Lessing et les hérétiques du XVIe siècle : de l’anti-trinitarisme à la réflexion sur le déisme et la religion rationnelle - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2020

Lessing et les hérétiques du XVIe siècle : de l’anti-trinitarisme à la réflexion sur le déisme et la religion rationnelle

Résumé

Entre autres pièces critiques, Lessing affectionne, comme son maître J. Friedrich Christ, de se pencher sur le cas de personnages contestés ou officiellement déclarés hérétiques, pour se livrer au genre de la « réhabilitation ». Lessing affectionne le personnage de l’hérétique qu’il reconstruit de façon à louer toujours en lui la figure du Selbstdenker, l’esprit libre qui du moins a « cherché à voir avec ses propres yeux » - même si la question reste de savoir si « ce furent là de bons yeux » (Berengarius Turonensis, 1770). Trois noms dans cet ensemble des « réhabilitations » de Lessing incarnent la situation du 16e siècle. Dès 1754, Lessing avait choisi dans l’œuvre de Jérôme Cardan l’épisode fictionnel d’un combat verbal entre les représentants du judaïsme, du christianisme, de l’Islam pour établir la religion vraie (De Subtilitate, livre XI). Dans la 3e des Contributions à l’histoire et à la littérature, tirée des trésors de la Bibliothèque Ducale de Wolfenbüttel en 1774, une réhabilitation de l’unitarien Adam Neuser (1530-1576), soupçonné d’une conversion volontaire à l’Islam, côtoie le 1er texte de l’auteur « anonyme » du 18e siècle par lequel Lessing va déclencher la grande controverse théologique de la « Querelle de Fragments » ; De la tolérance envers les déistes ; l’année précédente la première de ces Contributions avait déjà évoqué le socinien Ernst Soner (1572-1612). Pourrait-on voir se dessiner un fil directeur à travers ces trois figures et le traitement qu’en fait Lessing ? Qu’y mobilise-t-il de la situation théologique du 16e siècle ? Nous y avons l’écho du sentiment d’inquiétude face à l’Islam, dont la critique du christianisme n’est par ailleurs pas sans résonance avec l’émergence des nouveaux courants anti-trinitariens depuis l’intérieur même de la communauté chrétienne. Pourquoi ces éléments retiennent-ils davantage Lessing que ce qui tourne autour de la Réforme elle-même ? Le musulman de Cardan se faisait l’apôtre d’une religion plus « rationnelle » que le christianisme ; savoir s’il suffit à une religion de se prétendre rationnelle pour se vouloir « vraie » : tel est bien le problème que Lessing fait sien dans son propre siècle, du Christianisme de la raison daté de 1753 à la publication des thèses déistes de Samuel Reimarus qui déclenche le scandale vingt ans plus tard. Dans Nathan le Sage, épilogue littéraire à cette « querelle des Fragments » qui vient de buter sur la censure, Lessing mettra à nouveau en scène un juif, un chrétien et un musulman, mais en suggérant une conception différente de l’idée même d’une vérité religieuse. Le plaidoyer envers la « tolérance », avant même de concerner ce que nous appellerions aujourd’hui les « relations interconfessionnelles », s’enracine en réalité dans ce socle de réflexion par lequel Islam, anti-trinitarisme et déisme, du 16e au 18e siècle, confrontent le christianisme à la tentation de conforter sa vérité par l’image de sa rationalité.
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Dates et versions

halshs-02987342 , version 1 (03-11-2020)

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Citer

Charlotte Morel. Lessing et les hérétiques du XVIe siècle : de l’anti-trinitarisme à la réflexion sur le déisme et la religion rationnelle. M. Méricam-Bourdet, C. Volpilhac, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 413-433. La fabrique du XVIe siècle au temps des Lumières, Classiques Garnier, pp.413-433, 2020, Rencontres, ⟨10.15122/isbn.978-2-406-09404-3.p.0413⟩. ⟨halshs-02987342⟩
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