. Cela, on peut passer d'un quelconque d'entre eux à un autre également quelconque, par une série d'éléments consécutifs enchaînés de telle sorte que chacun d'eux ne puisse se discerner du précédent. Cette chaîne est à la ligne du mathématicien ce qu'un élément isolé était au point. Avant d'aller plus loin, il faut que j'explique ce que c'est qu'une coupure 128 . Envisageons un continu C et enlevons-lui certains de ses éléments que pour un

, Il pourra se faire que grâce à cette coupure, C soit subdivisé en plusieurs continus distincts, l'ensemble des éléments restants cessant de former un continu unique. Alors il y aura sur C deux éléments, A et B, que l'on devra regarder comme appartenant à deux continus distincts et on le reconnaîtra parce qu'il sera impossible de trouver une chaîne d'éléments consécutifs de C partant de A et allant en B, et chaque élément étant indiscernable du précédent, à moins que l'un des éléments de cette chaîne ne soit indiscernable de l

. Il, Pour classer les continus physiques, nous examinerons précisément quelles sont les coupures qu'il est nécessaire d'y faire pour les subdiviser. Si on peut subdiviser un continu physique C par une coupure se réduisant à un nombre fini d'éléments tous discernables les uns des autres

, Si au contraire C ne peut être subdivisé que par des coupures qui soient elles-mêmes des continus, nous dirons que C a plusieurs dimensions. S'il suffit de coupures qui soient des continus à une dimension, nous dirons que C a deux dimensions, s'il suffit de coupures à deux dimensions, nous dirons que C a trois dimensions, et ainsi de suite. Ainsi se trouve définie la notion du continu physique à plusieurs dimensions, grâce à ce fait très simple que deux ensembles de sensations

L. Dimensions, Un point d'un pareil continu nous apparaît, on le sait, comme défini par un système de n grandeurs distinctes que l'on appelle ses coordonnées. Il n'est pas toujours nécessaire que ces grandeurs soient mesurables et il y a par exemple une branche de la géométrie où on fait abstraction de la mesure de ces grandeurs, où on se préoccupe seulement de savoir par exemple si sur une courbe ABC, le point B est entre les points A et C et non de savoir si l'arc AB est égal à l'arc BC ou s'il, Celle du continu mathématique à r dimensions en est sortie tout naturellement par un processus tout pareil à celui que nous avons étudié au début de ce chapitre

, Ce qui distingue ces théorèmes de ceux de la géométrie ordinaire, c'est qu'ils sont purement qualitatifs et qu'ils resteraient vrais si les figures étaient copiées par un dessinateur malhabile qui en altérerait grossièrement les proportions et remplacerait les droites par un trait plus ou moins courbe. C'est quand on a voulu introduire la mesure dans le continu que nous venons de définir que ce continu est devenu l'espace et que la géométrie est née, C'est tout un corps de doctrine qui a attiré l'attention des plus grands géomètres et où l'on voit sortir les uns des autres une série de théorèmes remarquables

. Enfin, il n'y a pas de connexion entre le travail de conceptualisation des principes de l'analyse et les débats théoriques sur les problèmes de la mesure et des grandeurs mesurables. Lorsqu'en 1875, Jules Tannery ouvre la discussion avec

, et ces applications à la psychophysiologie dans les pages de La revue scientifique de la France et de l'étranger, il semble ignorer totalement le débat allemand. 141 La traduction par Gaston Milhaud en 1887 de l'ouvrage de Du Bois Reymond, dans lequel est menée une discussion critique sur la loi de Fechner-Weber

F. Du-côté, Poincaré représente une tentative originale de médiation avec le débat allemand. Il sait, par Hermite, l'importance pour l'analyse des travaux de Cantor et de Weierstrass. D'une longue méditation du développement du concept moderne de fonction analytique élaboré par « Gauss, Cauchy

. Weierstrass, A cause de sa conviction de la fécondité des images géométriques, Poincaré est , étant donné le caractère paradoxal, inexact et inaccompli, de la perception 144 , sur la possibilité de fonder l'analyse sur les aspects quantitatifs de cette dernière. D'où l'originalité de sa conception « tripartite

H. L'essai and . Bergson, paru en 1888, montre bien l'attention que les philosophes français de l'époque accordent à ces disciplines naissantes que sont la psychophysiologie et la psychologie expérimentale, qui renouvellent la discussion entre déterminisme et libre-arbitre propre au spiritualisme français. Bergson connaît les travaux de Wundt, d'Helmholtz, et de Fechner et en fait une critique originale. Mais les questions sont analysées de manière totalement indépendante du débat mathématique. Dans le temps même où, en Allemagne, les querelles faisaient rage à propos de la définition de la notion de nombre, Bergson affirme sans la moindre hésitation qu'un nombre est une collection d'unités (p.56) et que l'ordre croissant des nombres naturels exprime le fait « qu, p.2

. «-l'oeuvre-mathématique-de-weierstrass, Un peu plus loin il ajoute : « Entre ces trois conceptions [celle de Cauchy, de Riemann et de Weierstrass] gardons-nous de choisir. Avec l'instrument de Riemann, l'intuition verra d'un seul coup d'oeil l'aspect général des choses ; comme un voyageur qui examine du haut d'une montagne la topographie de la plaine qu'il va visiter et apprendre de la sorte à s'y orienter, Constatant que Gauss, n'ayant rien publié de son vivant, n'a pu exercer aucune influence quant à la théorie des fonctions analytiques, p.7

, On voit que ce programme d'arithmétisation de l'analyse, bien qu'il réponde, comme le ch.II de SH, aux difficultés de la mesure de grandeurs variant continûment, est animé par des intentions toute différente de celles de Poincaré. Tandis que pour ce dernier les mathématiques sont au service de ses deux voisines, la physique et la philosophie, pour Kronecker, il en va tout autrement. Si les mathématiques sont, à la rigueur, redevables de la philosophie, puisque « c'est sur le plan d'un travail philosophique préparatoire... qu'il faut développer les concepts de nombre, d'espace et de temps », elles n'ont pas à se soucier des difficultés qu'elles rencontrent lorsqu'elles « condescendent à rendre service aux sciences de la nature ». L'arithmétique de Kronecker ne reposant sur rien d'autre que notre faculté de pouvoir compter un nombre d'objets reconnus comme discernables, elle est résolument à l'abri des paradoxes propres à la mesure des grandeurs. Mais peut-elle tenir ses promesses, c'est-à-dire « arithmétiser » le contenu de l'analyse ? Sur ce point, le jugement de Poincaré est sans appel : « Kronecker a fait bien des découvertes ; mais s'il y est arrivé, c'est en oubliant qu'il était philosophe et en délaissant lui-même ses principes qui, Le cas des nombres algébriques relève d'un traitement plus élaboré qu'on ne peut exposer ici. Notons cependant l'intention de Kronecker de donner une « analyse plus précise du concept de racines réelles des équations algébriques ». La « prétendue existence » de ces racines « repose entièrement sur la possibilité de les isoler, p.148

P. Calcul, mathématicien grâce à la présentation et à la défense d'un système de nombres infiniment petits et infiniment grands, qu'il appelait « calcul infinitaire ». Avec celui, d'inspiration bien différente, de Giuseppe Veronese, évoqué par Poincaré dans le chapitre III comme exemple de géométrie non archimédienne, c'est un des deux systèmes qui, en cette période -disons de 1870 à 1914 -retint l'attention, souvent critique et parfois négative (en premier lieu Cantor lui-même), des mathématiciens. Les publications les plus importantes de P. du Bois-Reymond à ce sujet vont de 1870-1, date de son premier mémoire (Sur la grandeur relative des infinis des fonctions, Annali di matematica pura ed applicata, 4, series IIa, pp.338-353

. Borel, Comparant la croissance de deux fonctions par considération des limites de leurs quotients, du Bois-Reymond s'autorisait à parler d'une fonction f « ayant une infinité plus grande » qu'une autre fonction g. En 1875, le domaine où prennent sens ces quantités qui expriment les diverses infinités des fonctions est explicitement posé et nommé « infinitaire ». L'infinité de la fonction f est considérée comme supérieure, ou égale, à celle de g selon que le quotient est infini ou égal à un nombre n fini, c'est-à-dire selon que ou = , n étant un nombre réel fini, et on notera : g(x) f(x) dans le premier cas, f(x) g(x) dans le second. Par exemple, e x a un infini plus grand que la fonction x puisque , et logx a un infini plus petit que x puisque , donc logx x e x , ou encore x x p quel que soit le nombre réel p>1. En revanche, on a cx r x r quels que soient les réels c et r. Il existe des fonctions qui croissent plus lentement que toute combinaison de logarithmes, et des fonctions qui croissent plus rapidement que toute combinaison d'exponentielles. Du Bois-Reymond peut établir à ce propos un théorème général : Étant donnée une échelle de croissance de fonctions quelconques, dont les liens avec Poincaré sont connus, avait incorporé les principaux résultats à ses Leçons sur la théorie des fonctions (1898 pour la 1e éd., il y en aura de nombreuses autres), un ouvrage qui avait lui-même connu un vif succès et largement contribué à diffuser les concepts de la théorie cantorienne des ensembles 150 . On ne peut donner ici qu'une idée assez sommaire du « calcul infinitaire, vol.8, pp.360-414

. L'ouvrage-est-sous-titré, « métaphysique et théorie des concepts mathématiques fondamentaux: quantité, limite, argument et fonction », et comporte en guise de conclusion des « considérations finales sur la métaphysique des concepts fondamentaux

, Du Bois-Reymond avait trouvé aussi un écho en Angleterre, où Hardy, qui professait une vive estime pour le mathématicien allemand, s'était chargé de faire connaître ses travaus, 1910.

G. Pour and . Fisher, The Infinite and Infinitesimal Quantities of du Bois-Reymond and their reception, Archive for History of Exact Sciences, vol.24, pp.101-163, 1981.

D. Le-mémoire, Du Bois-Reymond montre que, si on peut approcher un nombre quelconque, soit ½, de plusieurs façons différentes par une suite z1, z2, ?, de telle sorte que tout nombre, aussi proche soit-il de ½, se trouve entre deux nombres de cette suite, il n'en est pas de même avec les fonctions associées aux infinis. Ainsi, si on forme la suite : les exposants p/p+1s'approchent de 1, mais on voit assez facilement qu'il existe des fonctions dont les infinis tombent entre tous les infinis de la suite et la fonction x approchée par cette même suite : p ex la fonction, approfondit l'analogie avec les nombres ordinaires, en précisant les différences, vol.11, pp.149-167, 1877.

. «-ce-fait and . Bois-reymond, on ne peut concevoir de suite de fonctions permettant de s'approcher sans limite d'une infinité donnée a certainement quelque chose d'étrange pour nous. Car il serait ? tout à fait contraire à l'intuition de supposer qu'il y a nécessairement une lacune, par exemple autour de la droite y=x, vol.3, p.109

. Opposant, dans son ouvrage sur la théorie générale des fonctions, l'« idéaliste » à l'« empiriste », il attribuera typiquement à l'idéaliste l'affirmation de l'existence actuelle de quantités infiniment petites ou infiniment grandes

C. Au-début-de-son and . Essai, Dedekind constate qu'en dépit du fait que le calcul différentiel s'occupe des grandeurs continues, on ne trouve nulle part d'explication de ce qu'est cette continuité. De plus « les présentations les plus rigoureuses du calcul différentiel ne fondent pas leurs démonstrations sur la continuité, mais font au contraire appel, plus ou moins inconsciemment, à des représentations géométriques ». Il se propose donc de remédier à cette situation en donnant une « définition véritable de l'essence de la continuité » dont « l'origine véritable est dans les éléments de l'arithmétique ». Dedekind note d'abord l'analogie entre les relations « être plus grand » et « être à droite » définies respectivement sur l'ensemble des nombres rationnels et sur les points de la droite, Continuité et nombres irrationnels

, Si qRp et rRq alors rRp

, Pour tout p et tout r, il existe une infinité de q tels que rRq et qRp

, La réciproque est évidemment fausse, « la droite D est infiniment plus riche en individus-points que le domaine Q des nombres rationnels n'est riche en individus-nombres », puisqu'elle contient une infinité de points dont la distance est mesurée par un nombre irrationnel, et « il faut raffiner fondamentalement l'instrument Q, qui avait été construit par la création des nombres rationnels [à partir des entiers positifs], par une création de nouveaux nombres de manière à ce que le domaine des nombres obtiennent la même complétude ou la même continuité que la droite ». La création de ces nouveaux nombres ne doit s'appuyer que sur les rationnels, et donc en dernier lieu sur les entiers positifs, et non pas, comme c'était l'usage, dit Dedekind, sur la notion, mal définie, de grandeur extensive. La clé de cette création réside dans la réciproque de la proposition 3 ci-dessus lorsqu'on l'interprète sur le domaine des points de la droite : « Si l'on répartit tous les points de la droite en deux classes telles que chaque point de la première classe soit située à gauche de chaque point de la deuxième classe, alors il existe un point et un seul qui engendre cette partition de tous les points de la droite, cette découpe de la droite en deux parties. » Ce n'est donc plus le point qui engendre la partition, mais la partition qui engendre le point de coupure. Dedekind souligne qu'on ne peut démontrer cette proposition. Il s'agit d'un axiome « par lequel nous reconnaissons d'abord à la ligne sa continuité, par lequel nous incorporons la continuité à la ligne. » Revenons à la proposition 3 où E et R sont l'ensemble Q des nombres rationnels et la relation < (« plus petit que »), pour tout p1 et tout p2, p2Rp1. Cette analogie entre les deux relations devient elle-même une véritable relation, ajoute Dedekind, lorsqu'on choisit un point origine 0 sur la droite et une unité de longueur pour mesurer les distances