Faire la grève. Les conditions d'appropriation de la grève dans les conflits du travail en France - HAL Accéder directement au contenu
Thèse Année : 2009

Going on strike. The conditions of appropriation of the strike in labor conflicts in France

Faire la grève. Les conditions d'appropriation de la grève dans les conflits du travail en France

Résumé

At the crossroads of the sociology of work, industrial relations and social movements, this research work seeks to account for the factors of the decline in the intensity of strikes in France, but also for the conditions that make its reactivation possible in renewed forms. Based on a multi-level ethnographic survey, it analyzes the strategies of the confederations and the union strategies in the context of localized conflicts.
L’ambition centrale de ce travail de thèse consacré aux usages de la grève en France a été de réinvestir un champ d’investigation laissé en friche, tant par la sociologie du travail, du syndicalisme que de l’action collective, et de contribuer à opérer ce faisant un décloisonnement entre ces trois sous-champs académiques. En choisissant pour cela de réinvestir l’étude de la grève du point de vue de ses usages dans les conflits interprofessionnels et du secteur privé, l’objectif était par ailleurs d’éviter l’écueil consistant à interpréter le déclin statistique du volume de l’activité gréviste comme le symptôme d’un déclin séculaire de la grève dans le secteur concurrentiel, qui n’existerait plus qu’à l’occasion de conflits « désespérés » contre la fermeture d’entreprise ou sous la forme de « grèves par procuration », à la faveur des grèves des salariés du secteur public. A l’inverse, il s’agissait de ne pas rester non plus prisonnier du questionnement sempiternel sur l’existence une spécificité française de la « gréviculture », pourtant bien difficile à identifier sur un plan statistique. Cherchant à dépasser ces deux visions réductrices de la conflictualité au travail, ce travail d’enquête vise à mieux reconstituer l’espace des contraintes et des possibles en fonction desquels s’actualisent les logiques de recours à la grève. Dans cette optique, notre thèse s’organise en trois parties articulées entre elles. La première revient sur l’originalité du positionnement théorique de notre travail, tant du point de vue des objets d’étude habituels de la sociologie des mouvements sociaux que de celui de la méthode ethnographique employée pour questionner le phénomène des grèves. La seconde partie interroge les conditions de possibilité de recours à la grève dans la dynamique des conflits interprofessionnels, du point de vue des logiques de recomposition des stratégies d’action confédérales et des logiques de structuration des organisations syndicales. La troisième, enfin, se concentre sur les conditions d’investissement de la grève dans les conflits d’entreprise. La première partie, se compose de trois chapitres. Le premier se penche sur les raisons qui ont favorisé, à partir des années 1980, la raréfaction des études sur la grève et sur les conflits du travail, et sur la nécessité et l’intérêt de revenir sur ce qui était devenu un angle mort du questionnement sociologique. Nous y montrons que cette rétractation de l’intérêt scientifique pour les conflits du travail résulte de logiques internes à l’espace scientifique, liées à la reconfiguration des paradigmes dominants dans ces sous-champs sociologiques : que ce soit la marginalisation du paradigme d’analyse marxiste dans la sociologie du travail, ou que ce soit la structuration de la sociologie des mobilisations autour d’une réflexion sur le renouveau des formes de l’action collective. Mais elle a aussi pour toile de fond et pour justification implicite le déclin de l’intensité et du volume de l’activité gréviste en France depuis le début des années 1980, mesuré par l’indicateur des Journées Individuelles non Travaillées pour fait de grève, (JINT). Cette mesure statistique de l’activité gréviste a contribué à accréditer l’hypothèse de la perte de centralité des conflits du travail dans l’espace des mobilisations sociales, et plus spécifiquement de la grève dans le secteur privé. Force est de constater que, dans ces conditions, le regard des sociologues comme des politistes ne s’est concentré que sur un nombre limité de mobilisations grévistes dans la fonction publique ou dans les secteurs nationalisés, parmi les plus visibles médiatiquement et socialement. Des conflits qui ont d’autant plus facilement retenu l’attention des sociologues qu’ils semblaient être le théâtre d’un renouveau des pratiques de mobilisation au travail (grèves de novembre-décembre 95, émergence des coordinations infirmières, cheminotes ou enseignantes ou encore aux mobilisations plus récentes des gaziers et électriciens), et valider en cela l’idée d’un déclin des formes « anciennes » et « traditionnelles » de mobilisation. Un examen critique des conditions de fabrication de l’indicateur des JINT et la mobilisation des enseignements de l’enquête REPONSE ont permis, dans un premier temps, de mettre en cause les impensés de ces représentations dominantes du phénomène gréviste - que le regard sociologique à éclipse sur les conflits du travail a davantage consacrée qu’il n’a mise en question - et de construire notre recherche à partir de deux constats généraux. Il est vrai que la participation des salariés du secteur privé aux journées d’action de grève, dont la fréquence a elle-même fortement diminué, apparaît très limitée. On ne saurait pour autant en déduire une évanescence de la grève du secteur privé. D’une part, parce que la part importante prise par le secteur public dans l’activité gréviste, et que la tendance à la baisse, sur le long terme, du volume de cette dernière n’a rien d’un processus linéaire, et qu’elle n’implique aucunement une disparition des arrêts de travail du secteur privé dans le cadre de conflits du travail localisés. On assiste en réalité bien davantage à une reconfiguration des modes d’appropriation de la grève, via son inscription dans des formes d’arrêt de travail le plus souvent courts et limités au cadre de l’établissement. Par ailleurs, on ne saurait occulter le maintien d’autres formes d’action protestataires diffuses, qu’elles soient individuelles ou collectives, bien qu’elles soient évidemment moins immédiatement perceptibles que les « grandes » mobilisations surgissant dans le secteur public. Dans ces conditions, et sans ignorer les transformations intervenues dans l’espace des conflits du travail, notre travail part de la conviction qu’il est nécessaire de ne pas postuler a priori le déclin des formes canoniques de l’action collective et de repenser les conditions d’appropriation de la grève en questionnant à la fois les facteurs qui rendent difficiles la transformation de cette conflictualité diffuse dans les entreprises du privé en action de grève localisée, et plus encore en actions de grève professionnelle et/ou interprofessionnelle plus fréquentes, et les conditions qui rendent possible la réactivation de cet instrument de lutte, sous des formes réajustées. Dans un second chapitre, nous présentons alors l’originalité du cadre méthodologique adopté. Nous insistons dans cette optique sur les profits de connaissance que l’on peut retirer du réinvestissement des questionnements et des outils d’analyse de la sociologie mobilisations sur le terrain des grèves et des conflits du travail, et la manière dont ces instruments d’analyse peuvent s’en trouver en retour enrichis. Nous revenons également sur la méthode d’enquête ethnographique adoptée, mêlant la réalisation d’une centaine d’entretiens et de différentes observations in situ des pratiques des acteurs, alors que les paradigmes d’analyse traditionnels de la grève relèvent très majoritairement, indépendamment de leurs options théoriques, d’une approche quantitative. Ce parti-pris méthodologique visait tout d’abord à offrir un cadre d’analyse moins désincarné des conditions d’apparition des grèves, en observant comment les contraintes structurelles qui orientent les stratégies des acteurs en lutte s’actualisent et s’entremêlent concrètement dans leurs représentations et dans leurs pratiques, et comment leurs effets sont médiatisés par le jeu de leurs dispositions intériorisées et de leurs savoir-faire militants différenciées. Par ailleurs, il a été fait le choix d’investir plusieurs terrains d’enquêtes, permettant de mieux reconstituer, en variant les angles de questionnement, la pluralité des facteurs qui conditionnent les logiques de recours à la grève. Nous nous sommes en effet intéressés tout à la fois au travail de représentation de porte-parole confédéraux et de leurs stratégies d’investissement de la grève, des logiques de fonctionnement routinier de structures militantes intermédiaires, des stratégies d’action patronale de démobilisation syndicales, des situations de conflit sans arrêt de travail et des actions de grève inscrites dans des configurations d’action diversifiées. Ainsi, tout en diversifiant les échelles d’analyse, cette approche « mosaïque » des grèves permet d’abord de tenir ensemble différents niveaux d’analyse, habituellement séparés (conflits interprofessionnels, conflits d’entreprise, fonctionnement de structures syndicales intermédiaires). De cette manière, on peut mieux saisir les manières différenciées dont s’organisent les logiques d’investissement de la grève, en fonction des jeux de contexte et des logiques de structuration des organisations syndicales. Cette approche permet par ailleurs de questionner les conditions de leur émergence en combinant l’analyse de grèves en train de se faire avec l’étude de la grève en son absence. Généralement occulté dans l’étude des grèves (et de l’action collective), nous avons cherché, tout au long de ce travail, à mettre en évidence les apports heuristiques d’un tel angle d’analyse pour saisir les freins à l’action collective et les contraintes en fonction desquelles s’opère le choix des acteurs en lutte pour tel ou tel mode d’action. Cette partie méthodologique s’achève par un chapitre consacré à l’analyse des difficultés méthodologiques que soulève une approche ethnographique des mobilisations grévistes, et de l’intérêt de combiner les différents instruments d’enquête à notre disposition (entretien, observations, analyse documentaire et analyse statistique) pour les surmonter et enrichir notre compréhension des phénomènes sociaux étudiés. La première est consacrée aux usages de la grève dans l’économie des pratiques de mobilisation confédérales. A partir notamment de l’observation de l’activité des responsables confédéraux de l’action revendicative de la CGT, un premier chapitre revient sur les effets des dynamiques d’institutionnalisation de l’action syndicale, et sur la reconfiguration des rapports de force politiques et syndicaux structurant l’espace des relations professionnelles, qui éclairent la dépolitisation des stratégies d’action syndicales et la redéfinition des modes d’articulation de l’appel à des journées d’action de grève interprofessionnelle et de la négociation qui en résulte. Le second chapitre mêle l’observation des stratégies des acteurs confédéraux, du travail d’encadrement militant des structures militantes intermédiaires (unions locales, syndicats professionnels), et des dispositions militantes différenciées des militants syndicaux, pour mettre en évidence les « filtres organisationnels » qui conditionnent les stratégies confédérales de recours à des journées d’action de grève interprofessionnelles. Elles sont de ce point de vue mises en relation avec les logiques de structuration interne des organisations syndicales qui contraignent la faculté des dirigeants syndicaux à activer leurs ressources militantes. L’accent est également mis, dans ce cadre, sur les effets contraignants générés par la capacité de mobilisation syndicale inégale dans les secteurs public et privé, ainsi que sur la diversité des usages stratégiques dont peut être réinvestie cette forme de grève.
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Baptiste Giraud. Faire la grève. Les conditions d'appropriation de la grève dans les conflits du travail en France. Science politique. Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, 2009. Français. ⟨NNT : ⟩. ⟨tel-01523005⟩
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Dernière date de mise à jour le 20/04/2024
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