Pays et paysages de l'argile. Approche géomorphologique des milieux argileux. - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2018

Pays et paysages de l'argile. Approche géomorphologique des milieux argileux.

Résumé

L'étude des paysages de l'argile a été rarement entreprise en tant que telle, parce que l'argile est un matériau ubiquiste, dont le comportement vis-à-vis de l'érosion est supposé prévisible dans ses grandes lignes (roche meuble facile à inciser et à exporter), donnant lieu à des reliefs « mous », modelés par des processus d'érosion liés à la présence d'eau sous forme liquide (glissements, mouvements de versants). Ces reliefs ont souvent été jugés comme banals car dépourvus de caractère spectaculaire, et répondant mal aux définitions habituelles de la géomorphologie structurale (reliefs plissés et faillés), et ont été inégalement étudiés. De même, les études de géomorphologie dynamique s'attachent d'abord aux agents d'érosion (pluie, ruissellement, vent, variations thermiques) ou à la vitesse de l'érosion, les roches argileuses étant en bloc considérées comme fragiles. De plus, le passage de l'échelle des minéraux argileux - qui confèrent aux roches leurs propriétés mécaniques, de la plasticité des kaolinites au pouvoir de gonflement des smectites - à celle des roches argileuses, elles-mêmes variées dans leur composition minéralogique et leur texture, complique l'analyse. Enfin, les modalités de l'imbibition en eau (quantité, rythme saisonnier), et par conséquent le caractère zonal des paysages de l'argile, jouent comme variable supplémentaire. A la vérité, de nombreuses études ont été menées en géomorphologie dans le dernier quart du XX e siècle, qui abordent directement ou indirectement les argiles, sans être centrées sur elles. Ainsi, R. J. Chorley et al. (1984) rappellent que les argiles jouent un rôle notable dans le relief : elles exercent une forte influence sur les processus de dénudation lorsqu'elles sont présentes conjointement avec d'autres couches sédimentaires, en introduisant des conditions différentielles de résistance à l'érosion mécanique - d'où les reliefs d'érosion différentielle, au premier chef desquels les cuestas -, et en influant sur la stabilité des strates surincombantes. Elles déterminent différentes formes de pentes qui dépendent de l'humidité du milieu. Les propriétés des minéraux argileux (résistance au cisaillement, volume, densité) sont fortement sollicitées par la présence d'eau, d'où l'influence du régime des pluies sur la morphométrie des roches argileuses, donc deux types de milieux : des milieux humides, à fourniture d'eau abondante toute l'année, ce qui détermine des nappes peu profondes et un couvert végétal continu - et, partant, une altération des roches par hydrolyse de leurs minéraux, livrant des argiles, ainsi qu'une protection à l'égard des pluies intenses - ; et des milieux semi-arides à arides, à humidité limitée (en durée et en profondeur), avec couvert végétal discontinu, voire absent, ce qui privilégie les formes d'érosion latérale ou d'incision dans les argiles. Les formes entaillées dans les argiles dans les secteurs à sécheresse saisonnière (climat méditerranéen, climats supratropicaux de manière générale), se situent entre ces deux pôles morphoclimatiques, sans compter avec les héritages de climats anciens (climats de l’ère tertiaire, souvent chauds avec oscillations entre conditions humides et sèches). En outre, la question de la prédominance de la kaolinite, réputée plastique à partir d’un certain seuil d’imbibition, ou de la smectite, gonflante dans ces mêmes conditions – variétés minéralogiques qui constituent deux extrêmes en matière de comportement mécanique, sachant qu’il en existe d’autres, parmi lesquelles l’illite souvent associée à la kaolinite dans les stocks d’argiles d’altération des massifs anciens des latitudes moyennes, ainsi que les minéraux interstratifiés – doit être dépassée. Car d’une part J. Pouquet (1967) insiste sur la cohésion des strates sédimentaires argileuses lorsqu’elles ne sont pas exposées aux agents météoriques : une propriété reconnue par exemple à Bure dans l’est du Bassin parisien, pour l’excavation de logements d’entreposage de déchets nucléaires, où la couche argileuse callovo-oxfordienne se trouve à 500 m sous la surface du plateau du Barrois, alors qu’à quelques dizaines de kilomètres à l’est, elle se comporte comme une couche meuble le long de la Côte de Meuse où elle affleure à l’air libre. D’autre part M. Guigo, dans sa thèse sur le relief de l’Apennin septentrional (1979), où ces conditions d’imbibition en eau sont réalisées tant en hiver et au printemps par le biais de la couverture neigeuse, qu’en automne par celui des précipitations méditerranéennes, démontre que l’aptitude des versants à fluer (teneur en montmorillonite - de la famille des smectites - de la fraction argileuse de la roche qui affleure sur le versant) dépend non seulement de la prévalence de ce minéral argileux dans la fraction argileuse, mais encore de la proportion de la fraction argileuse dans la roche considérée – ce qui conduit l’auteur, selon une approche analytique des paramètres intervenant dans l’évolution des versants, à établir une classification en groupes, dont certains sont voisins : « par exemple celui dont la part d’argile est moyenne mais constituée essentiellement de montmorillonite, et celui dont la part d’argile est plus forte mais comporte des chlorites et de la kaolinite, ce qui réduit la part des autres minéraux considérés comme gonflants » (M. Guigo, op. cit.). On connaît enfin, sous les latitudes moyennes, l'actualité des terrains argileux dans l’optique du risque de retrait-gonflement, où la stabilité des bâtiments est compromise du fait de la rétraction des argiles en période de dessiccation estivale, puis de leur forte imbibition en eau à l’occasion des orages de fin d’été, à la faveur d’une infiltration facilitée dans les sols craquelés. De ce fait, se dessine une typologie de formes discrètes mais non moins reconnaissables, formes en creux ou bosselées des versants des latitudes moyennes à fourniture d’eau constante (falaises des Vaches Noires en Normandie, Montagne de Reims ...) ; formes de ravinement des milieux méditerranéens à fourniture d’eau saisonnière (calanchi : B. Kayser, 1961) ; collines des tropiques humides, disséquées dans les épaisses formations d’argile d’altération (demi-oranges) ; formes planes des glacis créées par le balayage latéral des oueds, sur les marges désertiques – mais aussi, sous forme d’héritages, au pied des grands escarpements montagnards (Pyrénées espagnoles : P. Barrère, 1975 ; rebord ardéchois du Massif central ; Baronnies : travaux de R. Lhénaff et al. au cours des années 1980-90, sur le ravinement en badlands des glacis argilo-marneux, menés dans un but de quantification de la vitesse de l’érosion). A cette géomorphologie, qui reflète des familles de processus d’érosion, se superposent des paysages culturels, nés de la longue pratique d’utilisation de l’argile comme matériau : des « pays » de tuiles et de briques à la tonalité rouge, doublés de terroirs agricoles longtemps difficiles à cultiver et de moindre densité de peuplement ; des milieux humides aux anciennes argilières devenues étangs, jalonnés par une toponymie évocatrice (Charentes : P. Daniou, 1977, B. Comentale, 2013 ; Ouest de la France : B. Comentale, 2015, 2017 ; Côteaux de Gascogne : B. Comentale, en préparation). Références bibliographiques. Barrère P. (1975). Terrasses et glacis d’érosion en roches tendres dans les montagnes du Haut-Aragon. Mélanges à G. Viers, tome 1, p. 29-45. Chorley R. J., Schumm S. A., Sugden D. E. (1984). Geomorphology. Londres, Methuen & Co., 605 p. Comentale B. (2013). Le travail de l’argile, clé d’accès à la géomorphologie dans l’Ouest de la France. Collection Edytem, n°15, p. 127-134 Comentale B. (2015). Les activités de transformation de l’argile : un matériau pour une vulgarisation de la géomorphologie. L’exemple de la Vendée. Cahiers nantais, 2015-2, p. 5-14. Comentale B. (2017). Vulgariser la géomorphologie à partir du travail de l’argile. L’exemple de la région des Pays de la Loire (Ouest de la France). Physio-Géo, volume 11, p. 1-22. Daniou P. (1977). L’exploitation des argiles dans les Landes du Sud des Charentes. Norois, 93, p. 11-32. Guigo M. (1979). Hydrologie et érosion dans l’Apennin septentrional. Thèse de doctorat d’État, Aix-en-Provence, 501 p. Kayser B. (1961). Recherches sur les sols et l’érosion en Italie méridionale. Lucanie. SEDES, Paris, 128 p. Pouquet J. (1967). L’érosion des sols. PUF, Paris, coll. Que sais-je ?, 128 p.

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Bruno Comentale. Pays et paysages de l'argile. Approche géomorphologique des milieux argileux.. Journée d'étude, projet collectif ArScAn "Argiles"., Dec 2018, Nanterre, Maison René-Ginouves, université Paris X, France. ⟨halshs-02271497⟩
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