, histoire de Caïn en fuite, qui est une des sources de la légende du Juif errant 31 , a sa source dans la Bible. Caïn a d'abord voulu éluder sa responsabilité dans le meurtre de son frère, vol.4, pp.10-16

, Tu seras fugitif et fuyard sur la terre

, Caïn dit à Iahvé : (?) Je serai fugitif et fuyard sur la terre et il arrivera que quiconque me rencontrera me tuera

D. Iahvé-lui, Eh bien ! Quiconque tuera Caïn, Caïn en sera vengé sept fois'. Alors Iahvé mit un signe à Caïn pour que ne le frappe pas quiconque le rencontre. Puis Caïn sortit de devant Iahvé et il habita au pays de Nod

, Cette figure de proscrit en fuite ne peut que retenir l'attention. Mais comme plusieurs commentateurs l'ont vu, il n'a pas dû errer longtemps puisqu'il a construit une ville à la naissance de son fils Hénoch. A propos de 'Il habita au pays de Nod', Nachmanide cherchait à combiner les deux : Il ne marcha pas dans le monde entier, mais il s'installa dans ce pays-là, errant sans cesse, et il ne s'y reposait dans aucun endroit, Aussitôt après, on nous dit que Caïn eut un fils Hénoch, dont il donna le nom à la ville qu'il bâtissait

, Je serai errant et vagabond', ou 'errant et vagabond' est na? wa-nad -ce dernier mot est le participe du verbe nûd

, Peut-être prend-il l'expression 'je serai errant' comme une sorte de façon de se nommer : 'je serai Errant'. En effet, on peut penser, avec Rachi

, XIIIe siècle) a un intéressant commentaire sur ce passage. A propos de la concstruction de ville de Hénoch, il remarque que le texte n'est pas 'il construisit' (banah ou, en style de récit, wa-yyibèn) mais 'il construisait' (wa-yehî bônèh) : 'cela montre, dit-il, qu'il passa sa vie à la construire, Ce même érudit catalan

, Sa première idée est qu'il s'agit de montrer que Dieu est bon, qu'il a retardé la punition, mais il admet aussitôt que cela n'a fait que reporter la punition sur le dernier descendant. D'ailleurs, dit-il un peu après, on ne cite pour lui que six générations, alors que Seth en a deux de plus. Mais il a encore une autre idée (dans ce type de commentaire, on pense que chaque idée doit être indiquée, car si toutes ne sont pas bonnes, peutêtre quelques unes le sont, et que la vérité peut être composite) : il s'agissait de nous indiquer comment ses descendants ont été des inventeurs, Puis il se demande pourquoi la Torah cite tous ces descendants de Caïn, vol.4, pp.20-22

, Adah enfanta Yabal : celui-ci fut le père de ceux qui habitent sous la tente et ont des troupeaux

. Le-nom-de-son, Sillah de son côté enfanta Tubal-Caïn, qui aiguise tout taillant de cuivre et de fer. La soeur de Tubal-Caïn était Naamah 32

. Et, ajouterons-nous, si ces gens-là sont les pères de tant d'artisans

. Le and . Le-targoum-de-jonathan, élabore un peu en traduisant 33 : Caïn dit alors devant Yahvé : 'Bien trop grande est ma rébellion pour que je la puisse porter, mais il y a devant toi pouvoir pour la pardonner. Voici que tu me chasses aujourd'hui de la face de la terre. Mais est-il possible que je me cache de toi ? Que si je suis un vagabond et un exilé sur la terre, Gen, vol.4, issue.15

E. Yahvé-lui and . Dit, Yahvé traça alors sur la face de Caïn une lettre du nom grand et glorieux pour que quiconque le trouverait ne le tue pas, après l'avoir remarquée. Caïn sortit de devant Yahvé et il s'établit dans la terre de l'errance de son exil 34

. Le and . En-araméen-?âtâ.-c'est-le-«-même-mot-»-À-la-manière-de-chaque-langue, Il est traduit 'signe' en hébreu, et ici 'lettre' en araméen puisqu'il s'agit d'une 'lettre du nom' 35 . Mais l'ambiguïté demeure : c'est à la fois un sauf-conduit et un signe d'opprobre. Selon l'humeur, on pourra le prendre pour l'un ou l'autre. C'est la première apparition du mot ?ôt 'signe' dans le texte biblique ; la seconde sera pour l'arc-en-ciel après le Déluge

. Nahmanide, le philosophe et commentateur catalan que nous avons déjà cité, se demande en quoi consistait ce « signe » : Peut-être, lorsque Caïn voyageait d'un endroit à un autre, Dieu lui livrait un signe indiquant la route où aller, et comme ça il savait qu'il n'arriverait rien de mal sur cette route-là, le Beréshit Rabbah, on dit de cette façon

, juste après que Rav a évoqué le chien que mentionne Nachmanide, d'autres personnages ont d'autres idées à propos de ce signe, Bereshit, vol.22

, Rabbi ?anin dit : Il fit de Caïn le signe de tous les repentants

, Pour nous, la solution plus abstraite, la transformation de Caïn en signe, est peut-être la plus séduisante. Mais ce n'était peut-être pas l'avis de Caïn

, Cerf, pp.105-107, 1978.

, Texte : wî-téib be-?ar?â ?il?ôl galûtéih

, ou signe d'une écriture) n'apparaît dans la Bible, quoiqu'il y soit très souvent question de livres et d'écrits (Voir par exemple Jérémie 36 :18, et notre texte : 'La Bible, les livres au long du livre'). Le mot ?ôt avec le sens de 'lettre de l'alphabet' apparaît souvent dans la Mishnah

, En Exode 31 :13 et 17, le mot est employé à propos du shabbat, 'signe entre moi et vous'. En Deutéronome 13 :2, le mot, associé à môfét 'miracle', est en mauvaise part : on doit se méfier de ces 'signes

, J'ai modifié l'orthographe des noms propres, p.258, 1987.

, Caïn est-il mort ?

, Ce signe posé sur Caïn n'est en effet pas très sûr, puisque Caïn mourra. Mais, à y regarder de près (et nous ne sommes pas les premiers à le faire), qui a dit que Caïn mourra ? C'est une déduction certainement hâtive, Adah et Sillah (Genèse, vol.4, pp.23-24

, C'est que Caïn sera vengé sept fois et Lamech soixante-dix et sept fois

. C'est-bien-mystérieux, Lorsque Lamech apprit que c'est Caïn son aïeul qu'il avait atteint, il frappa ses mains l'une contre l'autre et, écrasant son fils entre elles, le tua. Alors ses femmes se séparèrent de lui et il essaya de les apaiser en leur disant 'Ecoutez ma voix !', revenez à moi. L'homme que j'ai tué 'est-ce de ma blessure ?' Cette blessure était-elle intentionnelle pour qu'elle soit appelée 'mienne' ? Et le jeune homme que j'ai tué, a-t-il été tué de mon coup, c'est-à-dire de ma main ? C'est pourtant sans intention que

E. Rachi-explique-ensuite, En somme, les distiques finaux (les vers 3 à 6) doivent être pris comme des questions, sinon comme des prières. Mais les targoums en araméen ont pris un autre parti. Voici la traduction cum commento du targum de Jonathan 39 : Ecoutez ma voix, femmes de Lamech prêtez l'oreille à ma parole ! Assurément, je n'ai pas tué un homme que je doive être tué à sa place et je n'ai pas non plus supprimé un jeune homme qu'à cause de lui ma descendance doive être exterminée. Si pour Caïn qui a péché et s'est converti dans le repentir, (le jugement) a été suspendu pour lui jusqu'à sept générations, pour Lamech, fils de son fils, Caïn dont le meurtre était volontaire, on a accordé un sursis de 7 générations, alors à moi dont le meurtre était sans préméditation, n'ai-je pas droit à 77

. Le-targum-néofiti and . Nettement, Quand nous avons cité plus haut un commentateur ancien qui disait que le « signe » donné à Caïn lui permettrait de survivre jusqu'au déluge, c'est qu'il ne pensait pas qu'il serait tué par Lamech

. Rachi, font leur possible pour trouver un sens à ce poème, mais leur solution apparaît comme un conte greffé ad hoc : ce Lamech opportunément aveugle qui tire sur (et atteint !) Caïn, tandis que le jeune homme qui le guide ne voit pas la cible? et ce geste de géant qui écrase son fils par mégarde ! Rien 38 Traduction de Jacques Kohn

L. Trad and . Déaut, La traduction du Néofiti est p, p.106

, En fait, il semble bien que ce poème avait un sens qu'on ne comprend plus. Mais alors, si Caïn n'est pas mort ?! 40 En tout cas, si nous décidons qu'il a péri lors du Déluge

, Le signe tout court

, ) : 'le signe de l'alliance entre moi et la terre'. Il est plus précis encore : il évoque les cas où l'arc apparaîtra, et il explique ce que cela signifiera : Je mets mon arc dans un nuage et il deviendra signe (le-?ôt) d'alliance entre moi et la terre. Il arrivera donc que, lorsque je ferai paraître un nuage sur la terre et que dans le nuage l'arc sera aperçu, je me souviendrai de mon alliance qui existe entre moi et vous, et tout animal vivant en toute chair, Les commentateurs ont été embarrassés par ce « signe ». Tantôt ils veulent savoir à quoi il ressemble, tantôt ils veulent préciser à quoi il sert. D'autant que si l'on compare, vol.9

E. Le-signe, . Tellement, and . Qu, on se demande même ('je me souviendrai') s'il ne sert pas de signe à Dieu aussi, d'aide-mémoire, de signet, de marque

. Mais and . Mis-sur-caïn, Nous avons souligné plus haut l'ambigüité de ce signe : cible ou sauf-conduit ? De quelle sorte de passeport s'agit-il ? Le fait même qu'il n'en soit pas question dans le texte biblique (et donc amplement question dans les commentaires ensuite), est intéressant. D'abord, il est clair que c'est aussi un signe protecteur : Caïn réclame d'être protégé, et Dieu accède à sa requête. Il lui dit en somme : « d'accord, ce n'est pas juste que n'importe qui te tue, en te prenant pour n'importe qui : on va te mettre un signe ». Ce signe veut donc dire au moins deux choses. D'abord, « C'est toi Caïn

, cela signifie que le signe est à trois faces. D'un côté c'est pour identifier Caïn, à l'égard du porteur du signe « C'est toi Caïn » ; de l'autre c'est à destination d'autrui « On ne le tue pas ». Une face est à la 2 e personne, l'autre à la 3 e personne. Mais d'un autre point de vue, qui a mis le signe ? C'est Dieu. Et c'est de lui que provient la valeur spéciale de Caïn

. Or, Car dans l'histoire de l'arc-en-ciel (après le Déluge qui est censé avoir noyé Caïn et sa descendance), il y a aussi un dialogue entre Dieu et un interlocuteur, Noé, et un signe pour les autres

, Ce génie ténébreux ramène l'histoire de Caïn au face-à-face de la Conscience, et c'est ainsi qu'il appelle son poème. Mais dans la Bible ce n'est pas ainsi que les choses se passent : pas de Caïn halluciné et sombre. Il n'y a pas de meurtrier seul à seul avec son surmoi, Si nous avons tendance à rater cela

P. Noé, Noé et sa famille sont les Justes 41 . L'arc-en-ciel témoignera que ces Justes, aussi peu nombreux qu'ils aient été (comme plus tard à Sodome, quand Abraham discute pied à pied avec Dieu pour sauver quelques justes de la destruction 42 ), établissent avec eux la conviction que les Justes existent : c'est un acquis pour toujours, aussi important que le ktêma eis aiei de Thucydide 43 . Pour Caïn, la chose est moins limpide, car

, les événements ont été ensuite manipulés, mais il s'est produit quelque chose du même ordre. Sinon, pourquoi Dieu aurait-il accédé à la requête de Caïn ? Le signe témoigne pour lui

, Révision 15 août. Version 3, le 22 août. A part des détails de mise en forme et de référence, on été ajoutés : l'introduction avec l'image, et des parties sur les chronographies. D'autres parties ont été en revanche raccourcies. Version 4, le 23 août : corrections de détail, 2017.

, Genèse, vol.7, p.1

, Genèse 18

. L'historien-grec-thucydide, au début de son ouvrage sur la Guerre du Péloponèse (entre 431 et 404 AEC) dont il fut le contemporain, indique quel est à son avis l'intérêt d'un ouvrage d'histoire. Il a cette formule célèbre : ktêma eis aiei