, entre une « veritas ad dicendum opportuna », utile à ses destinataires et qu'il fallait déclarer sans crainte du scandale, qui n'affecterait que les mauvaises gens, et d'autre part une « veritas ad dicendum perniciosa », qui risquait en revanche de porter préjudice aux simples gens 96 . Si l'on tient compte des prises de position ultérieures de Godefroid de Fontaines, notamment sur les questions de savoir qui, d'un bon juriste ou d'un théologien, serait le plus apte à administrer l'Église (1293), ou si un théologien pouvait refuser de déterminer une question de crainte d

, On ne peut pourtant donner rang de responsio à l'argument contra 97 , dont l'opinion de Godefroid de Fontaines n'aurait vraisemblablement jamais assumé la rudesse

, Le premier (non) paraphrase un dictum de Gratien, qui subordonne le pouvoir d'interpréter les canons au pouvoir de les produire 98 : ce qui est établi par le pape ne peut être interprété et donc déterminé que par lui. L'idée selon laquelle les normes pontificales donnent prise au doute constitue le point d'accès à ce système clos, car suivant l'argument contra, « c'est à la raison qu'il appartient d'enquêter sur les choses douteuses et de juger et déterminer à leur propos après enquête ». En contrepoint à l'autorité de Gratien, celle d'Abélard étaye ici implicitement l'argument, qui évoque assez précisément l'indication méthodologique donnée à la fin du prologue du Sic et non : « Dubitando quippe ad inquisitionem venimus, Les deux arguments conservés méritent, en tant que tels, une brève analyse

, On pouvait envisager de différer la détermination d'une « question litigieuse » pour éviter d'exposer les dissensions des grands docteurs aux yeux des simples gens (Godefroid de Fontaines, Quodlibet IV, vol.13, pp.275-276

H. De and G. , , p.305, 1981.

, Quoique sur la base de ce seul argument Yves Congar ait affirmé que « Godefroid de Fontaines maintenait le droit des maîtres [...] à déterminer les choses qui sont du ressort du pape parce que ea quae condita sunt a papa possunt esse dubia » (Yves Congar, Bref historique des formes du 'magistère' et de ses relations avec les docteurs, RSPT, vol.60, p.104, 1976.

D. Gratiani,

. Abélard, Sic et non, A Critical Edition, 1976.

. Godefroid-de-fontaines and I. Quodlibet, 10 : « de illis sapiens praecipue ratiocinando potest inquirere et determinare. Sed doctor in theologia debet esse inter alios de numero sapientum

, du récit des événements, c'est cette prise de position qui a valu à Henri de Gand d'être suspendu « ab officio lectionis » sur l'ordre de Benoît Caetani 104

, Le second discours du légat s'adresse précisément à la délégation universitaire venue demander la réintégration d'Henri de Gand : « Vous, maîtres de Paris, avez rendu ridicule la doctrine de la science

, Vous siégez dans vos chaires et vous pensez que le Christ se guide d'après vos raisonnements

, Mais voilà la solution : nous ordonnons, en vertu de l'obéissance, que sous peine d'être privé d'office et de bénéfice, aucun maître ne prêchera ni ne disputera ni ne déterminera plus au sujet dudit privilège, ni en privé, ni en public. Ce privilège conservera toute sa force. Et si l'on a des doutes à son sujet, qu'on en demande l'interprétation au souverain pontife. Mais je vous le dis vraiment, la curie romaine briserait l'université de Paris plutôt que de retirer leur privilège aux frères, p.105

, carême 1291) la question de savoir « s'il est permis aux maîtres de disputer dans les écoles du pouvoir des prélats » 107 . Ayant dénoncé les disputes qui ne visaient qu'à nuire aux prélats 108 ou à en tirer profit, il déclare ce genre de dispute « omnino 104 Ibid, pp.289-290

«. Vos, Set hanc sic solve, praecipimus, in virtute oboediencie sub poena officii et beneficii, ne aliquis magistrorum de cetero de dicto privilegio praedicet, disputet vel determinet occulte vel manifeste. Et privilegium fratrum in suo robore stet. Et qui de dicto privilegio dubitet, interpretationem a summo pontifice quaerat. Vere dico vobis, antequam curia Romana a dictis fratribus dictum privilegium amoveret, magistri Parisienses, stultam fecistis doctrinam sapientiae, turbantes orbem terrarum, quod nullo modo faceretis, si statum ecclesiae universalis nosceretis. Sedetis in cathedra et putatis, quod racionibus vestris regatur Christus

R. Macken, On peut s'étonner du fait que le maître ait accepté de traiter la question 15 dans un tel contexte, quoique sa détermination soit en pleine cohérence avec ses prises de position antérieures, qu'il ait été en première ligne dans la résistance aux légats investis de l'autorité pontificale et qu'il s'agisse de son dernier Quodlibet. John Marrone, The Absolute and Ordained Powers of the Pope. An Unedited Text of Henry of Ghent, croit lire dans le récit des événements de 1290 que le silence imposé aux maîtres aurait été le prix de la rapide réintégration d'Henri de Gand, vol.36, 1974.

. Henri-de-gand and X. V. Quodlibet, Utrum licitum sit magistris disputare de potestate praelatorum, vol.15, pp.147-154, 2007.

, En cas de doute, il ne fallait pas obéir, mais « de illis interrogare, et per disputationem veritatem perquirere » 110 . En définitive, les prélats auraient toujours dû laisser disputer de leur pouvoir, sauf à le rendre suspect d'être trop fragile pour supporter l'épreuve de la dispute, à l'instar de Mahomet « qui, parce qu'il tenait pour suspecte la vérité de sa loi et craignait que la dispute n'en révèle la fausseté, La dénonciation de ces disputes hostiles s'appuie notamment sur la paraphrase d'une loi romaine (Codex Iustinianus, vol.9

C. Dans-le-même-contexte, la question de savoir s'il était permis à un docteur, et surtout à un théologien, de refuser une question dont la détermination manifesterait une vérité propre à offenser des gens riches et puissants 112 . Godefroid de Fontaines rappelle à cette est dubitare, an is dignus sit, quem elegerit imperator ») devenue un lieu commun au XIII e siècle et dont les remplois en droit canonique, puis dans le domaine laïc, ont été analysés par Othmar Hageneder, marqué par l'interdiction faite aux maîtres de disputer du privilège sous peine d'être privés de leurs offices et de leurs bénéfices, que Godefroid de Fontaines a déterminé, vol.118, pp.235-249, 1996.

. Ibid, , vol.152

. Godefroid-de-fontaines and X. Quodlibet, Utrum liceat doctori, praecipue theologico, recusare quaestionem sibi positam cuius veritas manifestata per determinationem doctoris offenderet aliquos divites et potentes » (Hrsg, vol.6, pp.105-108, 1932.

, claironner la vérité : « Clama, ne cesses ; quasi tuba exalta vocem tuam, et annuntia populo meo scelera eorum, et domui Iacob peccata eorum

, avait hérité de la fonction apostolique de dire la vérité ; la question de la division et du partage des clés, associant au pouvoir sacerdotal une science indéfinie ; la question de l'autorité que les maîtres se donnent de dire la vérité sur le pouvoir pontifical -se relient toutes à la cristallisation de l'autorité et de la vérité dans le « magistère des docteurs », experts reconnus de la déclaration et de la manifestation de la vérité dans un cadre institutionnel agréé par la papauté depuis le XIII e siècle. Cette cristallisation s'opère alors dans la tension ou l'affrontement avec la papauté comme pouvoir double

, bafouait les injonctions scripturaires et sapait ses propres fondements. L'affaire du privilège des frères actualise, en l'occurrence, le conflit virtuellement contenu dans la délégation par l'Église de sa fonction doctrinale ; il rappelle aussi les divisions qui traversent l'université et préserve de l'erreur qui consisterait à réduire les relations entre la papauté et les docteurs à l'opposition de deux blocs nettement définis, réagissant de façon univoque et constante en toutes circonstances, On retrouve ces motifs et ces divisions au début du XIV e siècle dans les traités de potestate papae notamment étudiés par Jürgen Miethke 115 , dans les premières expressions de la théorie de l'infaillibilité pontificale étudiées par Brian Tierney, vol.116

, Et est diligenter cavendum doctoribus ne trepidantes ubi non est timendum, fingant sibi iustam causam tacendi quando non est ; quia pauci inveniuntur, qui culpari possunt de excessu in veritate dicenda, plurimi vero de taciturnitate. Unde Sacra Scriptura semper consuevit vehementer hortari ad veritatem docendum

J. Miethke and . De-potestate-pape, Die päpstliche Amtskompetenz im Widerstreit der politischen Theorie von Thomas von Aquin bis Wilhelm von Ockham, 2000.

B. Tierney, Origins of Papal Infallibility, 1972.

D. Cf and P. D. Taber, Ailly and the Teaching Authority of the Theologian, Church History, vol.59, pp.163-174, 1990.

C. Meyjes and J. Gerson, Apostle of Unity. His Church Politics and Ecclesiology, 1999.

L. Pascoe, . Church, . Reform, and . Bishops, Theologians and Canon Lawyers in the Thought of Pierre d'Ailly, vol.192, pp.1351-1420, 2005.

, Celle-ci semble finalement dominée par la figure d'Henri de Gand, dont la cohérence et la continuité des actes et de la pensée s'observe dans les textes comme dans le récit des événements de 1290, où la revendication qui lui vaut d'être suspendu coïncide précisément avec la doctrine des questions ordinaires, rappelée et développée dans les Quodlibets, qui soumettait les papes à une vérité évangélique que le Christ avait produite et que les docteurs avaient primordialement compétence à interpréter. C'est du reste à la question sur la licéité de disputer du pouvoir des prélats, déterminée par Henri de Gand en 1290 ou 1291, que le chapitre 22 du traité De potestate regia et papali de Jean Quidort fait écho une dizaine d'années plus tard, vers 1302-1303, dans un tout autre contexte 119 : « An licitum sit de huiusmodi pertinentibus ad papam disputare et iudicare » 120 . Contre les périls de l'ignorance, Jean Quidort revendique la nécessité de rechercher la vérité (« Tanto magis in talibus est veritatem inquirere, quanto periculosius esset in hoc non cognoscere veritatem » 121 ) dans le cas où il conviendrait de douter et de disputer du statut même du pape (« an scilicet sit papa vel non » 122 ), en raison d'une défaillance dans l'élection ou d'un défaut personnel. De même, poursuit Jean Quidort, en ce qui concerne le pouvoir du pape, à savoir ce qu'il peut ou ne peut pas [faire], je ne crois pas qu'il soit répréhensible de rechercher la vérité, lorsque l'ignorance serait dangereuse et que l'on ne saurait avec certitude, par exemple, s'il peut dispenser un bigame ou dispenser d'un voeu solennel de continence, inhérente à l'articulation de l'autorité et de la vérité dans l'Église, et en l'exacerbant dans certains cas pour exprimer la spécificité de leur propre autorité. A cet égard, Pierre et Paul, significativement mais aléatoirement mobilisés par la réflexion scolastique sur les rapports entre la papauté et les docteurs, ne sont pas les vrais héros de l'intrigue

. Peut-Être-cela-répond-il, Chapter 22 deals with whether one is permitted to debate and judge issues concerning the pope, and looks like a determination in a university debate, possibly a contribution to the debate on such issues at the University of Paris, c. 1295 ( ?), Das Publikum politischer Theorie im 14. Jahrhundert, hrsg. v. Jürgen Miethke

F. Hrsg and . Bleienstein, , pp.192-196, 1969.

, Il Pensiero Politico. Rivista di storia delle idee politiche e sociali, pp.13-14, 2008.

. Ibidem,