, Une enquête menée par un médecin militaire en 1910 pour les années 1900-1907 (sauf pour les années de guerre 1904-1905) fait apparaître un taux de suicide moyen dans les troupes, de 0,62/1000, sensiblement supérieur à celui observé dans les armées étrangères comparables (ce taux était de 0,29-0,48/1000 en Allemagne, de 0,15-0,20/1000 en France, de 0,04 à 0,20/10009 en Hollande et de 0,12-0,14/1000 en Russie), mais inférieur à celui de l'Autriche. En 1910, par exemple, l'Armée recense 111 suicides dont 86 soldats de 1 ère et de seconde classe et 73 « bleus » : ce sont les soldats nouvellement incorporés qui en sont les principales victimes 48 . A l'époque, le Ministère de l'Armée peine à identifier les causes de ces suicides qu'il met sur le compte de la dépression ou de l'instabilité mentale. Mais pour les historiens, c'est la persistance, voire l'aggravation de ces « sanctions privées », qui l'explique : une tendance favorisée par l'existence des chambrées militaires, naimuhan, qui forment l'unité de base dans les casernes, composée de vingt à trente hommes sous la responsabilité d'un sous-officier instructeur, et qui structurent, encadrent et organisent aussi bien la vie quotidienne que l'entraînement des soldats 49 . Les autorités militaires en sont parfaitement conscientes : le général Nagaoka Gaishi (1858-1933), directeur des Affaires militaires au Ministère de l'Armée, attribue à ces débordements le nombre élevé d'otites et de perforations de tympans parmi les causes sanitaires de réforme, mais il en rend responsable les mauvaises manières des soldats plus âgés sur leurs cadets, et indique que les faits ayant lieu le plus souvent après l'extinction des feux, la hiérarchie a du mal à en prendre la mesure 50 . Le général Tanaka Giichi (1864-1929), futur chef du gouvernement, admet que la population a peur de l'Armée et du service militaire, mais qu'il importe de dissiper les « malentendus », car « la conscription ne saurait plus être synonyme d'oppression » (sic) 51 . Toutefois, les pronostics de Nagaoka selon lesquels, grâce aux nouvelles directives, « les autorités centrales, éprises de chiffres, ne pourront que se réjouir de l'évolution des statistiques sur la désertion, les suicides par pendaison et le nombre de punis », seront cruellement, et rapidement, démentis par les faits. Le 26 août 1911, une instruction du ministre de l'Armée Terauchi Masatake (1852-1919) mettait à nouveau en garde les officiers contre les mauvais traitements à l'égard de leurs subordonnés dus à l'emportement et à une mauvaise appréciation du 45. Le taux d'analphabétisme et d'illettrisme atteint encore 60% des conscrits en 1891, et 14% seulement d'entre eux sont passés par l'école primaire, 45 . Les mauvais traitements apparaissent, déjà, comme la cause principale d'évasion et de désertion qui, localement, peut atteindre jusqu'à 50% des effectifs dépêchés par les fiefs 46 . Il faut cependant attendre les lendemains de la guerre sino-japonaise pour que la presse japonaise s'en saisisse et, selon les spécialistes, c'est à partir de la guerre russo-japonaise que la routine des sanctions privées s'installe dans les casernes 47, vol.46, pp.88-89, 1996.

S. Fumio and E. Yoshinobu, Guntai naimusho no kenkyû » (Education militaire et éducation nationale. Recherches sur les manuels d'instruction militaire II, Chiba daigaku kyôikubu kenkyû kiyô, décembre 1975, vol.24, p.13