L. Bon-des, Vous êtes trop modeste. Les ouvrages de Lully faisaient un grand tour avant que d'arriver au Pont-Neuf qui est la pierre de touche de la bonne musique et vos chansons y arrivent de plein saut 36

, Les théâtres, s'ils ne sont pas étanches les uns aux autres, ne sont pas non plus des îlots coupés de la rue et de la société de l'époque, d'où l'intérêt de se placer à l'échelle de toute une ville

F. Si-le, Le répertoire de l'Académie royale de musique apparaît lui-même comme une sphère poreuse, qui doit être envisagée dans une dynamique d'échanges, de circulation, qui transcende les genres musicaux et la dichotomie musique savante / musique populaire. Le fait que Rameau compose d'abord pour la Foire 37 et intègre certains airs initialement conçus pour celle-ci dans ses opéras, atteste cette absence de ligne de démarcation entre musique dite « savante » et musique dite « populaire ». L'air des Sauvages composé pour la Foire en 1725 pour accompagner des Indiens de la Louisiane, est publié peu après dans le troisième livre des pièces pour clavecin, puis orchestré pour l'Opéra en 1736, inséré dans les Indes galantes sous le titre de « Danse du grand calumet de la paix », développé en un vaste duo et choeur en rondeau « Forêts paisibles 38 », puis recyclé sous forme de vaudeville. Graham Sadler recense 74 emprunts de Rameau à sa propre oeuvre 39 . Un air né à la Foire, peut donc y revenir après certains détours, y compris par la scène de l'Académie royale de musique : le trajet est circulaire, que Lully recycle des airs populaires (c'est-à-dire connus) a été prouvé pour Roland, son avant-dernière tragédie en musique créée en 1685, c'est-à-dire à l'apogée de sa carrière, tout porte à croire que ce cas n'est pas un hapax, vol.40, 1755.

». Aricie, . Ainsi, and . Favart, image de Mandrin, ce Robin des bois français qui volait aux riches pour donner aux pauvres, a sans doute emprunté au savant Rameau, ce que ce dernier avait tiré de la musique traditionnelle 41 ». Les flux migratoires sont donc divers et ne fonctionnent pas à sens unique

, Quelques glanes de parodies d'opéras

. L'ancien-théâtre-italien, En 1692, trois petites comédies se jouent des frontières et des monopoles et forment une trilogie en reprenant le terme « opéra » dans leur titre même : il s'agit de L'Opéra de campagne de Dufresny, de L'Opéra de village de Florent Carton Dancourt, représenté à la Comédie-Française, enfin de L'Union des deux opéras de Dufresny, petite comédie de circonstance destinée à répondre à L'Opéra de village tout en réaffirmant la supériorité de L'Opéra de campagne sur celui « de village ».L'intrigue de L'Opéra de campagne rappelle celle de Renaud et Armide de Dancourt (1686), dont elle imite la trame. Mme Prenelle rêve de mettre sa fille Thérèse au couvent et de passer tout son temps à l'Opéra. Arlequin, le valet d'Octave, engage une troupe d'opéra pour se jouer de Mme Prenelle, laquelle a une liaison avec son serviteur Pierrot. Pendant la représentation de l'opéra qui parodie Armide, Pierrot est enlevé, tandis que Thérèse et Octave s'échappent. Mme Prenelle, furieuse, renonce à l'opéra et détruit toutes les décorations du théâtre, imitant Armide qui mettait à bas son palais enchanté. Dufresny transfère l'opéra dans un contexte bourgeois et greffe des paroles triviales sur le sommeil de Renaud et le grand monologue d'Armide « Enfin il est en ma puissance ». Les bords de la rivière de l'acte II, avant sa fermeture en 1697, est un important foyer d'airs migrateurs et de parodies d'opéras. C'est à partir de la collaboration de Charles Dufresny que les Italiens tendent à généraliser la pratique de l'importation de parodies d'opéras

L. Fuzelier and . Mode, BnF, département de la musique, Nos italiques, p.17, 1719.

, Pièces pour lesquelles Rameau a composé la musique : L'Endriague, 1723 ; L'Enrôlement d'Arlequin, 1726 ; La Rose, 1726 ; La Robe de dissension ou le faux prodige, p.1726

R. Legrand, Rameau des villes et Rameau des champs : itinéraires de quelques mélodies ramistes, p.8, 2002.

G. Sadler, « A re-examination of Rameau's self-borrowings », Jean-Baptiste Lully and the music of the French Baroque : Essays in honor of James R, p.260, 1989.

L. Mandrin, né en 1724, meurt pendu en 1755. M. David et A.-M. Delrieu, Aux sources des chansons populaires, p.217, 1984.

J. Tamby, Romances et complaintes de la France d'autrefois », le Poème Harmonique (direction V. Dumestre), Alpha 500, Aux Marches du Palais, p.814, 2001.

N. Boindin, Lettres historiques sur tous les spectacles de Paris, p.90, 1719.

R. Arlequin-en, Les Violons jouent le Sommeil d'Armide, et Arlequin voyant la broche pleine de viande, dit. Je pense que voilà le souper de l'Opéra qui cuit. Il me prend plutôt envie de manger que de chanter. Mais chantons vitement. Plus j'observe ce rôt

, Je m'éloigne à regret d'un morceau si friand

L. Violons,

, Un son harmonieux se mêlent au bruit des eaux. Les poulets fricassés se cuisent pour m'attendre, Des charmes de la faim j'ai peine à me défendre 43 . Défendre ? Je ne saurais pourtant manger que je n'aie reposé ; car le repos est aussi dans mon rôle. Courons donc vite au lit, La Symphonie continue et Arlequin dit : Oh ma foi, les chapons m'ont fait oublier mon rôle? Attendez, attendez

, Il chante ces dernières paroles sur l'air : De mon pot je vous en réponds, mais de Margot non non. Il se déshabille et répète : Tout m

, Il jette à terre son habit à la romaine, et son casque, et paraît en chemise ; et dans cet équipage il traîne au milieu du théâtre un petit lit de repos qui était au fond, et se couche dessus. Un moment après il se lève, et regarde partout sous son lit, en disant : Où est donc le pot de chambre, p.44

, Le public qui va admirer La Rochois à l'Opéra, loin de s'offusquer de ce qu'on ose toucher à son idole, prend au contraire un plaisir certain à venir admirer les talents d'imitateurs de l'acteur italien qui parvient à saisir par le biais du travestissement quelque chose de la quintessence du talent de la chanteuse. Le monologue devient une charge satirique teintée de misogynie : MAD. PRENELLE, en Armide, contrefaisant mademoiselle Rochois, très excellente actrice de l'opéra, et qu'on regrettera éternellement. Enfin il est en ma puissance Ce mépriseur d'appas, ce glacé jouvenceau Il me vit sans m'aimer ; j'enrage quand j'y pense Cruel

, Sans faiblesse, mon coeur, qui te fait palpiter ? Ma pitié sent un peu ce que je n'ose dire. Frappons. Ciel ! Qui peut m'arrêter ? Achevons. Je frémis. Vengeons-nous. Je soupire. La vengeance pour moi n'a plus rien de charmant

, Armide : « Plus j'observe ces lieux et plus je les admire, / Ce fleuve coule lentement / Et s'éloigne à regret d'un séjour si charmant. / Les plus aimables fleurs et les plus doux zéphyrs / Parfument l'air qu'on y respire. / Non, je ne puis quitter des rivages si beaux. / Un son harmonieux se mêle au bruit des eaux / Les oiseaux enchantés se taisent pour l'entendre / Des charmes du sommeil j'ai peine à me défendre / Ce gazon, cet ombrage frais, / Tout m'invite au repos sous ce feuillage épais, Voici les paroles originales de cette scène 3 de l'acte II d

. Théâtre-italien-de-gherardi, P. Paris, and . Vitte, , pp.55-56, 1717.

. Suis-je-donc-femme and . Oui, je la suis vraiment. Je passe en un moment de l'excès de la haine À celui de l'amour

, Orphée chante six couplets « sur l'air des Trembleurs » dont les paroles sont totalement déconnectées du contexte original d'Isis et de l'isotopie du froid et portent la « morale » de la comédie 47 . Pour ces Trembleurs, il existe au siècle suivant une sémantique propre au vaudeville, une palette de tremblements possibles dont le contexte dramatique et l'interprétation du chanteur viennent actualiser l'une ou l'autre couleur. Par exemple, dans Les Enragés de Lesage, Fuzelier et d'Orneval, Olivette feint d'avoir la rage et pour effrayer Arlequin, Comme exemple d'air d'opéra qui se trouve sur la scène de l'ancienne Comédie-Italienne puis qui migre sur celle de l'Opéra-Comique et dans le répertoire des parodies dramatiques, on peut citer les Trembleurs d

, Et la raison m'abandonne

. Arlequin,

!. Miséricorde and . Olivette,

. Arlequin and . Théâtre,

!. Aiuto-!-aiuto, Olivette l'attrape à la fin, et le mord à l'oreille. Arlequin crie en s'échappant 48 )

, L'air des Trembleurs suscite dans la plupart de ses réemplois des affects liés au tremblement : colère, rage, fureur, menace, crainte, transe

, Il est sollicité pour les tremblements liés à la vieillesse et d'ailleurs mis en parallèle avec l'air des Trembleurs dans une scène de La Jalousie avec sujet de Fuzelier : la fièvre lente s'y exprime sur l'air des Trembleurs, la fièvre chaude, sautillant toujours, sur l'air des Vieillards de Thésée, et les deux fièvres se coupent sans cesse la parole 49 . Autre occurrence caractéristique des Vieillards de Thésée, sous la plume de Denis Carolet, qui apprécie particulièrement cet air, pour accroître le ridicule de la Nourrice dans Pierrot Cadmus, parodie de Cadmus et Hermione : LA NOURRICE Air : des Vieillards de Thésée, L'air des Vieillards de Thésée est un cas où le rapport à l'intertexte est particulièrement fort

L. Dans, Union des deux opéras, espèce de parodie d'Isis de Lully, Charles Dufresny le fait jouer sur une vielle

«. Qu'un-homme-entre-en-mariage and /. Qu, il prenne une fille sage. / Qui passe en son voisinage / Pour exemple de vertu : / Fut-il rusé comme un braque, / Et sage comme un pibraque, / Un jeune fou survient : craque, Les Aventures des Champs-Élysées

L. Enragés, , vol.21

. Ms and . Fr, Que ce mépris : On peut bien à mes charmes Rendre encor les armes : Je sais conduire un soûris, J'ai de la souplesse, De la gentillesse, vol.225, p.9333

L. Comédie-italienne, Le timbre Cahin Caha est issu du Tour de Carnaval d'Allainval et Mouret créé en 1726. Dans Pierrot Cadmus de Carolet, parodie de Cadmus et Hermione de Lully et Quinault en 1737, Arbas chante un couplet nostalgique sur cet air de Mouret. Ici, c'est toute l'esthétique spectaculaire de l'opéra qui est remise en question : Dans sa jeunesse Cadmus était bouffon, Amusant, polisson, Un peu même histrion, Il était sans façon, Quoique plein de noblesse : Aujourd'hui ce n'est plus cela, qui ré-ouvre ses portes en 1716, fournit elle aussi des timbres de vaudevilles dans la première moitié du siècle

. L'opéra, La parodie a donc ici une fonction nostalgique et critique, à une époque où la musique de Lully tend à devenir la pierre de touche du goût conservateur. Les parodies de Lully visent alors à protéger l'idéal du modèle contre les dérives ramistes. Cahin Caha de Mouret devient ainsi un vaudeville très populaire, particulièrement apprécié par Carolet et régulièrement utilisé dans sa fonction critique nostalgique d'opposition entre deux époques, l'une, passée et heureuse, et l'autre, actuelle et décadente. Les ramifications des flux migratoires sont donc complexes : le détour par l'air de Mouret croise le fer avec la critique et réactualise le souvenir du spectateur, selon l'esthétique du mille-feuille ou de la poupée russe. Ce sont finalement ici trois scènes qui se télescopent dans l, avait subi de nombreuses modifications. Carolet, en prenant pour cible et modèle de sa parodie la version originale de Quinault

, entre la scène et la salle, entre la musique dite « savante » et la musique dite « populaire », sont nombreux et réciproques. La même mélodie se décline et s'incarne dans d'autres textes, avec d'autres arrangements musicaux, d'autres accompagnements, d'autres harmonisations, en fonction de son cadre d'exécution. Les théâtres parisiens, en tant que lieux de transition, de transmission -mais aussi de transformation -jouent un rôle dans la diffusion, la vulgarisation mais aussi la conservation de ces airs migrateurs. Par sa capacité à passer de bouche en bouche et de scène en scène, l'air chanté est in fine un agent de perméabilité entre les frontières spatiales, génériques et sociales, qui, sous la forme de parodies spirituelles, La parodie dans son acception la plus large, par-delà la diversité des pratiques, est un phénomène socioculturel emblématique d'une culture circulaire dans laquelle les échanges entre les théâtres

. Ibid,

. Jusqu'à-pulvériser-la-ligne-de-démarcation-entre-le-sacré and . Le-profane, Il est difficile de suivre la piste du devenir d'un air, depuis son émanation jusqu'à sa perte. Le passage par la scène permet au mieux d'en saisir un aspect, un apparaître, un composé éphémère et instable, promis à d'autres états. Le fredon, volatil et fugitif, malléable et plastique, se transforme au gré de ses migrations. L'air chanté est un passe-muraille entre les sphères, entre les mondes, et c'est ce qui fait aussi de lui un instrument politique privilégié, comme le rappelle cet avatar des Trembleurs d'Isis, air qui a changé de couleur politique au gré des bouleversements de l'Histoire et de ses voyages migratoires, inter-et extra-scéniques. On le retrouve notamment dans le Chansonnier Français Républicain ou recueil de Chansons, d'odes, de cantates et de romances relatives à la Révolution française, et propres à entretenir dans l'âme des bons citoyens la gaieté républicaine, Le contenu de ce couplet redouble le pouvoir qu'ont ces airs migrateurs à transcender toujours plus les frontières et à voyager toujours plus loin : « Aux Anglais

S. Le-simple, Sur l'air de? convoque bien plus qu'une mélodie : puissant sésame, il fait surgir et réactive un hors-texte qui appartient à la mémoire collective et individuelle, charrie paroles, images, expériences vécues