe-XVIIIe s.). Annales. Histoire, Sciences sociales, 2019, 74 (3-4), pp.559-589. ⟨halshs-02424018⟩
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Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
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