Compositionnalité des unités sémantiques en langues des signes. Perspective typologique et développementale. - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Hdr Année : 2014

Compositionnalité des unités sémantiques en langues des signes. Perspective typologique et développementale.

Marie-Anne Sallandre

Résumé

1.1 Contenus et organisation des deux volumes de l’HDR Cette habilitation à diriger des recherches est organisée en deux volumes : une synthèse de mes recherches mises en perspective par rapport au champ de la linguistique générale, de la linguistique des langues des signes et de disciplines connexes (psychologie du développement, informatique, etc.), et un volume rassemblant mes productions scientifiques. Pour le volume 1 (151 pages), mémoire de synthèse et d’exploration, j’ai choisi un regroupement thématique plutôt que chronologique, afin de mieux faire apparaître la cohérence de mon parcours et d’éviter des redondances inutiles. Le chapitre 1 est une introduction en forme de synthèse de mes thèmes de recherche et de mes principales contributions. Il commence par un petit détour biographique pour comprendre les raisons qui m’ont poussée à travailler sur les langues des signes. Le chapitre 2 présente de manière synthétique les lignes de force du modèle sémiologique, modèle dans lequel je m’inscris, en le replaçant dans le cadre de la linguistique générale et en le réinterrogeant à la lumière d’une relecture critique. Bien que dans le prolongement du chapitre précédent, le chapitre 3 se concentre sur mes travaux portant sur les structures de grande iconicité, structures éminemment centrales dans les langues des signes mais dont le statut linguistique reste problématique. Dans la seconde partie de ce chapitre, je revisite la typologie des structures (unités de transferts) présentées depuis mon doctorat en proposant un réagencement de certaines catégories. Le chapitre 4, centré sur la méthodologie de recueil des données et les problématiques autour de l’annotation des corpus, se trouve placé au milieu de ce mémoire, car il agit comme un pivot nécessaire aux différents thèmes étudiés (types d’unités discursives dans la LSF d’adultes, comparaisons entre langues des signes et en acquisition). Les deux chapitres suivants traitent de domaines que j’ai abordés plus récemment mais qui sont consubstantiels au modèle sémiologique : le chapitre 5 présente mes travaux en cours autour de la typologie inter-langues des signes tandis que le chapitre 6 porte sur l’acquisition de la LSF par les enfants sourds. Une part importante des analyses présentées ici sont inédites et seront une base, je l’espère, pour des recherches et publications ultérieures. Enfin, le chapitre 7, plus court, dresse un bilan et propose des perspectives de recherche pour les prochaines années. Le volume 2 (401 pages) reproduit une sélection de mes principales publications, classées par thèmes. L’ordre des thèmes du volume 2 suit grosso modo l’ordre des chapitres du volume 1, à savoir : 1) iconicité, discours, 2) référence, paramètres, 3) corpus, méthodologie, 4) typologie inter-langues des signes, 5) acquisition de la LSF, 6) valorisation, accessibilité en LSF. Parmi les publications reproduites dans le volume 2, deux sont antérieures à ma thèse (et l’une est restée inédite). Il m’a semblé important de faire figurer ces écrits par le fait que ceux-ci aident à rendre compte de mon évolution et constituent le socle sur lequel s’appuient toutes les problématiques développées ultérieurement. Par ailleurs, il m’a semblé également pertinent de faire apparaître une courte section donnant un aperçu de mes actions en matière de valorisation et d’accessibilité en LSF. Bien que ces travaux ne soient pas des publications scientifiques, qui font l’objet des parties 1 à 5 du volume 2, la partie 6 est importante à mes yeux car non seulement elle représente une part non négligeable de mon temps de travail effectif, mais aussi elle fait partie intégrante de mon engagement social en tant qu’enseignant-chercheur. Et j’aimerais dans les années à venir, en parallèle à la poursuite de mes publications scientifiques, réservées à un public d’avertis, développer une meilleure visibilité et une meilleure accessibilité des travaux autour de la LSF en France, qui sont, à mon avis, encore assez mal connus. 1.2 Les unités non lexicales des langues des signes Depuis le début de mes recherches sur la LSF (langue des signes française) en 1998, j’ai été attirée vers les unités non conventionnelles mais éminemment complexes de cette langue qui sont appelées structures de grande iconicité ou structures de transferts. Il me semblait important de prouver que ces unités sémantiques, bien que non figées, méritaient toute l’attention du linguiste. Je n’ai donc eu de cesse de démontrer que ces unités sont générées par des structures, hautement organisées dans un système cohérent. Ces structures sont compositionnelles et elles utilisent les mêmes composants (deux mains, expression faciale, orientation du regard, posture corporelle, mouvement labial) que les unités conventionnelles, mais la valeur et la fonction de ces composants sont différentes en fonction du statut de l’unité. Dans la tradition du modèle sémiologique (Cuxac 2000), j’ai souhaité réfléchir aux langues des signes avec les outils conceptuels de la linguistique générale, en travaillant notamment sur les catégories de la langue actualisées en discours, sur l’organisation de l’énoncé en topique-focus, sur la création de références, sur la détermination nominale, etc., dans diverses langues des signes. Mon but est, à chaque fois, de fournir la description la plus précise possible d’un phénomène, à partir de données empiriques vérifiables, afin d’extraire des régularités. Au niveau quantitatif, mes analyses ont révélé que les unités de transferts apparaissent en proportion massive dans le genre narratif (65% des unités, dans des récits à base d’images comme à base vidéo) mais également en proportion importante dans le genre explicatif (33,4%), que ce soit chez l’enfant ou chez l’adulte. Ces résultats fournissent un aperçu quantifiable et donnent ainsi la mesure du débat qui ne peut pas, on l’a compris, faire abstraction de ces unités, même si elles posent problème à la linguistique. Par ailleurs, des recherches portant sur d’autres langues des signes et dans d’autres cadres théoriques confirment la présence des unités non conventionnelles dans leurs corpus (Klima & Bellugi 1979; Liddell 1995, 2003 ; Winston 1995, pour l’ASL ; Brennan 2001 pour la BSL ; Johnston & Schembri 1999, 2007 pour l’Auslan ; Russo 2004 pour la LIS ; Meurant 2008 pour la LSFB). Ce fait sera confirmé dans le chapitre 5 du volume 1 de l’HDR grâce à l’analyse de passages de corpus dans neuf langues des signes distinctes regroupant les productions de 89 signeurs sourds. 1.3 Un prérequis à l’analyse de la langue des signes : éthique et méthodologie Faire des recherches sur les langues des signes implique d’emblée une nécessité éthique d’un double respect « de la langue étudiée et de ceux dont c’est la langue » (Mottez et Markowicz 1979). Tout au long de mon parcours de recherche, je me suis ainsi posée les questions suivantes, intrinsèquement liées à la description linguistique des langues des signes : Quelles méthodologies développer pour étudier des langues à modalité visuo-gestuelle, sans tradition écrite, minoritaires et minorées ? Quels systèmes d’annotation sont les plus adaptés, en fonction de l’objectif de l’étude ? Par ailleurs, en l’absence d’une norme clairement établie pour ces langues, comment ne pas contaminer les locuteurs par un modèle ou un type d’investigation, et comment, par voie de conséquence, les intéresser à la pratique de la recherche sur leur langue ? L’une des réponses à cet ensemble de questions a été, à la suite de Jouison (1978, 1995) et de Cuxac (1985, 1996), de constituer des corpus vidéo suffisamment longs et produits par une variété de locuteurs. Cela a demandé un travail individuel et collectif considérable mais a permis, je pense, de participer à l’amélioration des bonnes pratiques de recherche (Baude 2006) à l’égard des Sourds en France (Cuxac et al 2002 pour le corpus LS-COLIN, Sallandre et L’Huillier 2011 pour le corpus Creagest-Acquisition, etc.). En outre, j’ai revendiqué dès le départ une double approche qualitative et quantitative de l’analyse des données, de manière à rendre le modèle le plus falsifiable possible et à faciliter le dialogue avec d’autres disciplines. Ces bonnes pratiques passent naturellement par l’investissement des Sourds eux-mêmes à tous les niveaux de la recherche. Cette remarque, qui peut sembler triviale, est loin de l’être au quotidien car elle demande une réelle volonté individuelle, institutionnelle et financière. Le concept de terrain investi développé par Millet (1999) semble ainsi particulièrement approprié à la manière dont je conçois ma mission. Se placer dans une recherche collaborative et participante, un terrain investi, donc, permet d’éviter — sans les oblitérer totalement — des biais méthodologiques liés au travail avec une minorité linguistique encore fragilisée par le bannissement de la LSF de la sphère éducative jusque dans les années 1980 et par la stigmatisation du handicap dans notre société. Toutes ces questions méthodologiques, qu’elles soient techniques (savoir comment filmer les signeurs sourds, savoir avec quels outils annoter, etc.), ou avec une portée épistémologique, ont fait l’objet d’une part non négligeable de mes publications à ce jour (notamment, Sallandre & Cuxac 2002, Sallandre 2010, Garcia et al 2011, Sallandre & Garcia 2013). Cela s’explique tout naturellement par le fait que ce domaine de recherche est en construction et que, par ailleurs, les technologies de la linguistique de corpus et du traitement des données ont subi une évolution importante ces quinze dernières années. 1.4 Iconicité, typologie et acquisition Hormis les aspects méthodologiques et épistémologiques précédemment évoqués, les trois grandes thématiques sur lesquelles portent mes recherches sont l’iconicité, la typologie et l’acquisition. Quand on traite des notions d’iconicité et d’arbitraire, on s’aperçoit assez rapidement du malentendu qui pèse sur le concept d’arbitraire saussurien : bien souvent, la littérature en linguistique n’a retenu que l’un des deux sens du concept d’arbitraire chez Saussure (1916), celui qui signifie non iconique, et a oublié celui qui signifie système de différences en faisant du premier la condition du second. Ce malentendu, qui est amplifié, certainement, avec l’étape de la traduction des textes de Saussure, notamment en anglais, a eu des conséquences néfastes de simplification des concepts et de l’objet d’étude. Pourtant, si l’on choisit d’entrer dans la grammaire des langues des signes par l’iconicité, en ne l’opposant pas à l’arbitraire, on ouvre alors un vaste domaine d’étude, avec différents types d’iconicité à prendre en considération : imagique, diagrammatique et dégénérée (Cuxac et Sallandre 2007, Sallandre 2003, 2006 et 2007). Comme le suggère Vermeerbergen (2006), il y aurait, dans les recherches sur les langues des signes, un point de vue assimilationniste (les langues des signes fonctionneraient comme les langues vocales) et un point de vue différentialiste (les langues des signes ont des spécificités structurelles du fait de la modalité visuo-gestuelle qu’il convient de décrire). Cette synthèse des deux grandes approches est éclairante pour comprendre les problématiques qui ont parcouru le champ de la linguistique des langues des signes depuis les années 1960, mais il faut cependant aller plus loin pour comprendre les écarts épistémologiques qui sous-tendent les différentes approches (Garcia 2000, 2010 ; Sallandre et Garcia 2013, Garcia et Sallandre 2014). L’hypothèse de la forte ressemblance entre les langues des signes du monde vient d’abord d’une constatation, pragmatique, de la relative facile intercompréhension entre locuteurs sourds de nationalités différentes. Elle est basée aussi, d’une part sur l’utilisation pertinente de l’espace du fait du recours au canal visuo-gestuel, d’autre part sur l’hypothèse du processus d’iconicisation et de la genèse de toutes les langues des signes, en diachronie (pour les grandes communautés de Sourds et les langues des signes à histoire institutionnelle longue) comme en synchronie (à l’échelle de l’enfant sourd et de son entourage). D’après Cuxac et Antinoro Pizzuto (2010 : 48), ce sont les structures de transferts qui sont le plus semblables entre langues des signes car elles constituent le « socle structural commun à toutes les langues des signes du monde et présentent peu de variations intercommunautaires puisque ces structures relèvent de savoirs perceptifs et pratiques partagés transculturellement ». C’est en partant de cette hypothèse que j’ai entrepris mes comparaisons typologiques entre neuf langues des signes (française, allemande, néerlandaise, italienne, polonaise, roumaine, américaine, brésilienne, mauricienne), pour tenter de la vérifier à partir de données empiriques (Pizzuto, Sallandre, Rossini, Wilkinson 2008 ; Boutet, Sallandre et Fusellier-Souza 2010). Enfin, les recherches en acquisition constituent, selon moi, l’autre maillon nécessaire à la compréhension du processus d’iconicisation à l’œuvre dans les langues des signes. En effet, il est nécessaire de connaître précisément les étapes du développement cognitif et langagier des enfants sourds en langue des signes pour comprendre quand et comment s’opère ce processus de dire gestuellement, différent selon que l’enfant a accès ou non à une langue des signes conventionnelle ou à une gestualité coverbale entendante dont il pourra se servir pour créer ses propres signes (Jacob 2007, Blondel et al 2014, Limousin 2011, Estève 2011, etc.). Les recherches en acquisition des langues des signes ont été encore plus tardives à émerger que celles concernant les Sourds adultes, en raison de contraintes méthodologiques nombreuses (population réduite et difficile d’accès, nombreuses variables sociolinguistiques, etc.) et en raison, aussi, de la complexité de l’interprétation des données enfantines. Ainsi, je n’ai pas souhaité aborder tout de suite ce type de données, bien que mon intérêt initial pour la LSF venait également de mon désir de travailler sur l’acquisition du langage. J’ai préféré d’abord bien maîtriser la langue, son histoire et les enjeux contemporains qui l’agitent avant d’aborder la délicate question du développement linguistique des enfants sourds. À partir de 2005, ma contribution au thème de l’acquisition de la LSF s’est concrétisée par la direction de plusieurs mémoires, la création de ressources linguistiques (corpus Creagest-Acquisition, Sallandre et L’Huillier 2011), la coordination d’un numéro de revue (Sallandre et Blondel 2010, revue LIA), la publication de plusieurs articles (Sallandre et Blondel 2010 ; Sallandre et al 2010, Sallandre et Schoder 2011 ; Garcia, L’Huillier et Sallandre 2013 ; Schoder, Hickmann et Sallandre à paraître), et, depuis 2011, la codirection avec Maya Hickmann de la thèse de Camille Schoder. Ainsi, mes recherches ont suivi un fil directeur cohérent qui tente de trouver une façon de décrire et de catégoriser les langues des signes qui soit à la fois adéquate scientifiquement et utile à ses locuteurs, c’est-à-dire qui offrent des retombées institutionnelles et pédagogiques aisées.
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Marie-Anne Sallandre. Compositionnalité des unités sémantiques en langues des signes. Perspective typologique et développementale.. Linguistique. Université Paris 8, 2014. ⟨tel-01336182⟩
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