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Chapitre d'ouvrage Année : 2020

Entre l’auteur “classique” et l’éditeur commercial, quelle place pour l’éditeur scientifique ? Quelques réflexions à partir de Flaubert

Résumé

En ce qui concerne les œuvres de Flaubert, les rapports entretenus par l’auteur et l’éditeur commercial ont profondément évolué. En effet, l’écrivain a produit à une époque nouvellement régie par le droit d’auteur, un droit institué par les diverses lois révolutionnaires adoptées entre 1791 et 1793. Cette période historique se caractérise par la contractualisation et la pratique liée du « bon à tirer » : contrairement à Rousseau , par exemple, Flaubert avait donc la main sur la lettre de ses textes. Mais les œuvres de l’écrivain sont ensuite entrées dans le domaine public. Depuis 1950, tout éditeur peut publier ses romans comme bon lui semble – et, en l’absence d’héritiers, il n’y a même plus personne qui soit susceptible de faire respecter l’inextinguible droit moral de l’écrivain. Néanmoins, Flaubert fait aussi partie de ces « classiques » dont l’édition requiert maintenant – ou du moins entraîne généralement – l’introduction d’un tiers, l’éditeur scientifique , qui vient interagir entre le texte de l’auteur décédé et l’éditeur commercial. Mais, à la différence de ses collègues médiévistes ou seiziémistes pour qui la matérialité du texte (l’objet-livre) est un sujet d’interrogations constant et le questionnement du texte imprimé une évidence, l’éditeur scientifique dix-neuviémiste découvre souvent seulement à ce moment-là que l’établissement d’un texte de « sa période » ne consiste pas à produire un « reprint ». Il apprend alors son travail sur le tas et dans l’urgence, en réponse à la commande passée par un éditeur commercial. Aussi se voit-il contraint de chercher – en conscience mais trop souvent sans théorisation ni réflexion d’ensemble – des solutions aux problèmes particuliers que pose le texte à éditer. Pour pouvoir prétendre faire œuvre de science, mais sans que sa formation universitaire ne l’y ait jamais vraiment préparé, l’éditeur scientifique est censé d’abord effectuer un énorme travail qui consiste à collationner toutes les éditions parues du vivant de l’auteur. Or les résultats de ce labeur se trouvent en grande partie rendus invisibles voire réduits à néant par les prescriptions étouffantes que la tradition fait peser sur lui : toute modification apparaissant dans une édition autorisée est d’emblée réputée correction d’auteur ; seul importe donc le texte de la dernière et il est finalement peu utile de savoir à quel moment exact la transformation a eu lieu – d’autant que la place accordée dans les éditions contemporaines au relevé des variantes se trouve de plus en plus restreinte. Ces règles, perpétuées par certains éditeurs commerciaux, s’appliquent en dépit de l’expertise déterminante qui devrait être reconnue à l’éditeur scientifique, au détriment de l’auteur (qui n’a pas toujours voulu écrire ce qu’on lit dans la dernière édition de son texte, quand bien même il l’a effectivement revue) et surtout au préjudice d’un quatrième acteur, le lecteur, qui imagine prendre connaissance d’un texte établi sous l’égide d’un éditeur scientifique alors que la liberté d’action de ce dernier s’est trouvée en réalité largement bridée dans ce domaine. Pour mettre en lumière cette situation paradoxale, on s’intéressera aussi à l’édition des textes que Flaubert n’a pas publiés de son vivant car ils sont révélateurs de la diversité des problèmes qui se posent et que l’on rencontre également dans les textes revus et édités sous l’autorité de l’auteur. Le parcours proposé permettra ainsi de souligner le rôle primordial de l’éditeur scientifique qui se doit d’être un véritable « médi-auteur » , voire un « remédi-auteur ».
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Paternité - CC BY 4.0

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Citer

Stéphanie Dord-Crouslé. Entre l’auteur “classique” et l’éditeur commercial, quelle place pour l’éditeur scientifique ? Quelques réflexions à partir de Flaubert. Dominique Brancher, Gaëlle Burg et Giovanni Berjola. L'éditeur à l'œuvre : reconsidérer l'auctorialité (fin XVe-XXIe siècle). Actes du colloque de Bâle, 11-13 octobre 2018, Université de Bâle, pp.68-77, 2020, ⟨10.21255/61.48⟩. ⟨halshs-02895441⟩
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Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
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