, les contemporains «goûtèrent comme une nouveauté la tonalité passionnée d'une poésie qui rompait avec les conventions et les grâces factices de l'inspiration galante [?] cette poésie apportait à l'expression de l'amour passionné un langage qui parut neuf: ce langage du coeur, ce sera celui de la prétendue religieuse portugaise» 32 . Selon Jean-Michel Pelous, l'oeuvre de Guilleragues illustre une «nouvelle rhétorique des passions», un langage perçu comme «simple et naturel» dans la mesure où il reflète «le désordre d'une âme que l'amour met hors de son assiette ordinaire» 33 . Gabrielle Verdier, de son côté, met en évidence la manière dont les Lettres portugaises redonnent force aux poncifs de la tradition pétrarquiste en les intégrant dans une nouvelle «rhetoric of expression» et en présentant une femme comme sujet de l'amour: «Guilleragues' stroke of genius was to perform a literary sex-change operation; the Petrarchan commonplaces are put in the mouth of a woman. He revitalized them by inventing (or exploiting) a situation apparently truer to the convention's underlying sado-masochism.» Et de citer trois traits saillants de ce nouveau registre «féminin» de la littérature amoureuse: «the exclamatory rhetoric», «the perpetual reversals of emotion», «la volupté of suffering and humiliation» 34 . Or, tous ces éléments par lesquels on a tenté de saisir la nouveauté littéraire des Lettres portugaises apparaissent en force dans l'écriture mystique, et tout particulièrement dans celle de la sainte d'Avila; les quelques extraits des Exclamations cités ci-dessus auront suffi à le montrer. Au milieu du XVII e siècle, ce sont sans doute les divins écrits de Thérèse -réputés tout autant pour lorsqu'elle aura rencontré l'officier français, lequel touchera son corps et gagnera son âme, Jacques Chupeau rattache ainsi la nouvelle expression «sincère» de la passion qui explique le triomphe des Lettres portugaises aux accents frais que donne à entendre la poésie sentimentale vers 1660, pp.221-231, 1983.

J. Chupeau, «Remarques sur la genèse des Lettres portugaises», Revue d'Histoire littéraire de la France, vol.69, p.510, 1969.

J. Pelous and «. Une, le langage des passions dans les Lettres portugaises, vol.77, pp.560-561, 1977.

G. Verdier, leur qualité esthétique que pour leur valeur spirituelle et doctrinale -qui donnaient au public français l'exemple le plus éloquent et le plus radical de ce «langage du coeur» 35 qui allait s'épanouir dans les genres profanes; langage pathétique qui, répétons-le, n'exclut point l'introspection analytique, cet attribut essentiel du «classicisme» français, Gender and Rhetoric in Some Seventeenth-Century Love Letters, vol.23, p.53, 1983.

. «ignorante»-qui-se-contente-de-transcrire-au-courant-de-la-plume, En résumé, ces Lettres portugaises traduites en français, ces «lettres d'amour d'une religieuse», doivent sans doute plus qu'on ne l'a dit à la littérature religieuse d'outre-Pyrénées. Si l'oeuvre arrive à renouveler l'expression de la passion et à introduire un ton neuf dans la littérature française de l'âge classique, c'est en s'appropriant le discours mystique hispanique -un discours autant spirituel qu'érotique, à la manière de ce texte fondateur qu'est le Cantique des Cantiques -et en le détournant à des fins toutes mondaines. Guilleragues était-il capable d'un tel jeu littéraire, d'une telle transposition profanatrice du modèle thérésien? Deux faits mis au jour par les recherches de Deloffre et Rougeot le laissent au moins supposer, sans se corriger ni se relire, son expérience subjective, qui (dit-on) «écrit comme elle parle, vol.36

, Voici d'ailleurs comment Thérèse elle-même parle de la genèse de ses poésies: «Je connais une personne qui bien qu'elle ne sache point faire de vers en faisait alors sur le champ pleins de sentiments très-vifs et très-passionnés pour se plaindre à Dieu de l'heureuse peine qu'un tel excès de bonheur lui faisait souffrir: son entendement n'avait point de part à ces vers: c'était une production de son amour, p.65, 1987.

, Sur le style de Thérèse et les interprétations naturalistes qui le présentent comme une écriture spontanément «féminine», voir Alison Weber, Teresa of Avila and the Rhetoric of Femininity, pp.5-11, 1990.

A. Cioranescu, L. Masque, and . Le-visage, , p.181, 1983.

L. Deuxièmement and . Caractère, de sa toute première production littéraire qui nous soit parvenue: la Chanson du Confiteor, «confession plaisante» d'une femme abandonnée par son amant inconstant, divertissement galant qui «s'inscrit dans une tradition de parodie des actes religieux» 38 . Même à ne considérer que ces deux facettes de Guilleragues -familiarité avec le traducteur de

, Mais qu'il soit ou non le seul et unique «père» des Lettres portugaises, il n'aurait certes pu produire cet étonnant enfant de l'amour sans la matrice, esprit railleur et ludique, voire quelque peu libertin -, on peut très bien l'imaginer tenir

M. De-montpensier, Dans les travaux de Deloffre et Rougeot sur les sources des Lettres portugaises, la littérature spirituelle (de même que la littérature ibérique) brille par son absence -à l'exception, curieuse, d'un «rapprochement limité, mais remarquable, entre un passage d'une oeuvre mystique d'Arnauld d'Andilly et le dénouement des Lettres portugaises» (cette «oeuvre» est la traduction de L'Echelle sainte de saint Jean Climaque). Les érudits n'y voient pourtant qu'une confirmation supplémentaire du lien biographique entre Guilleragues et le milieu de l'Hôtel de Sablé, sans s'interroger davantage sur les possibles rapports littéraires entre le texte lui-même, Mlle de Scudéry et Chapelain, tous lecteurs et amateurs de la sainte (voir Vermeylen, ouvr. cité, pp.85-86

. Deloffre and . Rougeot, Ne citons ici que la première strophe de la chanson pour illustrer ce travestissement, plus badin que burlesque, des pratiques et formules religieuses: «Mon père, je viens devant vous / Avec une âme pénitente / Me confesser à deux genoux / D'avoir été longtemps constante / Pour un amant qui me fit tort. / Dirai-je mon Confiteor?, p.6