De Bugbug à Alexandrie : une « étrange histoire » racontée par al-‘Ayyāšī (XVIIe siècle), dans Antonella Ghersetti, Francesca Bellino et Oriana Capezio (éds)
Résumé
On his third pilgrimage trip, in 1072 / 1661-1662, al-'Ayyāšī (1090/1679) made a stop at Bugbug, about 30 km east of Sollum. The sight of the wreckage of a ship reminds him of a "strange story" (ġarība) that occurred there, during his second voyage, in 1064 / 1653-1654. The caravan saw a "Christian" boat failed and was soon joined by a "Christian" on this boat. The latter, dressed as a Muslim and speaking Arabic, said he was from Ifrīqiyya and came on this boat "belonging to Muslims". The caravan welcomed him, offering him food and drink. Nobody thought he was a "Christian" until he arrived in Alexandria, where he joined "the ships of Christians". Considered from a narratological point of view, the story was reconstructed from the final vicissitude. Considered from a historical point of view, its asks more questions than it gives answers. Is he really a Christian pretending to be a Muslim? If so, why does he do it and who, if not a "renegade", could do it, that is to say, could linguistically and confessionally abuse a caravan of pilgrims? Or is he more simply the Muslim passenger of a Christian ship, but chartered by Muslims, owner and charterer of the boat with the common interest of trying to save the boat and its cargo, going to seek relief in Alexandria ? Whether the story is entirely true or entirely reconstructed, or partly true and partly reconstructed, it can be taken as an apologue on the unexpected meeting of two worlds destined not to meet and, beyond, a metaphor of somewhat complicated relationships. between "Islam" and "Christendom" in the Mediterranean of the time.
Lors de son troisième voyage pour le pèlerinage, en 1072/1661-1662, al-‘Ayyāšī (m. 1090/1679) fait étape à Bugbug, à une trentaine de km à l’est de Sollum. La vue des débris d’un bateau lui rappelle une « étrange histoire » (ġarība) survenue à cet endroit, lors de son second voyage, en 1064/1653-1654. La caravane a vu un bateau « chrétien » échoué et a été rejointe, peu après, par un « chrétien » de ce bateau. Celui-ci, vêtu à la musulmane et parlant arabe, a dit être d’Ifrīqiyya et venu sur ce bateau « appartenant aux musulmans ». La caravane lui a fait bon accueil, lui offrant à boire et à manger. Personne n’a pensé qu’il était « chrétien », jusqu’à l’arrivée à Alexandrie, où il a rejoint « les bateaux des chrétiens ». Considérée d’un point de vue narratologique, l’histoire a été reconstruite à partir de la péripétie finale. Considérée d’un point de vue historique, elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. S’agit-il vraiment d’un chrétien se faisant passer pour musulman ? Si oui, pourquoi le fait-il et qui, sinon un « renégat », pouvait le faire, c’est-à-dire pouvait abuser linguistiquement et confessionnellement une caravane de pieux pèlerins ? Ou bien s’agit-il plus simplement du passager musulman d’un navire chrétien, mais nolisé par des musulmans, patron et affréteur du bateau ayant pour commun intérêt de tenter de sauver le bateau et sa cargaison, en allant quérir du secours à Alexandrie ? Que l’histoire soit entièrement véridique ou entièrement reconstruite ou pour partie véridique et pour partie reconstruite, elle peut être prise pour un apologue sur la rencontre inopinée de deux mondes destinés à ne pas se rencontrer et, au delà, une métaphore des rapports passablement compliqués entre « islam » et « chrétienté » dans la Méditerranée du temps.
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