L'invention de l'opinion publique européenne

Philippe Aldrin (1, 2, 3)

1 PRISME-GSPE - Politique, Religion, Institutions et Sociétés : Mutations Européennes - Groupe de Sociologie Politique Européenne
2 IEP Aix-en-Provence - Sciences Po Aix - Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence
3 Mesopolhis - Centre méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire

Created in 1973, the European Commission's Eurobarometer programme now constitutes the main - and sometimes exclusive - source of the studies on the opinions of Europeans on the integration process. Through their secondary analysis of Eurobarometer data as well as their direct collaboration to the programme, academics have played a great part in giving it a virtual monopoly over the empirical analysis of European attitudes. Despite this closeness to academic circles, the Commission's programme has never ceased to be a political instrument; first used to measure the "meteorology of opinion" for the EU's information policy, then as a forward studies tool for the agenda-setting and publicization of Community action. Retracing the double (intellectual and political) genesis of "European opinion polls", this paper shows that their basic ambivalence is sociologically rooted beyond the institutional, social and chronological coordinates of the Eurobarometer. The analysis follows the transformations of the world of EU opinion polls, which started developing in the 1950s - around Community agents, academics and polling professionals - and led to the invention of "European public opinion". In the process, another history of the role (and of the enrolment) of academics in the construction of political Europe is told.

Créé en 1973, le programme Eurobaromètre de la Commission européenne constitue aujourd'hui la source principale et parfois exclusive des études portant sur l'opinion des Européens à l'égard du processus d'intégration. Par leurs analyses secondaires des données Eurobaromètre mais aussi par leur collaboration directe au programme, les chercheurs universitaires ont largement contribué à lui assurer ce quasi-monopole d'expertise sur l'analyse empirique des attitudes européennes. Malgré cette proximité avec les milieux académiques, le programme de la Commission n'a jamais cessé d'être un instrument politique ; d'abord comme appareil de mesure de la " météorologie de l'opinion " au service de la politique d'information communautaire, puis comme dispositif de prospective au service de la mise sur agenda et de la publicisation de l'action communautaire. En retraçant la double genèse intellectuelle et politique des " sondages européens ", cet article entend montrer que leur ambivalence fondatrice trouve ses raisons sociologiques au-delà même des coordonnées institutionnelles, sociales et chronologiques de l'EB. En suivant les transformations d'un monde des sondages d'opinion transcommunautaires qui s'organise dès les années 1950 autour d'agents communautaires, de spécialistes académiques et de professionnels des sondages et qui permettra l'invention de l'" opinion publique européenne ", l'analyse rend compte d'une autre histoire du rôle (et de l'enrôlement) des scientifiques dans la construction de l'Europe politique.

Mots clés: Eurobaromètre; opinion publique européenne; sondages internationaux; Union européenne

Domaines: Science politique

Philippe Aldrin. L'invention de l'opinion publique européenne : Genèse intellectuelle et politique de l'Eurobaromètre (1950-1973). Politix, 2010, 23 (89), pp.79-101. ⟨halshs-00765692⟩