, Lorsqu'arrive le temps de la configuration, c'est-à-dire de la mise en place d'un récit autorisé, qui vient soutenir l'inscription par l'Etat d'une forme territoriale nouvelle sur un espace déjà approprié, la question des possibles ouverte par cette forme change de nature. Le possible projeté dans le parc national une fois institué n'est plus, au sens strict, de nature utopique, p.35

P. Ducos, . Le-rôle, and . Du, Parc national des Cévennes dans la protection de la faune européenne », Font Vive, p.3, 1963.

.. M. Cf and L. Misson, Théâtre sacré des Cévennes, réédition critique présentée par Jean-Paul Chabrol. Nîmes, ?ditions Alcide, 1707.

R. Larrere and «. , La production symbolique des lieux exemplaires?op, pp.29-42

R. Nash, Wilderness and the American Mind? op

, J'emprunte l'expression à l'historien François Chappé. Cf. ses analyses publiées à titre posthume, Histoire, Mémoire patrimoine, 2010.

, On pourrait démontrer que le parc naturel répond à au moins cinq des six principes esquissés par Michel Foucault pour décrire une hétérotopie. M. FOUCAULT, « Des espaces autres, pp.46-49, 1984.

A. Micoud, « Les lieux exemplaires : des lieux pour faire croire à de nouveaux espaces, pp.43-52

. Ibid,

M. Segaud, A. De-l'espace, P. , and A. Colin, , 2007.

É. Leynaud and L. , Contribution à une histoire de la protection de la nature, Florac, Parc national des Cévennes, 1985, ouvrage édité à titre posthume par Philippe Joutard. Il n'est pas indifférent que le premier à avoir attiré l'attention sur la nature territoriale particulière des espaces protégés ait été un haut fonctionnaire, Inspecteur général de l'Environnement, ancien administrateur Outre-Mer formé à l'ethnologie qui était sa passion première, 1927.

, Journées nationales d'étude sur les parcs naturels régionaux, Actes du colloque de Lurs-en-Provence, septembre 1966, DATAR/Documentation française, 1967.

, Ce dernier exemple introduit à la nécessité de conférer toute leur importance aux individus dans le processus de production de l'espace-parc. L'anthropologie contemporaine, assumant l'enseignement de Michel Foucault, nous a appris à porter une attention particulière aux parcours individuels dans les analyses en termes de pouvoir 60, Refiguration. Les interprétations du récit du « territoire de la nature

«. Tout-pouvoir-est-pouvoir-de-mise-en and . Récit, Cela ne signifie pas seulement qu'il se donne à aimer et à comprendre par des fictions juridiques, des fables ou des intrigues ; cela veut dire plus profondément qu'il ne devient pleinement efficient qu'à partir du moment où il sait orienter les récits de vie de ceux qu'il dirige. Mais en même temps, il expose de manière intelligible, ce qui, en nous traversant de tant de contraintes, p.61

E. Le-moment-de-la-préfiguration, . Où-s'expriment-À-travers-l'idée-d'une-«-forme, and . Parc, il soit ou non qualifié de « national » ici importe peu) la vision plurielle d'un avenir possible et le moment de la configuration, où se construit la trame d'un récit du gouvernement de la nature énonçant le sens, nécessairement monolithique, du territoire à faire advenir, quelle place pour la réinterprétation, c'est-àdire l'investissement à la fois moral et affectif, l'appropriation par les individus de la forme et du sens proposés par le parc dit naturel ? Sur cela, les sources classiques de l'histoire sont impuissantes à nous renseigner et il nous faut recourir à la mémoire de ceux, au profil extrêmement divers, qui se sont impliqués à partir de la fin des années 1960 dans la production de cet espace-parc. Si la tendance collective est de valoriser dans l'histoire du Parc national une première période créatrice, la décennie heureuse des « premiers temps », où tout était à faire et où la quasi absence de cadres institués ne bridait pas l'initiative individuelle, l'enquête révèle cependant chez chaque génération d'agents recrutés depuis lors la puissance créatrice de tels investissements. L'analyse des récits de vie des agents révèle en premier lieu la diversité des désirs et des imaginaires du « parc » qui motivent les engagements professionnels

, Une fois recruté en tant qu'agent permanent affecté au service biologie, sa hiérarchie l'incite à modérer son enthousiasme naturaliste et ses ardeurs expérimentales en ce qui concerne les opérations de (ré)introduction. Et pourtant, assumant officieusement certaines opérations, manipulant la vie sauvage depuis son logement de fonction, il a participé au premier chef, des années durant, à la transformation du peuplement animal sur cet espace, tant il souhaitait, selon ses propres termes, oeuvrer pour « rétablir un plus de vie sauvage ». Les premiers temps de l'institution furent pour lui une période où : « l'ego pouvait se situer dans un projet global, collectif, de création, Lorsqu'il dépose en 1969 sa candidature pour participer à la mise en place du PnC, NC, fils de diplomate grandi dans les vastes espaces africains, est plein du rêve d'un territoire entièrement dédié à la vie sauvage

M. Auge, Pour une anthropologie des mondes contemporains, p.132, 1994.

P. Boucheron and «. , Ce que peut l'histoire, Leçons inaugurales du Collège de France, pp.48-49, 2016.

, Témoignage recueilli par Joachim Careirra dans le cadre du programme Histoire et mémoires du Parc national des Cévennes? op

D. , Cévennes la promesse un peu nostalgique de la conservation d'une civilisation montagnarde idéalisée, comme cette ancienne secrétaire de direction embauchée au service « information, communication » du Parc en 1978 : « Quand je venais en vacances à Saint-Julien-d'Arpaon, je savais qu'il y avait un parc, je savais que ça créait la polémique dans la région

, En pratique, l'investissement de S. s'est traduit par la création d'une publication de qualité, mise durant 25 ans au service du récit du Parc, la revue Cévennes qu'elle anime, choisissant le plus souvent seule les sujets et rédigeant elle-même nombres d'articles. Ainsi, que ce soit pour la promesse de la vie sauvage -le terme de « parc national » suffisant à déclencher un imaginaire de wilderness-sur un espace rêvé comme à peu près dépourvu des contraintes de la vie sociale -ou pour celle d'une vie dans un milieu rural de montagne où s'imagine une relation de l'homme « en équilibre » à son environnement naturel 63 , ces imaginaires premiers nourrissent des actions qui, en retour, façonnent l'identité narrative d'un espace « autre ». Ces récits individuels confirment alors la qualité symbolique première conférée au parc naturel d'offrir la possibilité d'infléchir les axes du changement, de jouer avec le temps. Les récits de vie donnent également accès aux modalités selon lesquelles l'institution peut exercer sur la trajectoire individuelle un pouvoir d'infléchissement. Tel autre candidat à un poste au PnC se souvient n'avoir eu aucune « prédispositions spéciales » pour la protection de l'environnement et être même, à l'époque, « complètement acculturé de ce point de vue », c'est-à-dire, dans sa définition, n'avoir reçu aucun apprentissage de la nature. La nature, comme beaucoup de jeunes grandis en milieu rural, il la connaît surtout par la chasse

«. , À la fin de la sortie, il me dit « finalement, j'ai entendu une mésange longue queue, un pinçon des arbres, etc. ». Il avait une vingtaine d'espèces sur son calepin. Là ça a été une révélation. Tout de suite, j'ai participé à tous les stages qui se présentaient. À partir de là, j'ai fait différents travails ornithologiques. » Cet agent souligne l'importance, dans cette conversion, ça devait être en 1972-73, un ornithologue qui est venu en plein hiver

, Je suis passé sur les particularités qui ont fait partie des expériences très enrichissantes en tant qu'agent de terrain. Je me suis levé à 4h du matin pendant deux printemps pour aller faire ces écoutes. Je reconnaissais tous les oiseaux qui chantaient à ce moment-là. C'est la plus belle expérience, les plus beaux moments de ma carrière

D. Leger, . Les, and . Retour, Un territoire commun se dessine précisément lorsque survient la reconnaissance partagée de figures médiatrices : aux yeux des habitants, ce sont les agents de terrain, appelés dans le parc national « gardes-moniteurs » pour bien signifier leur fonction pédagogique tout autant que de police, ou les architectes conseils (pour les travaux affectant les bâtiments anciens) qui « font le parc ». Le parc peut devenir un lieu d'investissement positif lorsque, suite à la médiation -la rencontre, l'échange interpersonnel entre l'habitant, l'usager et le praticien porteur de la voix institutionnelle -un acte pratique est produit. Par exemple, des travaux de restauration sont opérés « sur les traces de l'architecte », selon ses conseils mais, sans lui, en autonomie ; un exploitant agricole partage une passion naturaliste avec un garde-moniteur au cours d'une journée de baguage des circaètes ; des pistes forestières sont créées conjointement par l'ingénieur du parc et les employés de l'ONF, dépassant pour un temps la concurrence ancienne entre les deux administrations pour la gestion de l'espace rural et forestier etc. Au-delà du débat sur le cadre éthique instauré par l'espace naturel protégé, le détour par l'observation du parc en tant qu'espace vécu permet de faire retour à la question de l'oeuvre territoriale, sur laquelle je conclurais. Car, au final, la question est bien de savoir à quelles conditions le « territoire de la nature », produit de tant d'intentionnalités hétérogènes, peut devenir un territoire commun, investi et approprié par le plus grand nombre. Je reprends ici à dessein les formules (« investissement affectif » et « appropriation ») utilisées par Henri Lefebvre dans le moment même où s'élaborait en France la formule des parcs naturels régionaux. Convié à évoquer les besoins de la nouvelle civilisation urbaine lors des Journées d'études de Lurs-en-Provence 64 , Henri Lefebvre a évoqué son attachement à la notion d'oeuvre, au sens d'une exigence sociale et humaine qu'il croit menacée par l'accroissement du temps contraint dans la société urbaine : « Peut-être cette exigence d'une oeuvre est-elle destinée à disparaître en même temps qu'un certain humanisme, mais pour le moment cela semble encore extrêmement, On pourrait ainsi multiplier les exemples pour mettre en évidence la richesse des investissements individuels et des modes de socialisation à la « nature » du territoire-parc : leur prise en considération décourage, à notre sens, toute tentation réductrice dans l'analyse de la production institutionnelle des rapports à la « nature ». Il reste que les conditions dans lesquelles se réalisent ces investissements sont loin d'être stables et sont elles-mêmes sujettes à variations historiques, vol.29, p.65, 1979.

H. Lefebvre, Besoins profonds, besoins nouveaux de la civilisation urbaine », communication au Journées d'études sur les parcs régionaux, pp.197-206, 1966.