Précisions de la CJUE sur la sanction des clauses abusives dans le contexte du scandale des prêts libellés en francs suisses - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Actualité juridique Contrat Année : 2019

Précisions de la CJUE sur la sanction des clauses abusives dans le contexte du scandale des prêts libellés en francs suisses

Véronique Legrand

Résumé


Sommaire :
La directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs lutte contre les clauses contractuelles qui créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. Plus précisément, le dispositif repose sur l'objectif de rétablir un équilibre dans la relation contractuelle entre la situation du consommateur et celle du professionnel. Ainsi l'article 6, § 1er, de cette directive prévoit que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu par un professionnel avec un consommateur ne lient pas ce dernier. En outre, si le contrat, expurgé des dispositions jugées abusives, peut subsister, il reste applicable puisque l'équilibre contractuel est alors rétabli. Cependant, le texte n'énonce aucun critère permettant de déterminer dans quel cas un contrat peut subsister tout en étant expurgé d'une clause jugée abusive.

Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'affaire Kàsler et Kaslerné Rabai (CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler c/ OTP Jelzálogbank Zrt, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles) a précisé que, lorsque le contrat ne peut subsister et que son annulation semble particulièrement préjudiciable pour le consommateur, le juge national a la possibilité de compléter le contrat en substituant à la clause litigieuse une disposition supplétive de droit interne. Or cette jurisprudence laisse subsister quelques zones d'ombre. D'abord, à quel moment faut-il se placer pour apprécier les conséquences préjudiciables de l'annulation du contrat ? Et faut-il prendre en compte l'éventuelle opposition du consommateur au maintien du contrat ? Ensuite, le juge national pourrait-il réviser la clause litigieuse en se fondant sur une disposition de caractère général en vertu de laquelle un contrat oblige, au-delà des effets exprimés, à toutes les suites que lui donnent l'équité ou les usages ? Enfin, si le juge national est dans l'impossibilité de procéder à cette révision, peut-il décider en dernier ressort de maintenir le contrat en dépit de la clause jugée abusive dans la mesure où les conséquences de l'annulation du contrat paraissent plus désavantageuses pour le consommateur que son maintien ?

C'est à cet ensemble de questions que la Cour de justice a répondu dans son arrêt du 3 octobre 2019. Elle a ainsi jugé que :

Texte intégral :
« L'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une juridiction nationale, après avoir constaté le caractère abusif de certaines clauses d'un contrat de prêt indexé sur une devise étrangère et assorti d'un taux d'intérêt directement lié au taux interbancaire de la devise concernée, considère, conformément à son droit interne, que ce contrat ne peut pas subsister sans ces clauses au motif que leur suppression aurait pour conséquence de modifier la nature de l'objet principal dudit contrat.

L'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, d'une part, les conséquences sur la situation du consommateur provoquées par l'invalidation d'un contrat dans son ensemble, telles que visées dans l'arrêt du 30 avr. 2014, Kásler c/ OTP Jelzálogbank Zrt (aff. C-26/13 ), doivent être appréciées au regard des circonstances existantes ou prévisibles au moment du litige, et que, d'autre part, aux fins de cette appréciation, la volonté que le consommateur a exprimée à cet égard est déterminante.

L'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'il soit remédié aux lacunes d'un contrat, provoquées par la suppression des clauses abusives figurant dans celui-ci, sur la seule base de dispositions nationales à caractère général prévoyant que les effets exprimés dans un acte juridique sont complétés, notamment, par les effets découlant du principe d'équité ou des usages, qui ne sont pas des dispositions supplétives ni des dispositions applicables en cas d'accord des parties au contrat.

L'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose au maintien des clauses abusives figurant dans un contrat lorsque leur suppression conduirait à l'invalidation de ce contrat et que le juge estime que cette invalidation créerait des effets défavorables pour le consommateur, si ce dernier n'a pas consenti à un tel maintien. »

Texte(s) appliqué(s) :
Directive n° 93/13/CEE du 05-04-1993 - art. 6, § 1er

À retenir :
Une clause abusive doit être obligatoirement éradiquée du contrat passé par un consommateur avec un professionnel quitte à ce que sa disparition entraîne l'annulation du contrat lorsqu'il ne peut subsister sans celle-ci. Toutefois, si au moment du litige, les conséquences de l'annulation du contrat sont préjudiciables au consommateur, le juge peut tenter de sauver le contrat, si le consommateur ne s'y oppose pas, en le complétant par une disposition supplétive du droit national. Mais en aucun cas il ne peut réviser le contrat sur le fondement de dispositions générales.

Domaines

Droit
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02450933 , version 1 (23-01-2020)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02450933 , version 1

Citer

Véronique Legrand. Précisions de la CJUE sur la sanction des clauses abusives dans le contexte du scandale des prêts libellés en francs suisses : décision rendue par Cour de justice de l'Union européenne 03-10-2019, n° C-260/18. Actualité juridique Contrat, 2019, 12, pp.544. ⟨halshs-02450933⟩
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