, Ce qui est nouveau, c'est le rythme des jours, la succession des jours (et des nuits), donc le calendrier : les jours bien sûr, mais aussi les fêtes (on ne nous dit pas lesquelles), et les années

, Rachi, le commentateur champenois du XIe siècle, écrit à propos de ce passage : 'quand les luminaires [lune et soleil] font éclipse, c'est un signe mauvais'. Mais son mot pour 'signe' ici est siman, un mot d'hébreu mishnique peut-être emprunté au grec sêmeion. Nous allons revenir sur cette distinction entre le mot ancien ôt, Chez les commentateurs -donc plus tard -deux types de 'signes' divergent

. Dans-l'histoire-de-caïn, , vol.4

, Et Dieu mit à Caïn un signe (ôt) pour empêcher que le (ôtô) frappe quiconque le trouve

, Les façons qu'on a eues de se représenter ce signe sont diverses, et il n'était pas évident pour les commentateurs médiévaux que ce 'signe' ait été une marque posée sur Caïn. Nahmanide pensait qu'il s'agissait d'un signe qui indiquait à Caïn la route à suivre dans son errance : une sorte de poteau indicateur. Rachi pensait, en suivant un targum

, Le targum 29 en question ici est celui du « Pseudo-Jonathan » ; c'est, ornée de gloses ou commentaires, une ancienne traduction du texte hébreu en araméen, la langue que parlaient beaucoup de gens au Proche Orient entre l'époque alexandrine et la conquête arabe. Ce targum traduit et glose le verset de la façon suivante 30 : Yahvé traça alors sur la face de Caïn une lettre du Nom grand et glorieux pour que quiconque le

, Dieu renouvelle son alliance avec les hommes, en leur interdisant le sang ; et s'engage à ne plus déclencher de déluge. C'est Dieu qui parle à Noé, vol.9, pp.11-12

, Et Dieu dit : Ceci est le signe (ôt) de l'alliance que je donne, entre moi et vous et tout être vivant qui est avec vous pour les générations toujours. J'ai placé mon arc dans le nuage

, De même peut-on comprendre le signe de Caïn : c'est un signal, il nous avertit de ne pas le tuer. Enfin, l'arc-en-ciel, qui lui n'apparaît que de façon irrégulière, nous rappelle que Dieu ne veut pas notre destruction : il signale l'alliance. Mais ces signaux ne sont pas les choses, ni même leur « signifiant », car le soleil et la lune ne sont pas les fêtes, ni les rituels, ils en sont seulement les repères ; le signe sur Caïn ne signifie en lui-même rien (d'où les incertitudes des commentateurs), et il n'est qu'un rappel opportun : attention, c'est Caïn ! De même l'arc-en-ciel n'est-il pas l'Alliance, qui a une tout autre signification, Les trois fonctions de ce mot 'signe' sont assez disparates, mais peut-être un point commun se trouvet-il dans la notion de « signal

, Ce mot sîman intervient dans la Michna, donc à l'époque alexandrine, assez souvent dans l'expression sîman ra' 'mauvais signe', mais aussi autrement. Dans un passage qui essaie d'imposer des règlements sur les objets trouvés, on constate qu'avec les vêtements il y a peu d'ambigüité parce que tous portent des signes particuliers 31 : Ce que le vêtement a de singulier, c'est qu'il a des signes (sîman) et il a un propriétaire ; de même pour les choses qui ont des signes (sîman) et qui ont des propriétaires

&. Ici-le-mot-sîman-signifie-nettement-'signe-particulier, Si l'on conçoit le signe de Caïn comme une lettre écrite sur son front, il est clair que ce mot sîman convient très bien. En revanche, il ne convient pas du tout pour l'arc-en-ciel ou les « luminaires ». Nous avons donc là un cas historique où l'on peut voir le concept de « signe » se modifier, s'aménager, avec ces signes, on peut remonter aux propriétaires

, Entre les extrêmes, le signe est épais

, Ce n'est pas que la Mishna ignore les miracles. On trouve des passages comme 32 : Quand on voit un endroit où ont été faits des miracles (nissim, plur. de nés) pour Israël, on dit : 'Béni celui qui a fait des miracles pour nos pères en cet endroit

, Non seulement parce qu'il témoigne d'une instrumentalisation mémorielle du territoire à la source de la pratique de pèlerinage, mais parce qu'il invente en contexte juif la notion de miracle. Ce mot nés apparaît seulement quatre fois dans le Pentateuque, puis ensuite dans la Bible, avec un sens très différent de « miracle, Ainsi en Exode, vol.17

B. Mishna and . Metsia, , vol.2, p.6

B. Mishna, , vol.9, p.1

C. , étendard' ; dans celle de Dhorme « Iahvé-nissî », et c'est seulement en note qu'il explique « Iahvé est mon étendard ! ». Ce mot bizarre nés reparaît (Nombre 21 :8-9) dans l'épisode du serpent d'airain, où Dieu recommande à Moïse de fabriquer un serpent de métal et de la placer sur un nés, sans doute quelque chose comme un mat, une perche, une hampe 34 . Sa dernière occurrence dans le Pentateuque nous rapproche du sens que ce mot va prendra plus tard. A un moment, Dieu ordonne à Moïse de faire un recensement ; c'est l'occasion pour un groupe particulier de se rebeller -mais une faille s, car en grec on trouve 'mon refuge' (kataphugê) 33 , dans les traductions françaises souvent 'bannière

, Alors la terre ouvrit sa bouche et les engloutit, ainsi que Coré, tandis que mourait la ligue, cependant que le feu dévorait deux cent cinquante homme qui servirent d'exemple. (En note : qui servirent d'exemple : littéralement 'signe, bannière, fanion, p.36

, Il ne fait pas de doute que ce mot signifiera plus tard 'miracle', comme dans le passage de la Mishna donné plus haut. Mais cette signification ne se met en place que peu à peu, en réorganisant les enjeux symboliques. La transcendance de Dieu, et donc la possibilité du sens moderne de « miracle », ne pourra se mettre en place que quand Dieu quitte la scène, et quand seuls des « signes » manifestent sa puissance. Alors seulement

. Or, On pourrait voir cela comme une pénible fatalité : pourquoi faut-il donc, à chaque fois qu'on veut dire quelque chose, signifier un peu autre chose !?, pourquoi voit-on sa belle inspiration s'infléchir et s'alourdir en mots, ou au contraire, comment font nos mots et nos phrases, souvent si vains, pour abruptement se trouver si pleins de sens ? Et en effet, cette déflection due à l'épaisseur du signe, au fait que nous ne puissions pas « parler sans mots », que nos pensées doivent en quelque sorte se monnayer en verbes, Mais dans l'intervalle, entre la fiction des « signes purs » et celle des « miracles », nous avons des signes

L. Voir-la-bible-d'alexandrie, . Exode, L. Notes-d'alain, P. Boulluec, and . Sandevoir, Ils expliquent (p. 192) que les trad. de la version grecque rattachent le terme hébreu nissî 'mon étendard' ou 'mon siège' à la racine NWS 'fuir, Cerf, 2004.

, fois dans Isaïe, 5 fois dans Jérémie, et psaume 60 :6), au sens de bannière ou fanion donnant un signal de rassemblement

, Rachi commente : 'pour signe ôt et pour souvenir zikkarôn