"C'est pour le bébé": Contours et enjeux de la sanitarisation des grossesses - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2020

"C'est pour le bébé": Contours et enjeux de la sanitarisation des grossesses

Résumé

Les analyses historiques et sociologiques de la reproduction humaine ont mis en lumière le processus de médicalisation de l’accouchement et de la grossesse, souvent problématisé sous l’angle de la prise de pouvoir du corps médical sur les femmes. Les interventions techniques sur les corps des femmes ont particulièrement retenu l’attention : échographie, césarienne, épisiotomie, analgésie péridurale, etc. (Akrich, 2006 ; Oakley, 1980 ; Jacques, 2007). Cette communication propose de déplacer le regard en explorant la sanitarisation des grossesses. À la suite de P. Conrad, la sanitarisation (healthization) est ici comprise comme « une présence des questionnements de santé à tous les niveaux de la vie quotidienne (alimentation, activité physique, etc.) » (El Kotni & Faya Robles 2018) qui « transforme la santé en morale » (Conrad, 1992). Il s’agit donc de questionner les enjeux et les effets de cette extension du sanitaire, en problématisant la manière dont l’institution médicale participe à produire une morale genrée de la responsabilité́ maternelle. Cette communication est basée sur une enquête de terrain réalisée en Île-de-France (2014-2017) qui a combiné des observations dans deux maternités hospitalières (accueil, consultations, cours de préparation à la naissance) et des entretiens avec des femmes enceintes, parfois leur conjoint, et des professionnelles de santé hospitalières. L’institution hospitalière joue un rôle majeur dans le « gouvernement des grossesses » (Cahen, 2014) en France : la quasi-totalité́ des accouchements ont lieu à l’hôpital, et pour plus d’une femme sur trois l’ensemble du suivi est réalisé en maternité hospitalière (Blondel & Kermarrec, 2011). Dans la maternité qui a constitué le terrain principal de l’enquête, la totalité du suivi prénatal était réalisé à l’hôpital. Si une partie du soin est réalisé à l’hôpital, une grande part du « travail sanitaire » est produite par les femmes enceintes elles-mêmes qui sont amenées à s’auto-surveiller et à modifier leur vie quotidienne en fonction d’impératifs de prévention. Nous examinerons dans un premier temps la manière dont l’institution hospitalière institue les fœtus comme objets des soins et les femmes enceintes comme « mères » responsables de la santé de leur futur enfant. Dans un second temps, nous verrons que les femmes enceintes sont amenées à prendre soin d’elles pour autrui, non seulement en se conformant à un parcours de soins mais aussi en modifiant leur hygiène de vie et en effectuant une auto-surveillance au quotidien. Cette surveillance est appuyée sur un ensemble de dispositifs matériels (livrets d’informations, etc.) et l’entourage y prend une part, notamment les conjoints dont le rôle est souvent ambivalent entre soin et rappel à l’ordre. Enfin, nous montrerons que l’adhésion et la mise en pratique de la prévention au quotidien est socialement située : les femmes les plus diplômées et les plus aisées se montrent plus enclines à modifier leur vie quotidienne pour préserver la santé du fœtus, en l’absence de pathologie avérée, tandis que les femmes de milieu populaire sont plus distantes des pratiques de prévention. Aborder le gouvernement des grossesses par la sanitarisation permet ainsi de se départir d’une opposition rigide entre pouvoir médical et impuissance des patientes, discours savants et pratiques profanes.
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02971450 , version 1 (19-10-2020)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02971450 , version 1

Citer

Elsa Boulet. "C'est pour le bébé": Contours et enjeux de la sanitarisation des grossesses. Gouverner les corps et les conduites, Oct 2020, Lyon, France. ⟨halshs-02971450⟩
155 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More