« Serge Moscovici (1925-2014) : In Memoriam » - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Cahiers de psychologie politique Année : 2015

« Serge Moscovici (1925-2014) : In Memoriam »

Résumé

(1925-2014) : In Memoriam Serge Moscovici avait une curiosité, un gai savoir et une tolérance contagieux qui donnaient envie d'entreprendre et de farfouiller les territoires les plus divers. Il soutenait intellectuellement des projets qui pouvaient paraître, au premier abord, assez éloignés de son domaine. Il le faisait toujours avec une attitude bienveillante, non exempte de dureté au moment fatidique de la soutenance ou de l'exposé des idées. Il avait aussi, comme on dit, « du charisme ». Nombre d'amis, d'intimes, d'alliés ou de commentateurs s'accordent à le reconnaître. Une puissance relationnelle, affectivo-cognitive qui lui venait sûrement de sa radicale capacité à se concentrer sur un thème d'ouvrage ou une idée phare, d'une part, et des leçons qu'il avait tiré de son expérience de vie riche et tumultueuse ou des épreuves et des obstacles affrontés durant sa jeunesse, de l'autre. Sa vie était traversée à la fois par la joie, la bonne humeur, la jubilation du présent, parfois par le souvenir du tragique et aussi par le sarcasme, l'humour provocant et la moquerie qu'il fallait parfois accepter stoïquement. Je me souviens que cet avis était partagé sur sa manière d'être et sa philosophie générale de vie lors des discours et hommages des différents membres de sa famille et de ses amis lors de ses obsèques, le 20 novembre 2014, au Cimetière Montparnasse où il repose, pas très loin de la tombe du Capitaine Dreyfus, personnage fameux dont il avait beaucoup parlé dans ses séminaire, tant dans ses analyses sur La Recherche du temps perdu de Proust que dans ses commentaires sur les déplorables agitations antisémites, en France, à la fin du XIX e siècle. Moscovici était, selon moi, un existentialiste dans ses actes : il avait su reconstruire et tirer les fils de son identité en s'imprégnant de la langue française. Il disait fort justement qu'apprendre une langue c'est aimer la culture et le pays de la dite langue. Il aimait énormément la France et Paris où il allait exprimer et développer son envergure intellectuelle et scientifique. Son attitude distanciée mais engagée, cynique et passionnée, sage et truculente conférait à sa personne une sorte d'aura qui engendrait une authentique fascination partout dans le monde. Fascination paradoxale auprès des proches et des doctorants car Moscovici ne voulait pas rendre dépendants ceux qui l'aimaient. J'ai toujours été persuadé que le charisme de Moscovici était de type mosaïque. Dans son livre de 1981, L'Âge des foules. Traité historique de psychologie des masses, il avait distingué la forme du charisme totémique du type mosaïque. Ce dernier type, plus tonifiant et créatif, renvoie à l'adhésion spirituelle et réflexive des disciples dont le point de vue est intérieurement transformé, irrigué, donnant lieu à une poursuite d'oeuvres parallèles et de pratiques hétérodoxes ; le type totémique a une dimension plus négative, pernicieuse, impliquant une adhérence à la personne « totémisée » et à ses fétiches, sans que les adeptes ne sachent vraiment de quoi il en ressort ; ce qui les conduit à l'aveuglement (stalinien, hitlérien, et j'en passe), avec des effets associés d'orthodoxie, de dogmatisme, de fanatisme et à d'endoctrinement. Dans ses séminaires doctoraux, il savait faire passer, par l'exemple de ses écrits et de ses recherches, sa passion pour les livres et une manière de penser le social (le fameux regard ternaire et l'étude empirique des effets de la « tiercéité » du symbolique et des représentations). En 1985-1987, j'avais pu avoir l'honneur, avec d'autres, de suivre, pas à pas, ses développements nombreux et suggestifs, à l'EHESS-Paris, sur les oeuvres de Max Weber, Georg Simmel et Émile Durkheim qui allait donner forme, au livre, La Machine à faire des dieux. Sociologie et psychologie (publié chez Fayard, en 1988), récompensé par le Prix européen d'Amalfi pour la sociologie et les sciences sociales. Personne ne niera que l'oeuvre de Moscovici est polymorphe, comme l'homme, baignant à la fois dans sa vie et dans son intellectualité, dans la psychologie et la sociologie, l'histoire et les sciences politiques, l'épistémologie et l'histoire des sciences, l'anthropologie et l'écologie. À mes yeux, il était à la fois un scientifique et un sage. On peut parler d'une exemplarité de son cheminement intellectuel et éthique. Cette exemplarité peut être méditée de nos jours, vu le retour d'un grand nombre de phénomènes extrémistes tant religieux que politiques dans le monde. Il insistait sur l'idée que les scientifiques ne doivent pas se réfugier derrière une position techniciste et neutre. Il incitait ses étudiants et ses amis à prendre des risques, certes mesurés, mais surtout à se rebeller contre les discriminations, le racisme ou les formes extrémistes de pensée. En gros, neutralité quand c'est possible et tolérance oui, mais avec des limites et en restant toujours vif et attentif. Il m'a toujours donné l'impression d'un combattant. Là résidait sa sagesse, rudement acquise par sa
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Citer

Jean-Marie Seca. « Serge Moscovici (1925-2014) : In Memoriam ». Cahiers de psychologie politique, 2015, 26. ⟨halshs-02960732⟩
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