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Article dans une revue Revue Langages Année : 2020

Les interrogatives partielles dans un corpus de théâtre contemporain

Résumé

L’objet de cet article est de montrer que les interrogatives partielles produites dans des textes dramatiques contemporains se différencient des interrogatives partielles produites à l’oral spontané. L’hypothèse parfois avancée est que les structures prononcées par des personnages à la parlure « populaire » pourraient correspondre à « des faits attestés comme courants dans la langue parlée » (Favart 2009, p. 303) ou bien encore que « populaire » est « assimilé à langue orale » (Petitjean et Dufiet 2013). Nous montrerons que dans certaines pièces contemporaines (tirés du corpus CoDiF, théâtre de Sébastien Thiéry, Yasmina Reza, Jean Delle et Gérald Sibleyras), les personnages représentant la classe moyenne épousent bien les formes attestées des interrogatives dans la langue parlée, sans que l’on puisse parler de « parlure populaire », mais que néanmoins des différences demeurent, dues au discours dramatique qui impose ou privilégie certaines structures. A l’oral spontané (tirant sur l’informel), on note l’absence de l’inversion du sujet clitique et la présence, principalement (cf. Lefeuvre et Rossi-Gensane 2015), des interrogatives dont le mot en qu- est en position frontale suivi d’une structure SV (les 2/3 selon la plupart des corpus, avec des différences selon le mot en qu-) : 1.comment on s’est rencontrés (CFPP2000, 03-01, fiche Lefeuvre / Rossi-Gensane) des interrogatives in situ : 2.Quand il y a la sécheresse, quand il y a la, la famine, vous vous retournez vers qui ? (PFC, Ouagadougou fiche Lefeuvre / Rossi-Gensane) avec des variations importantes selon le mot en qu- (presque inexistantes avec pourquoi, mais presque systématiques avec quoi en raison de son caractère disjoint). En revanche les interrogatives partielles avec est-ce que sont peu présentes. Dans le théâtre contemporain, nous avons pu mettre en évidence l’importance de la structure interrogative en est-ce que (1/3 dans la pièce Momo de S. Thiéry) : 3.Laurence. Et nous qu’est-ce qu’on va manger ce soir ? (Sébastien Thiéry, Momo, p. 20) On peut faire l’hypothèse qu’à l’oral représenté, ce marquage de l’interrogation grâce à est-ce que met clairement en valeur qu’il s’agit bien d’une interrogative. On trouve un trait équivalent avec les exclamatives avec un mot en qu-, peu nombreuses à l’oral parlé (cf. Morel et Danon-Boileau 1998) mais régulières dans le théâtre (avec les marqueurs quel, que etc.), y compris dans les pièces de théâtre considérées. Sans doute s’agit-il de souligner le marquage de la modalité retenue (interrogation, exclamation, vs assertion). En outre, nous avons noté la présence régulière d’interrogatives in situ (20 % dans la pièce Momo) : 4.Laurence. […] On va entrer dans son jeu. André. Mais tu vas entrer comment ? (Sébastien Thiéry, Momo, p. 31) mais elles se distinguent régulièrement des interrogatives in situ de l’oral spontané et informel. Alors que dans ce dernier cas, elles peuvent être indépendantes du contexte antérieur, à l’oral représenté, elles s’appuient régulièrement sur la phrase assertive précédente, reprenant le même schéma syntaxique, comme dans le cas ci-dessus. Ce faisant, elles préservent la continuité thématique du discours tout en le faisant progresser. Il existe ainsi une tension entre la production d’un discours nouveau et la reformulation d’un discours ancien. Nous avons repéré enfin une autre structure récurrente (13,2 %), la présente d’interrogatives partielles averbales. Deux fonctions discursives ont pu être relevées : parmi ces interrogatives partielles averbales, on trouve des ajouts visant à compléter l’information lacunaire de la réplique précédente : 5.Laurence. On aurait dû porter plainte. André. Une plainte pour quoi ? Vol de Caddie ? (Sébastien Thiéry, Momo, p. 19) L’absence de verbe, avec une focalisation portant uniquement sur l’information manquante, permet d’obtenir un discours resserré. Enfin, les interrogatives partielles averbales permettent également d’obtenir un dialogue chargé en apport informationnel : 6.Le client. J’ai du fric. Je peux t’en donner si tu veux. Le guichetier. Pardon ? Le client. Si tu as besoin d’argent, je t’en donne, c’est tout. Le guichetier. Pourquoi ? Le client. Par amitié. Le guichetier. Quel rapport ? Le client. J’ai de l’argent… t’en as pas… On est copains, on s’appelle tous les deux Alain, je t’aide, c’est normal. (Sébastien Thiéry, Cochons d’Inde, scène 5, p.44) Ce type d’interrogatives, qui correspond à des demandes d’information, permet d’avoir un texte resserré (cf. Lefeuvre et Tanguy 2012), comme souvent dans le théâtre (Larthomas 1995) : les répliques s’enchaînent les unes après autres avec un apport informationnel significatif. Nous voyons ainsi d’une part que les interrogatives partielles dans les pièces de théâtre considérées reflètent les interrogatives partielles propres à la langue parlée — nous en retrouvons bien les schémas les plus courants — mais que l’auteur peut modifier les fréquences relevées habituellement dans les corpus oraux spontanés et informels : les interrogatives partielles ont pour fonction, dans ce type de discours dramatique, de bien souligner la modalité choisie (l’interrogation et non l’assertion), d’obtenir un discours resserré et de susciter de nouvelles informations. Références CORPUS Corpus CODIF : Corpus de dialogues en français (Lefeuvre & Parussa, en cours de constitution) Théâtre de Sébastien Thiéry (Momo, Cochons d’Inde), Yasmina Réza, (trois versions de la vie, Une pièce espagnole), Jean Delle et Gérald Sibleyras (Un petit jeu sans conséquence) CFPP2000 : Corpus de Français Parlé Parisien. http://cfpp2000.univ-paris3.fr/. Sonia Branca-Rosoff, Serge Fleury, Florence Lefeuvre et Matthew Pires. 2012. Discours sur la ville. Présentation du Corpus de Français Parlé Parisien des années 2000 (CFPP2000). Corpus tiré de Greco, Luca (2002) Interaction, contexte et cognition. Les pratiques de description et de catégorisation de la douleur dans les appels au 15. Thèse de Doctorat, Paris, EHESS. Eslo 2 http://eslo.huma-num.fr (sous-corpus repas) PFC : Corpus Phonologie du Français Contemporain. http://www.projet-pfc.net/. Jacques Durand, Bernard Laks & Chantal Lyche (dirs). 2009. Le projet PFC : une source de données primaires structurées, Phonologie, variation et accents du français. Paris : Hermès. 19-61 (http://www.projet-pfc.net). Corpus d’extraits PFC, Sylvain Detey, Jacques Durand, Bernard Laks et Chantal Lyche (dirs). 2010. Les variétés du français parlé dans l’espace francophone : ressources pour l’enseignement. Paris : Ophrys. CLAPI : http://clapi.ish-lyon.cnrs.fr/V3_Accueil_Corpus.php?interface_langue=FR BRANCA-ROSOFF, S., FLEURY, S., LEFEUVRE, F., PIRES, M. (2012), « Discours sur la ville. Présentation du Corpus de Français Parlé Parisien des années 2000 » (CFPP2000), http://cfpp2000.univ-paris3.fr/CFPP2000.pdf DUFIET J.-P. et Petitjean A. (2013), Approches linguistiques des textes dramatiques, Paris : Classiques Garnier.
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Florence Lefeuvre. Les interrogatives partielles dans un corpus de théâtre contemporain. Revue Langages, 2020. ⟨halshs-03146796⟩
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Dernière date de mise à jour le 21/04/2024
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