L’émergence de l’islam dans l’espace public italien: les leaders musulmans entre intégration et intégrisme - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Thèse Année : 2011

The appearance of Islam in Italian public space: Muslim leaders between integration and fundamentalism

L’émergence de l’islam dans l’espace public italien: les leaders musulmans entre intégration et intégrisme

Bartolomeo Conti
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 1086945

Résumé

Until the 1990s, the religious features of Italian Muslims were generally confined to the private sphere, as a result of the feeling shared by the overwhelming majority of migrants that their presence in the country was merely temporary, and that they will soon be returning to their home country or moving on to northern Europe. Only in the wake of the reconfiguration of the family structure, it became clearer to migrants (but also to native Italians) that they were there to stay, and that their presence was bound to inflict changes on the Italian society as well as the Muslims themselves. This is principally why, as of the 90s, some Muslims living in Italy started to assert their religion publicly, either by making official claims to public institutions and more generally to the Italian society as a whole, or by the simple fact that they constituted the root of reflection, debate and confrontation, or rather by flagging their exclusion from power, which is defined as the “making of memory and the prerogative of naming”, the “definition of space and time” and the “control over and management of economic, administrative and symbolic resources”. This work aims at describing and analysing this process and, by implication, the changes that Italian Islam has undergone over the past decade, as well as the conflicts that the public affirmation of Islam has inevitably triggered.
L’Italie est devenue pays d’immigration seulement à la fin des années 70, quand le processus migratoire a commencé à modifier en profondeur la société italienne, y compris son panorama religieux, qui s’est rapidement pluralisé, grâce notamment à la présence d’un nombre grandissant de musulmans, qui ont fait de l’islam la deuxième religion du pays. Cependant, jusqu’aux années 90, l’appartenance religieuse des musulmans est généralement restée confinée dans la sphère privée, en particulier comme conséquence de l’idée partagée par la quasi-totalité des migrants que leur présence en Italie n’était qu’une parenthèse en vue du retour dans le pays d’origine ou d’un voyage ultérieur vers le nord de l’Europe. C’est en particulier à la suite de la recomposition du foyer familial qu’il est apparu évident aux migrants, mais aussi bien aux Italiens, que désormais on n’était plus face à une présence temporaire, mais plutôt face à une présence destinée à durer et à changer ultérieurement la société italienne et les musulmans eux-mêmes. C’est là que réside l’une des raisons principales du fait qu’à partir des années 90, une partie des musulmans qui habitent dans l’espace Italie ont fait sortir l’islam de la sphère privée pour l’affirmer dans l’espace public, soit à travers une présence visible et des demandes faites aux institutions et plus généralement à la société italienne, soit à travers le fait de constituer un argument de réflexion, de discussion et de confrontation, soit, enfin à travers la conflictualisation de son exclusion du pouvoir, dans la triple acception de « création de mémoire et faculté de nommer », de « définition de l’espace et du temps » et de « contrôle et gestion des ressources économiques, administratives et symboliques ». Ce travail de recherche est la description et l’analyse de ce processus et, par conséquence, des changements qui ont eu lieux dans l’islam italien au cours de la dernière décennie et des conflits que l’affirmation de l’islam dans l’espace public a inévitablement déclenché. Il est précisément consacré à ceux qui guident la sortie de l’islam de la sphère privée en vue de son affirmation dans l’espace public, et qui revendiquent donc une place pour l’islam et les musulmans: ce sont ceux que l’on a appelé « les leaders de l’islam en Italie ». Précisément, il s’agit de ceux des musulmans qui, proclamés ou autoproclamés, ont assumé la fonction de représenter l’islam face aux institutions et à la société civile italienne, mais aussi de ceux qui détiennent le « pouvoir de la parole » à l’intérieur des mosquées. En effet, ce sont eux qui jouent un rôle premier dans la définition de ce que veut dire « être musulman » en dehors du Dar-al-Islam (la terre de l’islam) et notamment en Italie, où le migrant musulman est confronté au vide déterminé par l’absence d’institutions, comme la famille et les autorités religieuses. Au cœur de ce travail, il y a donc le « regard » des leaders de l’islam en Italie, à savoir comment, dans la nouvelle condition de personnes en diaspora, se construit leur vision d’eux-mêmes et de l’Autre Italien, de la société italienne et de l’islam en Italie, de l’Oumma (la communauté des croyants) et des relations internationales. À travers la définition et l’analyse du « regard » des leaders de l’islam en Italie, nous souhaitons explorer comment est refaçonnée leur identité à la suite du fait migratoire et de leur installation dans un pays où l’islam est minoritaire, à savoir l’Italie. Notre but est donc de comprendre les différentes formes qu’assume l’identité de ceux qui font de l’islamité son pilier et qui décident de la revendiquer ouvertement dans l’espace public. Pour ce faire, nous avons distingué l’espace public en trois niveaux : local, national et transnational. Cette partition nous a permis de mieux comprendre la complexité et l’ambivalence de l’identité des leaders interviewés, qui construisent leur regard, et donc la perception de Soi, de l’Autre et du Monde, en faisant référence à ces trois différents registres, qui sont aussi porteurs de trois différents types d’identification et de conflictualité. Cette partition nous a permis aussi d’expliquer la contradiction entre une intégration substantielle et une perception conflictuelle. En effet, là où les relations sont caractérisées par une temporalité lente, répétitive et de longue durée, et une spatialité marquée par la proximité, c'est-à-dire au niveau local, le discours et le regard des leaders interviewés sont généralement peu conflictuels et visent à l’intégration ou à l’inclusion. Par contre, dans l’espace national, à l’image et aux discours altérisants et stigmatisants sur l’islam et les musulmans, les leaders interviewés répondent souvent par un regard et des discours tout aussi altérisants et stigmatisants. L’accent est ainsi mis sur la distinction face à l’Autre italien et sur la nécessité de la communautarisation en vue de la préservation d’une présumée « identité originelle » et de la négociation d’un statut de minorité dans la législation nationale. Mais c’est en particulier dans l’espace public transnational que les discours et les regards des leaders interviewés sont les plus conflictuels et altérisants. À l’œuvre, nous trouvons des imaginaires collectifs dichotomiques tant sur le plan politique que sur le plan civilisationnel. D’un côté, il y a une perception « autre » des relations internationales, construite autour d’une grille de lecture centrée sur le colonialisme, le néocolonialisme et les idées produites dans le cadre des postcolonial studies ; dans certains cas, c’est l’idée d’« un islam sous attaque de l’occident » qui tend à structurer la perception de soi, mais aussi le regard sur l’Autre et le Monde. De l’autre côté, la dichotomie est culturelle et se construit sur l’opposition entre raison et foi, doute et certitude, ordre et désordre, histoire sacrée et histoire historique. L’on peut déjà affirmer que dans l’espace public transnational, ce sont plutôt des communautés imaginées qui tendent à structurer les regards et, en définitive, les identités. Le local s’est donc avéré comme l’espace d’un conflit « inévitable et nécessaire », mais aussi comme l’espace de la rencontre et de la négociation et de la reconnaissance réciproque. C’est exclusivement au niveau local où, en définitive, se déclinent effectivement l’intégration, l’inclusion et la participation. C’est donc dans le local que la multi-dimensionnalité de l’identité peut être assumée et affichée, et c’est toujours au niveau local que l’on assiste aussi à un passage effectif de l’islam en Italie à l’islam italien ; et c’est précisément dans le caractère fortement local de l’islam en Italie qui réside la spécificité du « modèle italien » par rapport aux modèles des autres pays européens. C’est dans le déroulement d’une vie immergée dans la quotidienneté et dans la physicalité qu’une partie des leaders interviewés ont graduellement fini par accepter que leur futur se fera en Italie et que leurs enfants seront tout simplement « des Italiens ». Cette prise de conscience, qui n’est pas encore partagée par tous les leaders interviewés, est probablement le plus grand changement de la dernière décennie, que la littérature académique sur l’islam en Italie de la fin des années quatre-vingt-dix et du début des années deux mille n’incluait quasiment pas. Cette « italianisation » sociale et culturelle d’une partie des leaders, qui dérive notamment des relations et de la reconnaissance dans l’espace public local, leur permet ainsi d’éviter d’enfermer leur identité dans la seule dimension religieuse et d’accepter, et parfois même de revendiquer, une identité complexe ou à plusieurs dimensions.
Fichier non déposé

Dates et versions

tel-03089645 , version 1 (28-12-2020)

Identifiants

  • HAL Id : tel-03089645 , version 1

Citer

Bartolomeo Conti. L’émergence de l’islam dans l’espace public italien: les leaders musulmans entre intégration et intégrisme. Religions. ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES; ALMA MATER STUDIORUM - UNIVERSITÀ DI BOLOGNA, 2011. Français. ⟨NNT : ⟩. ⟨tel-03089645⟩

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