La Bible contre la rébellion dans le contexte de la guerre sainte ibérique : une extension du domaine de la lutte ? Les Maccabées dans la Chronica Adefonsi Imperatoris

Amélie De las heras (1)

1 IRHT - Institut de recherche et d'histoire des textes

La Chronique de l'empereur Alphonse présente les efforts d'Alphonse VII pour consolider sa souveraineté sur la péninsule Ibérique de 1126 à 1147, face aux rébellions aristocratiques (premier Livre), puis face au pouvoir almoravide (deuxième Livre). L'oeuvre est cependant moins bifide qu'elle ne le semble. L'examen des 142 emprunts bibliques qui émaillent le récit, dont la moitié provient des livres des Maccabées, montre que l'auteur vide en partie de ses significations circonstancielles la révolte nobiliaire, afin de replacer la lutte que lui oppose le souverain dans une histoire sur le temps long, celle du plan divin, et, finalement, de l'associer intrinsèquement à la guerre sainte. Ce faisant, il condamne le fait de se révolter bien plus que les révoltés eux-mêmes, dont il cherche à subtilement favoriser la réhabilitation pour les inciter à prendre part à la lutte contre les almoravides. L'étude des usages de la Bible dans l'Occident médiéval connaît un essor indéniable depuis une vingtaine d'années 1. L'expression, désormais très courante, renvoie à deux réalités historiques intrinsèquement liées, mais qu'il peut être utile de distinguer momentanément dans les analyses pour clarifier leurs enjeux. D'un côté, dans la littérature exégétique au sens strict (commentaires, traités, gloses, etc.), il arrive que les clercs développent de savantes réflexions politiques, ecclésiologiques ou encore économiques ; car décrypter les Écritures saintes, en tant qu'elles sont adressées à l'homme pour le guider dans sa relation avec Dieu au sein d'un monde, sa Création, en constante évolution, suppose aussi de comprendre ce monde 2. D'un autre côté, dans le reste de la littérature médiévale et même dans quelques écrits pragmatiques, les citations et les figures bibliques qui les parsèment témoignent de l'autorité de la Bible tout autant qu'elles manifestent les intérêts d'un groupe social donné. Ces usages bibliques peuvent aboutir sur un même thème à des considérations, sinon divergentes, différentes 3. Ainsi la condamnation de la révolte prend-elle des accents universels, car abstraits, dans les commentaires de l'épître de Paul aux Romains (13, 1-2), alors que nous verrons qu'elle est plus nuancée, car circonstanciée, dans un récit au tissage scripturaire serré comme celui de la Chronique de l'empereur Alphonse 4. La prise en compte des chroniques dans l'examen des usages de la Bible connaît depuis peu un nouvel élan. Projets et publications fleurissent sur le recours à la typologie biblique dans cette littérature, sur les rapports entre le langage scripturaire et la conception de l'autre que les clercs y nouent, ou encore sur l'importance qu'ils donnent aux Maccabées dans leurs récits de croisade 5. Ces nouveaux éclairages précisent la place que les sociétés attribuent aux Écritures dans leurs interrogations sociales, politiques, voire ethnographiques, tout en offrant de nouvelles perspectives sur la perméabilité entre les pratiques de savoir mises en place, d'une part, dans les chroniques et, d'autre part, dans les commentaires ou les traités bibliques.

Mots clés: Xiie siècle; Péninsule ibérique; Chronica Adefonsi Imperatoris; Bible au Moyen Âge

Domaines: Histoire

Amélie De las heras. La Bible contre la rébellion dans le contexte de la guerre sainte ibérique : une extension du domaine de la lutte ? Les Maccabées dans la Chronica Adefonsi Imperatoris. Contester au Moyen Âge: de la désobéissance à la révolte, Éditions de la Sorbonne, 2019, 979-10-351-0337-8. ⟨halshs-02508126⟩