. Dans-ce-chapitre, ici considéré la discontinuité spatiale comme une limite imposée par un tiers institutionnel, que les placés essaient de négocier voire de contester

. Toutefois, Il s'agit de ce que le langage courant qualifie généralement de « discours » ou de « monologue » intérieur. Ainsi, au cours de mes entretiens, il est apparu que le discours des placés n'est pas toujours adressé à un tiers mais peut n'avoir pour seul destinataire que le placé lui-même. C'est ce que révèle l'extrait de l'entretien avec Adrien cité plus haut. On est là loin de la définition qu'Emile Benveniste donne du discours puisqu'il n'y a plus ici d'autre destinataire que le locuteur luimême

, C'est précisément cette « mise en discours de soi-même » (ibid.) que je souhaite maintenant interroger, sans pour autant prétendre entrer dans les arcanes des consciences, un travail pour lequel l'entretien semidirectif seul serait bien insuffisant 132 . J'entends montrer ici que les discours que se tiennent les, 2012.

, La prison mise à distance

, Bien évidemment, bien que chacun entretienne une relation particulière avec l'espace carcéral 133 , tous les placés disent en entretien vouloir éviter l'incarcération

, Ce dernier ne peut donc pas considérer qu'il accède directement à ce discours que les placés se tiennent à euxmêmes. Le discours intérieur est filtré par la situation d'entretien qui n'en laisse apparaître qu'une petite partie. Malgré tout, en évoquant les événements de leur quotidien, les placés m'en ont donné des aperçus, ce qui se

, Pour Karim comme pour Xavier, la perspective d'une incarcération suffit à dissuader de la réitération 134 , la conduite sans permis pour l'un et les violences physiques pour l'autre. Ils 'institution judiciaire mais elle n'a d'effet qu'aussi longtemps que dure la peine puisque, comme l'avoue Karim

, Toutefois, les placés réinstaurent par le discours une discontinuité entre l'espace carcéral et l'espace du PSE. Ainsi, alors que les agents de l'institution

, Dans le PSE, l'incarcération est une menace qui pèse sur les placés et qu'instrumentalisent les agents de l'institution. Par définition, la menace n'existe qu'à l'état d'éventualité et il est possible qu'elle ne se réalise jamais. En conséquence, pour la majorité des placés que j'ai rencontrés, la prison n'est qu'une lointaine hypothèse comme en témoigne l'extrait d'entretien suivant : Franck : En gros, la menace de la prison c'est un truc avec lequel vous vivez au quotidien ou pas ? Charles : Bah non ! Parce que je me, Une première façon de réinstaurer la discontinuité entre l'espace du PSE et la prison consiste pour les placés à faire valoir le caractère virtuel de la détention

. Le-cousin-de-charles, Ça n'a rien à voir ! [?] Enfin, pour moi, je n'ai pas cette impression qu'il est en prison ou même qu'il va y retourner ou quoi que ce soit

C. Qu,

, Pour les placés comme pour leurs proches, la peine s'éprouve dans l'instant, au jour le jour, et non dans l'éventualité d'un ailleurs hypothétique, d'une incarcération future. C'est ce que fait remarquer ici mon second interlocuteur

, Alors que la notion de récidive suppose que le condamné commette à nouveau une infraction identique ou assimilée dans un délai précisément défini (articles 132-8 à 132-11 du code pénal), la réitération désigne la commission par un condamné de n'importe quelle nouvelle infraction (article 132-16-7 du code pénal)

D. Le-propos, Au-delà des souffrances de la détention que rappelle la mère de Vincent et qu'il ne cherche d'ailleurs pas à nier, il y a la trivialité de la vie quotidienne : programmes de télévision, repas, douches, etc. Ce que dit tout simplement Vincent, c'est qu'une vie est possible en prison, c'est qu'il y a un ordinaire de la vie carcérale qui tranche avec ce qu'elle charrie d'imaginaires péjoratifs. L'espace carcéral s'apprivoise ; les détenus y créent des automatismes, une routine, qui ne s'oublient pas

C. , enfin, pour nous, c'est banal, c'est comme si à tout moment on pouvait y retourner et se sentir chez soi, quoi. C'est plus un truc, ça y est, c'est plus "intimidant" entre guillemets, enfin on se sent comme un

, Ah ! Désolé ! Je discutais et je n'ai pas fait attention, je reviens tout de suite, dans dix secondes, là, je fais dix mètres et puis... Désolé !" Et puis elle me répond : "ah ! Mais moi je suis désolée pour vous !" Donc c'était très cassant, très jugeant alors je dis : "ce n'est pas comme si tous les soirs vous aviez à m'appeler. C'est peut-être la première fois en quatre mois que vous m'appelez". [?] Voilà ! Cette fois-là

S. Dans-cet-extrait-d'entretien, . Décrit-l'humiliation-qu'», . Lui-qui, and . Dans-le-reste-de-l'entretien, « jamais été condamné auparavant », n'est pas « un habitué des gardes-à-vue » et « découvre un peu [?] l'autre côté de la barrière ». Il refuse d'ailleurs ces qualificatifs et tient à rétablir la distinction entre lui et le « voyou ». Lors de mes journées au SPIP tout comme pendant mes entretiens, j'ai pu placés : Je n'ai pas envie qu'on me voie comme un délinquant ou un voyou ou un dealer ou un braqueur ou un je-ne-sais-pas-quoi, alors que je ne suis rien de tout ça

. Ma, . Moi, E. Ma-mère, and . Sait, Elle sait que c'était des petites conneries quand j'étais gamin. Elle sait que je suis un bosseur

. Lucio, , vol.44

, Ce n'est pas un bracelet de vol où j'ai fait des conneries très fortes, p.44

, PSE de 12 mois en cours lors de l'entretien)

, Dans la plupart des cas, les placés tiennent donc à se dissocier de ceux qu'ils qualifient de

L. Néanmoins and . De-sofiane-le-montre, cette confusion avec la « délinquance » est pour les placés intimement liée aux limites spatiales qu'impose le PSE. Etre un « délinquant

, Les placés attachent donc une valeur morale à la discontinuité spatiale et, partant, pp.celle-ci

, fait une erreur, j'assume. Maintenant, je fais en sorte que tout ce que j'ai à faire aille bien et je sais que même la mise à l'épreuve que je vais avoir, je vais être aussi calé, Donc mes obligations sont bien respectées. C'est le cas actuellement

, Comme lui, les placés considèrent généralement que la contrainte spatiale est ce par quoi ils peuvent faire la preuve qu'ils n'appartiennent pas à la catégorie du « délinquant » : en se pliant aux discontinuités qu'impose le PSE, les placés attestent qu'ils font ce que l'institution judiciaire attend d'eux, qu'ils réalisent ce changement qui est au coeur du principe de réinsertion cher à l'institution. Chez les placés se rejoue donc cette dimension s

, Et on a cette discipline de se dire : bon, voilà, il faut que je rentre. Donc c'est vrai que c'est assez responsabilisant. Maintenant, cette discipline qu'on s'impose en début de peine, voilà, au bout de cinq mois, Ça nous saoule ! On n'a plus envie ! On n'a plus envie?

. Sofiane, ». Au-placé-d'être-«-acteur-de-sa-peine-»-en-«-s'imposant-»-et-en-«-s'obligeant, and . Néanmoins, Au moment de l'entretien, Sofiane me dit celui qu'exerce l'institution judiciaire. Il est ainsi fréquent que les placés s'imposent à eux-mêmes des contraintes spatiales particulièrement rigoureuses : Franck : Et du coup, [?] qu'est-ce que vous faisiez quand vous aviez le week-end ou les jours où vous aviez moins de boulot ? James : Je restais là. Je faisais mots croisés, mots fléchés. Franck : D'accord ! Vous ne sortiez pas du tout ? James : Ah ! Je ne sortais pas

, PSE de 8 mois terminé lors de l'entretien

, -il est d'ailleurs fréquent de voir les placés prendre des marges temporelles conséquentes lorsqu'ils se déplacent hors de chez eux, ce qui a pour effet de réduire leur espace de mobilité. C'est que Driss ne veut pas courir le risque du moindre retard, même léger, afin de ne pas hypothéquer ses chances d'obtenir une libération conditionnelle. Pour Éric, il faut se conformer absolument aux horaires fixés par l'ordonnance de jugement, ne demander aucun changement, Pour Driss, il faut limiter les sorties, ne pas trop « bouger », et limiter leur ampleur puisqu'il faut rester « dans les alentours

. Toutefois, institution mais aussi de se convaincre soi-même de cette réinsertion. C'est ce que laisse entendre James, cité plus haut, lorsqu'il dit : « c'est dans ma tête, c'était incarcéré donc je restais là ». Il n'est plus question ici d'une discipline sur soipropos de Moussa vont dans le même sens. Ainsi, au cours de l'entretien, Moussa déclare avoir restreint de lui-même ses sorties au maximum : il n'accompagne plus ses enfants à leurs activités périscolaires, ne fréquente plus ses cercles d'amis et ne cherche pas non plus de travail, autant d'activités que le PSE a normalement pour fonction sinon d'encourager du moins de ne pas entraver. Il explique de la façon suivante cette réclusion quasi-totale qu'il s'impose : Ben, c'est que j'ai fait du mal, je paie, hein. Si ça s'adapte pas à moi? c'est la justice qui décide, moi je ne peux rien faire. S'ils me donnent même de 6h à 10h, je suis obligé d'obéir, c'est tout. Je ne peux pas faire ce qui va me convenir

, Aussi exigeante que soit la contrainte spatiale imposée par l'institution judiciaire, et alors même que les agents du SPIP lui ont expliqué que cette contrainte est modulable, Moussa choisit de s'y soumettre, parce qu'il a « fait du mal », parce qu'il faut qu'il « paie ». Il de Driss, Éric ou Bernard, la survalorisation de la limite possède une dimension tactique puisqu'elle est entièrement tournée vers l'institution, chez James et Moussa

, Vincent ou encore Malik qui déclare : De toute façon, eux, ils me suivent. Moi je suis un point rouge devant eux, sur leur écran. Ils voient tout ce que je fais, partout où je me déplace, ils voient tout. Si je vais aux toilettes, ils voient que je vais aux toilettes. Ils voient en forme de point rouge. C'est un petit GPS, c'est un signal. C'est tout. Ils voient tout ce que je fais. (Malik, la vingtaine, Dès lors, le dispositif technique de surveillance joue un rôle essentiel pour les placés : PSEM. De fait, il n'est pas rare que les placés confondent PSE et PSEM, ainsi d'Orhan, Youssef

, Si Malik reconnaît qu'une telle omniscience de la part de l'administration pénitentiaire « ça fait bizarre », il déclare ne pas y prêter une grande importance, tout comme les autres placés qui comme lui font cette confusion. Mais plus encore, parmi les placés qui connaissent la différence entre PSE et PSEM, il n'est pas rare d'entendre certains placés regretter que le PSE ne permette pas un suivi GPS : Eddy : [La surveillance avec GPS] ça, c'est bien. Franck : Vous, vous auriez préféré finalement avoir une surveillance GPS par rapport à la surveillance que vous avez? Eddy : Ah oui ! Carrément

. Franck, Et ça ne vous aurait pas dérangé d'un point de vue personnel qu'on sache en permanence où vous êtes? Conclusion de la Troisième partie

P. Avec-le, les nouvelles technologies d'information et de communication ont fait leur entrée dans l'application des peines, attirant l'attention sinon la fascination de nombreux commentateurs

, Toutefois, l'intervention d'un objet technique dans l'exercice judiciaire mérite une attention particulière. L'usage de l'outil est loin d'être toujours conforme aux attentes de ses créateurs et de ses promoteurs

P. Le, une surveillance ubiquitaire et, s'il permet effectivement la surveillance des condamnés, ce n'est qu'au prix d'une complexe appropriation par les agents droit » (Latour, 2004), soit dans l'interprétation et l'actualisation du droit par l'institution judiciaire. Dès lors, la constat : les agents de l'institution judiciaire n'ont pas le monopole du discours. J'ai ainsi montré que les placés négocient, contestent et réinventent les frontières imposées à leurs spatialités

». «-spatialisme and . Qu, il se contente d'inverser : la correction du détenu n'est plus dans l'écart mais dans la proximité, la réinsertion spatiale étant conçue comme la garantie d'une réinsertion sociale

, Tous les placés ne sont donc pas égaux face à l'enjeu de la réinsertion sociale, selon une logique qui recoupe pour partie les inégalités socio-spatiales préexistant à la peine. Les agents de l'institution, en tenant compte de ces inégalités dans le suivi de la peine, sont seuls à même d'en contrebalancer, au cas par cas, les effets sur les placés. Face à une question sociale comme la délinquance, la réponse ne peut donc se contenter d'être exclusivement spatiale mais passe par le suivi quotidien que réalisent les agents de l'institution, JAP, CPIP et agents PSE. Plus encore, le PSE rejoint le modèle carcéral en raison de la conception de l'espace profondément « disciplinaire » sur laquelle il s'appuie. Avec le bracelet électronique, il s'agit encore et toujours de jouer des discontinuités spatiales pour assigner des emplacements et restreindre les accès, selon d'exigeantes « territorialités, L'espace d'assignation ainsi que l'espace de mobilité sont extrêmement variables d'un placé à l'autre et, surtout, plus ou moins adaptés à cette réinsertion sociale que l'institution attend des placés, 1983.

P. Dans-le, la détention constitue donc, tant pour les magistrats et les personnels

P. Le, est donc ni du côté d'une profonde révolution ni du côté d'une totale permanence, mais constitue un hybride à mi-chemin de l'un

F. Dobson, Le détenu ne sait jamais s'il est effectivement surveillé mais sait qu'il peut l'être et, dès lors, conforme son comportement aux attentes de l'institution. Il en résulte qu'« un assujettissement réel naît mécaniquement d'une relation fictive » (ibid., p.236) : qu'il y ait ou non un surveillant, le Panoptique crée l'effet de la surveillance, à savoir la mise en conformité d'un comportement. Cette causalité « mécanique » résulte pour Michel Foucault d' « une certaine distribution concertée des corps, des surfaces, des lumières, des regards », autrement dit de « l'appareil architectural » que constitue le Panoptique (ibid.). Comme il le dit ailleurs, le Panoptique est, Le Panoptique revisité En concluant à l'importance des discours dans le placement sous surveillance électronique des condamnés, ma thèse prétend porter un regard renouvelé sur l'effet panoptique qui est généralement attribué à cette nouvelle technologie pénale. Nombreux sont ceux qui ont reconnu dans le bracelet électronique, qu'il permette ou non une surveillance mobile, une forme renouvelée du Panoptique foucaldien, p.1462, 1990.

, Le placement sous surveillance électronique emprunte deux aspects fondamentaux au

P. Tel-que-le-conçoit and M. Foucault, Il établit d'une part cette « dissymétrie » dans la surveillance (Razac, 2013a) au sens où celui qui surveille voit sans être vu, 2012.

, Par rapport au Panoptique, le bracelet électronique ne diffère que par la nature de la dimension matérielle du dispositif. L'effet panoptique n'est plus la conséquence d'un dispositif architectural mais d, 1994.

. Toutefois, . De-surveillance, P. Dans-le, and L. Technique-n'opère-jamais-seule, Elle est en permanence secondée par l'intervention de divers acteurs humains : magistrats, conseillers d'insertion, agents PSE, surveillants PSE, jusqu'au placé lui-même et à son entourage. Ils interviennent au cours de diverses procédures : alarmes signalant un retard ou une absence certes mais aussi entretiens de suivi au SPIP, convocation au tribunal de grande instance, installation ou maintenance du dispositif de surveillance, demande de modification d'horaire ou du lieu d'assignation, etc. Pour les placés, le PSE c'est d'abord cela, cette multiplicité des procédures qui jalonnent leur peine jusqu'au jour de leur libération, qu'elle soit définitive ou conditionnelle. Le terme « procédure » désigne ici en premier lieu des actes, techniques lorsqu'il s'agit de modifier le périmètre d'assignation par exemple, ou juridiques lorsqu'il faut rendre une ordonnance modificative des horaires d'assignation. Mais les procédures ne sont jamais uniquement des actes. Elles s'accompagnent de discours, de paroles adressées

, Dès lors, je suggère de considérer que l'effet « d'intériorisation » de la surveillance

L. Panoptique-est-un-«-dispositif and ». Michel, Derrière la « mécanique » du passage de la « relation fictive » à « l'assujettissement réel », dans ce « pouvoir de l'esprit sur l'esprit », il faut en fait concevoir le poids des discours, ceux de l'institution et de ses relais comme ceux des individus surveillés eux-mêmes. La quotidienneté et la banalité des discours peuvent les faire perdre de vue, mais le Panoptique n'a rien de « mécanique » au sens d'« automatique », au sens d'une connexion qui se ferait d'elle-même entre la matière et les comportements individuels. La surveillance ne s'intériorise que par le biais d'une médiation discursive que, Foucault désigne aussi bien du « non-discursif » -corps, ensemble architectural, objets techniques -que du « discursif, 2004.

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