, Ce passage n'a donc pas d'équivalent dans le texte latin qui est généralement la source de Wace et c'est pourquoi, malgré son évocation des histoires des Bretons (c'est une coutume classique des conteurs que d'évoquer un « vieux livre » qui est leur source), les historiens pensent souvent que Wace invente à cet endroit la fameuse Table Ronde

, est donc pas le fait de Robert de Boron : c'est le résultat de la tendance de l'époque à magnifier les souverains locaux par des généalogies glorieuses. Le Brut de Wace porte ce nom parce que le premier souverain de la région est, selon lui, Brutus, petit-fils d'Enée, lui-même autrefois fondateur mythique des origines de Rome, selon Virgile, La glorification d'Arthur, qui passe du statut de prince gallois à celui d'empereur à la manière de Jules César

. La-refonte-liturgique-du-chaudron-celte-est-un-procédé-parallèle, un et l'autre cas, il s'agit de donner un destin universel d'une part au chaudron, exalté par son destin catholique 41 , et d'autre part au roi, désormais centre d'un pouvoir rayonnant par les armes et par la vertu. La Table Ronde est finalement un assez juste symbole de cette mythification : avant de devenir une sorte de lieu magique des ordres de chevalerie et des jeux de rôle, elle est une invention semi-comique où le succès militaire d'Arthur

. Le,

, L'histoire exacte de cette « mythification » reste un sujet étonnant. L'invention de Wace (s'il est bien « l'inventeur de la Table Ronde », qui est loin d'avoir alors toutes ses résonnances futures) est du milieu du XIIe siècle. Chrétien utilise cette Table Ronde dès Erec et Enide 42 , entre 1160 et 1170. Arthur apparaît sur la mosaïque d'Otrante à la même époque

. Le and . De-chrétien-de-troyes, Ce graal, chez Chrétien, avec la lance qui saigne, a déjà une mise en scène chrétienne mais est encore un plat, entre une lance, des chandeliers, et un tailloir. Quelques années plus tard, chez Robert de Boron, en vers puis après 1200 en prose, la perspective s'est inversée : l'accent est cette fois sur la liturgie chrétienne, avec des références savantes. L'ambiance change : de son côté, chez Geoffroy et Wace, l'Arthur gallois est devenu un super-Arthur dans la scénographie généalogique des Grands Ancêtres. Vers 1220-30, un auteur inconnu décrit dans la Queste del Saint Graal l'aventure du Siège périlleux : parmi les sièges autour de la Table Ronde, il en est un où personne ne peut s'asseoir 43, comme une refonte d'un instrument magique connu dans la littérature galloise médiévale, vol.44

A. Strubel, Perlesvaus), dit « la difficulté que l'on éprouve à la dater [cette oeuvre] et à l'insérer dans un développement linéaire, allant de Chrétien de Troyes jusqu'à la Queste del saint graal, en passant par Robert de Boron, selon la logique d'une récupération religieuse de plus en plus marquée ». Le Haut livre du graal, texte établi, présenté et traduit par Armand Strubel, 2007.

E. Erec, Uns chevalier Erec ot non / De la Table Reonde estoit 'un chevalier du nom d'Erec / Il était de la Table Ronde, pp.82-83

, Ce thème a des antécédents chez Robert de Boron

, La Quête du saint graal, 2006, édition de F. Bogdanow et traduction d'A. Berrie. Livre de Poche, coll. Lettres gothiques. La citation est pp, pp.88-89

, Einsi alerent regardant tant quil vindrent au grant siege que l'an apeloit le siege perillex, si truevent letres qui avoient esté novelement escrites, ce lor estoit avis. Si regardent les letres qui dient : IIIIC anz et LIIII a aconpliz après la passion jesucrist. Au jor de pentecoste doit ciz sieges trover son mestre

, Mais lorsqu'ils arrivèrent au grand siège que l'on appelait le Siège Périlleux, ils virent une inscription qui leur parut toute récente et qui disait : Quatre cent cinquante-quatre ans se sont écoulés depuis la Passion de Jésus-Christ

, Au début du roman, Lancelot le fait chevalier ; nous apprendrons que ce jeune Galaad est son fils. Ainsi se trouvent combinés étroitement les éléments des intrigues jusqu'alors disparates : le graal est exalté dans sa signification religieuse, la Table Ronde fait une place spécifique, longtemps vide -dit ce roman, Comme aucun des chevaliers traditionnels ne semble propre à un tel projet, l'auteur a inventé un nouveau chevalier doté d'un nom biblique 45 remarquable, Galaad, vol.46

C. Ce-graal--qui-est-À-sa-façon-un-lieu and U. Le-dira, Eco 47 -rejoint le programme renouvelé de remplacement systématique des hauts-lieux et objets païens par un catholicisme conquérant, à la grande époque de fondation des ordres mendiants : carmes à partir de 1206, franciscains après 1209, dominicains après 1215 -l'année où la transsubstantiation devient dogme. Cette alliance du dogme et du roman demeure un phénomène peu courant. Le Barlaam et Joasaph attribué autrefois à Jean Damascène avait tenté une expérience de ce genre dans un contexte différent mais, par rapport à la saga du graal, cet ouvrage était peut-être trop ouvertement hagiographique ; il n'avait en tout cas pas la ressource du mystère. Car ce qui a fait (et fait encore dans ses remakes et dérivés contemporains) le succès du graal et/ou de la table ronde, c'est la combinaison adroite de l'Aventure et de la Foi à travers l

L. , Baumgartner remarquait l'étroite relation, à cette époque, entre deux phénomène : la prose et le graal, comme si la première s'était révélée être la forme parfaite, idéale, de ce puits sans fond de la quête du graal

. Galaad-est-À-la-fois-une-région and . Le-deutéronome, Galaad est le père de Jephté, dont la mère est une prostituée ; Galaad a ensuite des fils de son épouse, et ces derniers vont repousser Jephté, qui devient une sorte de chef de bandits, le livre des Juges (11 :1 etc.), vol.3, pp.12-16

. Jérôme,

, Histoire des lieux de légende, Flammarion. Trad. de l'italien par R. Temperini, 2015.

E. Baumgartner, , 1994.

. Paradigme, Cette citation se trouve dans un chapitre sur 'Les Techniques narratives dans le roman en prose

. «-une-première-constatation, Certes, l'énorme ensemble textuel que constituent les Continuations du Perceval, romans écrits dans la mouvance directe de l'oeuvre de Chrétien, est en vers. Mais, ces textes mis à part, on constate que, à partir du XIIIe siècle, tout roman ou nouvelle version d'un roman antérieur sur le Graal est écrit en prose et que, réciproquement

L. , me semble-t-il : en dehors des Continuations du Perceval inachevé, qui en prolongent la manière (en vers), la littérature du XIII e siècle qui commence alors associe la prose romanesque et le Graal. En d'autres termes, ce Graal est une sorte de déclencheur du roman en prose. Il est peut-être risqué (au plan historique) de vouloir que la prose soit aussi étroitement

. La-première, Et surtout, on constate (voyez la carte de l'anthologie de D. Régnier-Bohler, reproduite ci-contre) que cette carte de « La Diffusion de la légende arthurienne en Europe » est strictement inféodée à l'extension de la catholicité romaine : rien en grec, rien en syriaque, rien en hébreu ou en arabe, en géorgien ou en arménien ; rien dans les langues slaves ! Ce silence est assourdissant : le graal est cantonné à sa province, sans comparaison par exemple avec le domaine gigantesque qui est, à la même époque

, Déjà dans le seconde partie du Perceval, Chrétien avertit son lectorat (ou ses auditeurs, ce qui est plus vraisemblable), que maintenant il passe d'un héros à un autre 49 : Et mes sire Gauvains s'en va. Cependant monseigneur Gauvain s'en va Des aventures qu'il trova Des aventures qu'il a trouvées, M'orroiz conter molt longuemant. Vous allez m'entendre parler un long moment. et en revanche plus loin 50 : De mon seignor Gauvain se taist De monseigneur Gauvain ne parle plus Atant li contes dou Graal, Mais il n'en reste pas moins, comme on l'a souvent fait remarquer, qu'il met au point les combinaisons d'intrigues dites « entrelacement », où l'on alterne les protagonistes

, Cette façon de combiner les intrigues deviendra plus évidente au long du XIIIe siècle, soit dans La Mort le roi Artu

O. Perceval, , pp.4743-4788

. Ibid and . Vv, , pp.6140-6182

, mais il montre bien que si le Graal et le roman en prose ont parti liée, ce n'est pas à cause des recommandations des prêtres. Le graal, non sans ambiguités de toute façon, et cela jusqu'à nos jours, s'est échappé du milieu qui avait cru le circonscrire et le domestiquer. Orientation de lecture Pour tous les textes que j'ai cités, j'ai

, Si vous cherchez dans le catalogue de la Bibliothèque Nationale les documents (notion qui inclut les documents sonores) dont le titre comporte le mot graal, vous en trouvez 1154. Tous ne portent pas de date d'édition. Si vous les triez par date d'édition, le plus ancien est de 1488, mais c

, Les documents entre 1841 et 1900, sur une durée de soixante ans, ne sont que 40. Ce qui signifie que le graal a presque échappé au courant romantique, qu'il soit français, allemand, anglais etc, Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la mode du mot est très récente, vol.52, p.249, 1001.

, Danielle Régnier-Bohler (dir.) et une équipe de médiévistes. Robert Laffont, coll. Bouquins. 1206 p. Larges extraits traduits d'une quinzaine d'oeuvres importantes en langue française entre XIIe et XVe siècle. L'ouvrage contient aussi des index, Beaucoup de ces ouvrages sont intéressants et instructifs, notamment ceux qui publient des textes anciens en les traduisant, avec des introductions historiques et littéraires ; ou bien ceux qui rassemblent certains de ces textes, alors souvent en extraits choisis. Par ces derniers on peut citer : La Légende arthurienne : Le graal et la table ronde, 1989.

, Ce livre de poche de 1238 p. a été réalisé par Michel Stanesco, La Légende du graal dans les littératures européennes. Anthologie commentée, 2006.

M. Zink-y-a-fait-une-préface, Extraits choisis et traduits de 28 oeuvres de diverses langues d'Europe, avec des introductions