Penser/classer des incidents et presque accidents dans la chimie
Résumé
Cette communication s’adosse à une recherche menée depuis 2004 dans la chimie de spécialité pour comprendre comment est produit le niveau de sécurité auquel peut prétendre l’établissement considéré notamment en fonction de ses ressources diverses (techniques, humaines, financières...), ses modes d’organisation et les relations sociales établies au fil de l’histoire (Dupré, Le Coze, 2014).
Une des nombreuses activités, qu’englobe la sécurité, consiste à enregistrer les divers événements qui marquent la vie d’une usine à risques. Les modalités du classement diffèrent d’une usine à l’autre. Le temps consacré à cette activité peut également varier profondément, ainsi que les personnes qu’on affecte à ce travail de classement. Dans toutes les usines investiguées , cette activité sert essentiellement deux objectifs : alimenter la documentation sur les évènements de l’usine et tenter par-là d’améliorer le travail de prévention interne (Vaughan, 1996, Hopkins, 2012), contribuer à l’action de reporting en direction de l’entreprise-mère, mais aussi des régulateurs. Si la première action s’adresse essentiellement aux acteurs internes de l’entreprise, la deuxième action est plutôt tournée vers l’externe. Cette dernière action se présente souvent sous une forme statistique, ce qui revient, comme l’explique à de nombreuses reprises Alain Desrosières dans ses travaux, à créer des conventions d’équivalence entre des éléments disjoints (Desrosières, 1992).
La présente communication vise à présenter le travail de classement des incidents/presqu’incidents/accidents, réalisé dans une usine de 250 salariés, filiale d’une entreprise américaine, qui a dû reprendre de la maison-mère un logiciel qu’il a fallu dans un premier temps adapter. Il s’agit du dernier cas investigué.
Comme le suggère l’appel à communication, différents matériaux contribueront à présenter l’activité de classement. La communication est à ranger donc dans le point 2 de l’appel à communication : Compétences classificatoires (Construire puis remplir des classes d’entités).
On accordera tout d’abord une attention aux deux personnes en charge de ce travail au sein du service HSE . Les entretiens nous permettront de saisir la manière différente dont ces deux acteurs prennent en charge cette activité. Puis des extraits des vues permettront de saisir les rubriques qui doivent être renseignées. Ainsi, on constatera que le travail de classement – ranger dans un outil qui permet d’archiver les évènements intervenus dans l’usine – va de pair avec un travail de classification et même de qualification. Or cette opération sera celle qui permet le dénombrement des évènements par catégories, notamment lors des activités de reporting externe, qui présuppose en amont une opération de qualification : « Ceci n'empêche que leur comptage suppose tout autre chose : une procédure sociale de qualification de ces événements. Parler de statistiques des accidents de travail, c'est parler de cette procédure, pleinement justifiée. » (Desrosières, 1992, p. 94). Mais cette activité de classement impliquera aussi l’affectation à tel ou tel acteur de l’usine du suivi des actions qui en découlent. On verra alors le jeu avec les règles qui opère à différents niveaux.