Les dangers de l'EIRL en procédure collective : il faut nuancer ! - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Recueil Dalloz Année : 2019

Les dangers de l'EIRL en procédure collective : il faut nuancer !

Véronique Legrand

Résumé

Afin d'encourager les créations d'entreprises, le législateur a instauré en 2010 un statut conçu pour limiter les risques financiers : l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou EIRL. Adopter le statut d'EIRL permet à tout entrepreneur individuel d'affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d'une personne morale. En d'autres termes, il assigne des biens à son activité qui constituent non seulement la garantie de ses créanciers mais également la limite de sa responsabilité. On comprend que, pour qu'un tel modèle fonctionne, il était essentiel de se préoccuper du crédit de l'entrepreneur et donc de tenter de rassurer ses créanciers. À cette fin, le régime de l'EIRL est assorti de multiples contraintes sur le plan comptable ainsi que d'obligations déclaratives et de publicité destinées à renseigner les tiers quant à la composition exacte du patrimoine affecté.

La complexité du statut a dissuadé les potentiels candidats à l'entreprenariat qui ont préféré ignorer l'opportunité offerte par la loi de 2010. À tel point que le législateur tente périodiquement de relancer ce statut en le simplifiant. En 2014, en 2016, puis à nouveau en 2019 avec la loi PACTE, des réformes se sont traduites par des allègements de formalités dont l'impact reste à mesurer, mais elles n'ont pas véritablement simplifié le fonctionnement de l'EIRL.

Aujourd'hui, près de dix ans après le lancement de ce régime, les EIRL qui font face à des difficultés et font l'objet d'une procédure collective peuvent mesurer l'ampleur de la complexité du régime qu'ils ont adopté, à tel point que, même les tribunaux de commerce chargés d'ouvrir la procédure, commettent des impairs.

Ainsi, le 6 mars 2019, la Cour de cassation avait eu à connaître des conséquences, à l'égard des tiers, de l'absence de mention du statut EIRL du débiteur dans un jugement ouvrant une procédure de liquidation à l'encontre d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Dans l'arrêt du 23 octobre 2019, la Cour de cassation doit à présent se prononcer dans un cas similaire sur les conséquences à l'égard du débiteur lui-même.

En l'espèce, un éleveur de chevaux s'était constitué EIRL sous l'appellation « EIRL B. les écuries du bois clos », en octobre 2012, et, par acte notarié du 23 avril 2013, il avait affecté un bâtiment agricole à son activité. Toutefois, cet acte n'avait pas fait l'objet de publicité.

Par la suite, en 2015, une procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire, a été ouverte à l'encontre de Monsieur B. sans préciser que celui-ci exerçait son activité sous le statut EIRL. Quoi qu'il en soit, dans le cadre de la liquidation, le liquidateur l'assigne en inopposabilité de l'affectation du bâtiment agricole et en réunion de ses patrimoines.

Le débiteur conteste alors la qualité à agir du liquidateur dans la mesure où la procédure ne ciblait pas l'EIRL B. mais Monsieur B. en temps qu'entrepreneur individuel sans autre précision. Autrement dit la question qui se posait à la Cour de cassation était celle de savoir si le liquidateur avait été désigné liquidateur de Monsieur B. hors EIRL ou bien liquidateur de l'EIRL B. à raison de l'activité dotée d'un patrimoine affecté.

À titre liminaire, il convient de noter que le débiteur a formé deux pourvois ; l'un au titre de la « société EIRL » B. les écuries du bois clos et l'autre en son nom personnel. Mais une telle démarche procède d'une confusion des genres. Effectivement, l'EIRL est un statut et non pas une forme de société. L'article L. 526-6 du code de commerce précise d'ailleurs bien que l'adoption de ce statut n'implique pas la création d'une personne morale. L'EIRL n'est donc pas une entité morale susceptible d'agir en justice. Il était dès lors inévitable que la Cour de cassation déclare ce pourvoi irrecevable.

Certes l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée est une personne physique hybride en ce qu'il est titulaire de deux patrimoines - un patrimoine domestique et un patrimoine professionnel -, voire plus, s'il exerce plusieurs activités professionnelles différentes et qu'un patrimoine est affecté à chacune d'elles.

En réalité, le législateur a tiré les conséquences de cette spécificité. Il a introduit au sein du livre VI du code de commerce, dédié aux difficultés des entreprises, un titre VIII posant des dispositions particulières à l'EIRL.

Ainsi l'article L. 680-2 de ce code prévoit que lorsqu'une procédure d'insolvabilité est ouverte à l'encontre d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, les dispositions du livre VI « qui intéressent la situation économique ou les biens, droits ou obligations du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée doivent, sauf dispositions contraires, être comprises comme visant les éléments du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté ou, si l'activité est exercée sans affectation de patrimoine, du seul patrimoine non affecté ».

En l'espèce, la Cour de cassation vise ce texte et énonce qu'il s'applique y compris lorsque le jugement d'ouverture et sa mention au BODACC ne précisent pas qu'ils ne visent que les éléments du seul patrimoine affecté en difficulté.

Cela implique que « l'erreur commise sur la désignation du débiteur dans les jugements de redressement et de liquidation judiciaire, résultant de la particularité du statut d'EIRL n'affectait pas la capacité à agir du liquidateur ».

Outre que l'arrêt confirme la qualité à agir du liquidateur malgré l'absence de mention du statut d'EIRL du débiteur dans le jugement d'ouverture (I), il a le mérite d'éclairer l'interprète quant à l'effet réel d'une procédure ouverte à l'encontre d'un EIRL dans une telle hypothèse. En effet, au lendemain de l'arrêt du 6 mars 2019, on avait pu se demander si l'affectation n'était pas remise en cause du fait de l'erreur des juges du fond qui avaient omis de préciser le statut de l'entrepreneur dans le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation à son encontre... On sait à présent que ce n'est pas le cas ! L'affectation n'est pas remise en cause (II).
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02450288 , version 1 (22-01-2020)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02450288 , version 1

Citer

Véronique Legrand. Les dangers de l'EIRL en procédure collective : il faut nuancer !. Recueil Dalloz, 2019, 43, pp.2390. ⟨halshs-02450288⟩
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