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HDR Année : 2013

Le travail de près. Pour une enquête intranquille du travail

Résumé

L’observation directe est sans doute une des plus anciennes méthodes avec laquelle on a tenté de rendre compte et de comprendre le travail et ses transformations. Pour les disciplines qui se revendiquent comme empiriques, elle joue comme une épreuve des faits « véritable » qui les garantit contre les spéculations de la métaphysique ou les vérités dogmatiques. La sociologie du travail est de celles-là et aucune thèse ne saurait s’y soustraire à l’expérience empirique d’un concret – terrain ou matériau divers – qui l’appuie et l’éprouve. Pourtant, jugée « chronophage », toujours trop locale, toujours impuissante à fonder la validité générale de ses résultats et souvent coûteuse pour la carrière des chercheurs, elle a longtemps été tenue pour la moins bonne et la moins sûre des méthodes d’enquête. L’observation directe trouve aujourd’hui un nouveau souffle dans l’écume de mouvements complexes qui travaillent les disciplines du travail depuis la fin des années 1980. Elle y est placée au service d’une refondation épistémologique du travail auquel les chercheurs les plus avancés dans ce projet préfèrent d’ailleurs la notion d’activité. L’observation directe y ouvre l’accès – souvent le seul accès – à l’expérience que les individus « fabriquent » de leur travail qu’elle suit et collecte dans le déroulement même de leurs actions. Elle s’attache aux ressources de l’expérience et de la situation que réclament les épreuves de l’activité et examine la façon dont les normes s’incarnent, se transmettent ou s’abandonnent. À cette occasion, la vieille méthode des sciences sociales s’associe à une conception singulière du présent – plus largement du temps – et s’adosse à une formalisation de la situation de travail dont l’ancienne notion de milieu de Canguilhem donne le modèle ; soit une mutation plus qu’un simple ajustement méthodologique. À quel type d’enquête un tel montage théorique conduit-il et qu’atteint-il du travail aujourd’hui ? En répondant à ces questions, on profite de l’actualité des analyses du travail pour se (re)glisser au cœur de l’enquête sur le travail, y explorer la façon dont les objets s’y forgent, les périmètres se dessinent, les chemins de compréhension s’ouvrent ou se ferment. Questions toujours utiles, pensons-nous, qui dépassent le seul plan méthodologique de l’enquête que des travaux récents ont beaucoup exploré. Les réponses engagent une confrontation entre les propositions récentes de compréhension du travail que nous venons d’évoquer et une proposition qui leur est bien antérieure et qui a pensé le travail comme déploiement du salariat. On doit à cette tradition des analyses décisives de l’automation dont la pertinence a résisté au temps. On connaît moins peut-être l’ampleur et l’originalité de sa réflexion épistémologique où s’invente une enquête singulière dans laquelle il nous a semblé lire la marque – rare en sociologie – du formalisme. Proposition originale et mal connue que l’on pense utile de formuler à nouveau aujourd’hui en s’attachant précisément au type d’observation directe auquel son patronage conduit. Les expériences vécues qui forment sa matière première y sont reçues comme des formes et ce titre explorées pour y chercher les traces de l’organisation qui les constituent comme telles, les conditions de cette constitution et de sa reproduction. Soit une pratique insolite de l’observation qui ne se justifie plus par un accès supposé privilégié au « réel », mais qui réinterprète constamment ce réel. La confrontation de ces deux propositions pointe, déjà, une série de convergences sur ce qui fonde les traits majeurs de la modernité du travail. Elles reconnaissent donc, l’une et l’autre et clairement, le travail moderne comme technicisé, collectif et fondamentalement imprévisible. Autrement dit, la modernité du travail désarrime définitivement les analyses du travail des interrogations sur les rapports de l’homme à son œuvre et les engage dans l’exploration de multiples interactions par lesquelles le travail se réalise : interactions des hommes entre eux, des hommes aux choses, des choses aux hommes, en admettant des acceptions complexes de l’objet technique et la fragilité (croissante) des frontières de l’organique et de l’inorganique. Deux points en revanche les séparent définitivement ou plutôt les opposent : le premier sur la façon de rendre compte de la matière temporelle du travail et le second sur la saisie d’un acte productif qui déborde aujourd’hui l’activité stricte de chaque individu. Sur le premier point, les théories contemporaines reprennent une conception meadienne d’un présent réactualisant constamment les autres temporalités que la tradition reçoit comme bien trop équivoque pour asseoir une analyse sociologique. Sur le second point, les premières opérationnalisent une conception écologique du travail comme action située tandis que la seconde invite à raisonner dans le lexique des relations. Derrière ces deux options, la technique se conçoit comme plus ou moins radicale, plus ou moins révolutionnaire. Ces enjeux théoriques, essentiels à la compréhension du travail aujourd’hui, sont inscrits et portés par l’enquête, par les décisions sur les objets et leur saisie dont elle est l’occasion. On propose donc de suivre ces enjeux dans la matière vivante de trois enquêtes menées dans des univers de travail très différents. L’examen d’un flux automobile d’un grand groupe automobile français permet de suivre l’incidence concrète des oppositions entre modernité et tradition sur le temps et l’espace qu’il convient de reconnaître au travail. La matière vivante, intense, complexe et en partie contradictoire qu’une longue plongée dans les multiples vies des centres d’hébergement d’urgence a permis de ramener pose le problème de son traitement. S’y arrêter, c’est constater les failles du salariat, l’inscrire dans un espace qui restitue des temporalités variées, c’est voir au contraire son dynamisme renouvelé. Même intensité du « sensible » du social pour la dernière recherche sur le tâcheronnat dans les abattoirs de volaille qui s’impose avec force dès que l’enquête ouvre une brèche, si minime soit-elle, à l’observation directe. L’effort porte ici sur le dépliement des composantes et des temporalités multiples que condense cette forme singulière de travail que l’on pense pourtant immédiatement saisir comme tout unifié.

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Sylvie Célérier. Le travail de près. Pour une enquête intranquille du travail. Sociologie. IEP-Paris, 2013. ⟨tel-01180425⟩
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Dernière date de mise à jour le 20/04/2024
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