, Ainsi, l'habileté à percevoir le cadre intergénérique que convoque la référence à la tragédie antique est-elle fondamentale car elle transforme le roman qu'il enserre en un exemplum, en une « image pensive », pour reprendre une formule de Rancière (2008), c'est-à-dire en une image qui frappe au-delà de ce qu'elle semble représenter. Tout en révélant l'opacité ordinaire de la conscience à elle-même

, Les mythes, comme symbolique du mal, ont d'abord nourri une première étape de la réflexion de Ricoeur (2017), débouchant sur deux questions : 1. Qu'en est-il du sujet qui ne se connait que par le détour des grands mythes ? Quelle est cette opacité à soi-même qui fait qu'il faut passer, S'interroger sur la conscience éthique amène donc bien au-delà des frontières de la morale consensuelle à l'exploration de l'impensé

. Inversement, quel est le statut de l'opération interprétante qui sert de médiation entre soi et soi-même dans cet acte réflexif ?, p.18

, même et à fortiori des autres qui ne soit « médiatisée par des signes, des symboles, des textes » en raison de « la condition originairement langagière de toute expérience humaine » : « se comprendre, c'est se comprendre devant le texte et recevoir les conditions d'un autre soi que le moi qui vient à la lecture, pp.32-35, 1984.

, socioculturel de son expérience de vie ; la mimèsis II, configuration des actions et du temps humains par la mise en intrigue. La littérature, selon Ricoeur (1998), « contribue à dissiper l'illusion de la connaissance intuitive de soi, en imposant à la compréhension de soi le grand détour par le trésor des symboles transmis par les cultures » (p. 35) ; lors de la mimèsis III, le lecteur reconfigure ses préconceptions à partir de sa réception créatrice de la (ou des) vision(s) du monde configurée(s) par la littérature. Macé (2011) montre comment certaines métaphores littéraires informent, par appropriation créatrice, des styles de vie et des manières d'être. En suscitant une refiguration de l'expérience, la littérature déborde dans la vie

, Emma Bovary ou Don Quichotte qui se livrent à une lecture naïve, l'une des romans d'amour, l'autre des romans de chevalerie, se perdent et meurent d'avoir confondu réalité et fiction. Le récit littéraire est une sorte de métaphore vive (Ricoeur, 2017, p. 37) qui demande à être constamment réinterprétée et réévaluée, sans jamais se figer en doxa

, Même si le récit autorise « des explorations dans le royaume du bien et du mal », comme en proposent les grands mythes et les contes, il permet également au lecteur « d'explorer de nouvelles manières d'évaluer actions et personnages » (Ricoeur, 1996, p. 194). La littérature, comme articulation entre le monde de la vie et celui de la fiction, relève d'une éthique prospective : Le moment où la littérature atteint son efficience la plus haute est peut-être celui où elle met le lecteur dans la situation de recevoir une solution pour laquelle il doit lui-même trouver les questions appropriées, p.317, 1991.

, le cadre spéculaire de l'imagination narrative permet-elle au sujet lecteur de se poser à l'égard de l'Autre, la question « qui suis-je, moi, si versatile pour que, néanmoins, tu comptes sur moi ? » (Ricoeur, 1996, p. 198). L'imagination narrative possède une fonction éthique, elle est consciente de se comprendre par les scénarios de l'Autre et au moyen du langage de l'Autre, ce que Korthals Altes (1999) commente ainsi : « En interdisant au Moi de se figer dans une "raide constance à soi, La littérature possède donc un enjeu existentiel et par conséquent éthique mais elle se tient éloignée de « conceptions étroites et naïves du sens et de la morale, p.53

P. Ainsi, . Le-cadre-Énonciatif, . La-mise-en-intrigue-comme-un-laboratoire-de-la-pensée-Éthique-nécessite-d'y-avoir-Été, and . Initié, Cette habileté de lecture requiert un lecteur formé (Korthals Altes, 1999) qui dispose à la fois d'une culture axiologique « des valeurs et des normes reprises comme matériau et "remodelées" par le texte » (p. 53), de compétences esthétiques pour identifier les cadres rhétoriques comme autant de stratégies participant à l'élaboration de la vision du monde fournie par le texte, de compétences interprétatives pour problématiser cette vision en significations possibles débouchant sur une interrogation éthique de nature à éclairer l

, Certes, il ne semble plus envisageable d'enseigner la morale par la littérature en traitant les textes comme une réserve de situations illustratives destinées à convertir les élèves à un code moral consensuel, prédéfini en amont de toute lecture. L'objectif actuel vise plutôt à sensibiliser les élèves au questionnement éthique émanant de la littérature considérée comme « un laboratoire du jugement moral », indépendamment de toute doxa préétablie, afin de favoriser le développement d'une conscience de la responsabilité envers soi, les autres et l'avenir. Une question, au moins, subsiste : face aux exigences et aux difficultés d'un tel projet, ne court-on pas le risque de voir réapparaître des pratiques obsolètes de sélection de corpus d'oeuvres enseignables, à l'axiologie explicite et consensuelle, quitte à renouer ainsi, quelquefois, avec un enseignement de l'éthique par la littérature ?, Bibliographie Amossy, R, 2009.

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