« Parler russe : un enjeu de l'alliance franco-russe ? » - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin Année : 1999

« Parler russe : un enjeu de l'alliance franco-russe ? »

Résumé

En 1839, la Russie était pour Custine dissimulée par une muraille de Chine impénétrable, sa langue. Les efforts individuels et institutionnels pour enfoncer cette barrière linguistique pourraient donc correspondre à une volonté de démystification. Plus de cinquante ans séparent l'organisation de cours de langue russe dans les lycées et à l'université, au début des années 1890, et l'organisation du recrutement des enseignants, avec la promotion du premier agrégé de l'université pour la langue russe en 1948. Ces deux dates rappellent aussitôt le contexte de l'alliance franco-russe et le poids de l'URSS au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais si l'on considérait que ces initiatives se contentaient de refléter un état de l'opinion, une stratégie de rapprochement entre les deux pays, on réduirait cette étude à une hypothétique quête d'influences de la culture russe puis soviétique en France. Non seulement la faiblesse des effectifs recensés rendrait dérisoire une telle entreprise [1] , mais elle manquerait son but en prenant à rebours l'intérêt que représente, tout au long d'un demi-siècle, la succession de tentatives avortées d'introduction du russe dans l'enseignement. Il ne s'agit pas tant de mesurer le rayonnement du monde russe dans le monde scolaire que de retracer, dans la durée, la constitution d'un corps d'intellectuels spécialistes des choses russes et de démêler les enjeux qui ont structuré la discipline en dépit d'une histoire heurtée. Le moment initial de développement d'un champ d'études centré sur la Russie, au cours des décennies 1890 et 1900, permet ainsi d'analyser le rôle joué par l'alliance franco-russe et son contexte géopolitique sur les formes d'enseignement. L'enseignement des langues vivantes, tel qu'il se met en place à la fin du XIXème siècle, à travers les chaires de langues étrangères des universités et l'émergence d'un corps enseignant spécialisé, participe à la mise en place d'une «science de l'étranger» analysée par Michel Espagne [2]. De même que l'Orient constitue le recours géopolitique traditionnel de la France pour conclure des alliances de revers contre les pays voisins menaçants, l'exploration des aires culturelles lointaines répond sans doute à une volonté de dépasser des modèles de développement trop proches. Les langues et les civilisations étrangères, telles qu'elles sont médiatisées par les structures d'enseignement, se doublent ainsi d'une perception géopolitique des cultures étrangères. Face à la pression du modèle germanique dans les années qui suivent la défaite de 1870, la Russie n'est pas seulement un recours militaire, elle est aussi un espace de référence vierge. L'abstraction d'un thème littéraire comme celui de l'âme slave contraste fortement avec la description scientifique et technique dont la société allemande est alors l'objet. L'étude de la civilisation russe n'est-elle peut-être qu'une diversion face aux insuffisances et aux transformations de la société française que révèle la confrontation avec le modèle allemand? La perception française de la culture slave est restée longtemps centrée sur la Pologne et le dénigrement de la Russie. La chaire du Collège de France de «langue et littérature slave» confiée en

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Citer

Benjamin Guichard. « Parler russe : un enjeu de l'alliance franco-russe ? ». Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, 1999, Chantiers, 8, pp.119-137. ⟨halshs-02552885⟩
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