EIRL : remise en cause de l'affectation - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Recueil Dalloz Année : 2019

EIRL : remise en cause de l'affectation

Véronique Legrand

Résumé

La loi du 15 juin 2010 portant création du statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) a tenté d'apporter une réponse aux inquiétudes des entrepreneurs soucieux de limiter la prise de risque liée à toute entreprise. Le dispositif, consacré aux articles L. 526-6 et suivants du code de commerce, permet ainsi à tout entrepreneur, quelle que soit son activité, d'affecter un ensemble de biens droits et obligations, à son entreprise, sans création d'une personne morale, de sorte que ces biens affectés constituent le gage exclusif de ses créanciers professionnels, et que les biens non affectés demeurent le gage exclusif de ses créanciers domestiques.

L'ordonnance portant adaptation du droit des entreprises en difficulté à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, en a tiré les conséquences sur le plan des procédures d'insolvabilité puisque l'article L. 680-3 du code de commerce prévoit que les dispositions qui intéressent les droits ou obligations des créanciers du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée s'appliquent, sauf dispositions contraires, dans les limites du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté ou, si l'activité est exercée sans affectation de patrimoine, du seul patrimoine non affecté.

En d'autres termes, ce n'est plus la personne (et l'intégralité de son patrimoine) qui est soumise à la procédure, mais le patrimoine affecté à l'activité.

À vrai dire, si le droit des EIRL en difficulté met à l'écart le principe d'unicité du patrimoine, c'est à la condition que l'entrepreneur respecte à la lettre les préceptes de la loi du 15 juin 2010 codifiés aux articles L. 526-6 et suivants du code de commerce. Et, dès lors, le cloisonnement des patrimoines domestique et professionnel résultant du statut est opposable aux créanciers de l'entrepreneur dès la publication de la déclaration d'affection sur le registre professionnel auprès duquel il est tenu de s'immatriculer.

Concrètement, à compter de cette formalité, les créanciers dont les créances sont nées à l'occasion de l'activité professionnelle de l'EIRL ne peuvent faire valoir leurs droits que sur son patrimoine affecté, tandis que ses créanciers privés ne peuvent faire valoir leurs droits que sur ses biens privés.

C'est sans doute ainsi qu'avait raisonné le juge-commissaire dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2019.

En l'espèce, un artisan s'était institué EIRL en 2012 pour exercer son activité d'électricien. Par la suite, celui-ci s'est déclaré en état de cessation des paiements et le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire qui s'est transformée en liquidation judiciaire.

Or la banque personnelle de l'entrepreneur, qui avait financé l'achat de son logement, a déclaré sa créance. Créance qui a été contestée par le juge-commissaire puisque celle-ci n'était pas née de l'activité professionnelle de son client et que seul le patrimoine affecté à cette activité était soumis à la procédure collective. En effet, seuls les créanciers professionnels et, le cas échéant, les créanciers auxquels la déclaration d'affectation n'est pas opposable car leurs droits sont nés antérieurement à sa publication sont admis à la procédure. Or il n'était absolument pas soutenu que la banque était un créancier antérieur à la déclaration d'affectation, ce qui lui aurait permis de faire valoir ses droits sur l'ensemble des patrimoines de son débiteur.

À première vue, ce raisonnement, suivi par les juges du fond, paraît tout à fait logique, si ce n'est que la banque faisait valoir que le jugement d'ouverture de la procédure collective avait été publié sans préciser que celle-ci concernait un entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Ainsi se trouve posée, pour la première fois, la question de la portée de la déclaration d'affectation lorsque l'entrepreneur sollicite une procédure d'insolvabilité sans indiquer qu'il est un EIRL et que le tribunal n'a pas mentionné cette spécificité dans le jugement d'ouverture qui a fait l'objet de publicité.

Contre toute attente, la Cour de cassation a jugé que, dans la mesure où le tribunal avait ouvert la procédure collective de l'entrepreneur « sans préciser qu'elle ne visait que les éléments du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté » et que « les publications faites de ce jugement le rendant opposable aux créanciers ne mentionnaient pas (le statut de l'entrepreneur) », la banque personnelle de celui-ci pouvait déclarer sa créance à la procédure collective, telle qu'elle avait été ouverte.

La cassation de l'arrêt d'appel est prononcée, entre autres, au visa de l'article L. 680-2 du code de commerce qui prévoit que les dispositions des titres I à VI du livre VI dédié aux difficultés des entreprises, qui intéressent la situation économique ou les biens, droits ou obligations du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée, doivent être comprises comme visant les éléments du seul patrimoine affecté.

La Cour de cassation remet ainsi en question les effets de l'affectation, ce qui conduit naturellement à s'interroger sur les justifications de cette solution (I). Cela dit, la lecture de l'arrêt ne permet pas d'évaluer avec certitude les conséquences de cette solution car plusieurs interprétations sont possibles (II).
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02450116 , version 1 (22-01-2020)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02450116 , version 1

Citer

Véronique Legrand. EIRL : remise en cause de l'affectation. Recueil Dalloz, 2019, 14, pp.797. ⟨halshs-02450116⟩
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