La réparation du préjudice écologique en droit commun de la responsabilité civile - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Recueil Dalloz Année : 2016

La réparation du préjudice écologique en droit commun de la responsabilité civile

Aude-Solveig Epstein
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 1051875

Résumé

[Cour de cassation, crim. 22-03-2016 13-87.650].
Les parlementaires français débattent encore de l'opportunité d'inscrire la réparation du préjudice écologique dans le code civil ; la jurisprudence les a pourtant devancés. L'arrêt commenté, rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 mars 2016, en fournit un nouveau témoignage.

Cette affaire concerne une pollution aux hydrocarbures intervenue dans l'estuaire de la Loire le 16 mars 2008, des suites d'une rupture de tuyauterie dans la raffinerie de Donges exploitée par la société Total raffinage marketing.

L'exploitant fut reconnu coupable de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances entraînant des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune ou à la flore.

Plusieurs collectivités territoriales et associations se constituèrent parties civiles, parmi lesquelles la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

En première instance, la LPO obtint une somme d'environ 35 000 € au titre de la réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral. En revanche, sa demande en indemnisation du préjudice écologique fut jugée irrecevable. La cour d'appel de Rennes infirma le jugement sur ce point : pour elle, la demande en indemnisation du préjudice écologique était bien recevable, mais elle n'était pas pour autant fondée. En effet, l'association avait sollicité de ce chef une somme comprenant 80 000 € au titre des oiseaux détruits et 326 000 € correspondant à son budget annuel de gestion sur deux ans. Cette durée de deux ans avait été déterminée eu égard à la durée du dommage : grâce aux opérations de dépollution conduites sous le contrôle de l'exploitant, le dommage avait pu sembler effectivement réparé deux ans après sa survenance. Or, pour la cour d'appel, la destruction alléguée des oiseaux n'était pas prouvée. En outre, l'association aurait confondu son préjudice personnel et le préjudice écologique, ses frais de fonctionnement n'ayant pas de lien direct avec les dommages causés à l'environnement.

La LPO forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt l'ayant à nouveau déboutée de sa demande en indemnisation du préjudice écologique. Selon l'association, l'existence d'un préjudice écologique résulterait nécessairement des infractions constatées, de telle sorte que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, reconnaître la culpabilité de l'exploitant et nier l'existence d'un préjudice écologique. En tout état de cause, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale en s'abstenant de rechercher si un préjudice écologique n'avait pas résulté de la désertion des zones polluées par diverses espèces d'oiseaux, consécutivement à la dégradation temporaire de leur écosystème. Enfin, en retenant que la preuve de la destruction des oiseaux n'était pas rapportée, et ce de l'avis de la partie civile elle-même, la cour d'appel aurait dénaturé les écritures de cette dernière.

C'est sans répondre directement à ces différents moyens que la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel, en ses seules dispositions ayant débouté la LPO de ses demandes en indemnisation du préjudice écologique. Au visa des articles 1382 du code civil, L. 142-2, 593 du code de procédure pénale, L. 161-1 et L. 162-9 du code de l'environnement, la chambre criminelle affirme que les juges du fond ne pouvaient refuser, pour « des motifs pris de l'insuffisance ou de l'inadaptation du mode d'évaluation proposé par la LPO », d'ordonner la réparation du préjudice écologique dont ils avaient « implicitement reconnu l'existence ». Il leur incombait de « chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise », ce préjudice consistant en « l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction ». La Cour de cassation s'en remet ainsi à la définition du préjudice écologique déjà retenue dans l'arrêt Erika, et elle admet que ce préjudice puisse être l'objet d'une reconnaissance « implicite ». Quant au régime de la réparation du préjudice écologique, elle affirme qu'il appartenait aux juridictions du fond de « réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe et d'en rechercher l'étendue », sachant que « la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l'article L. 142-2 du même code ». Elle confirme ainsi que la référence à « autrui » contenue dans l'article 1382 du code civil n'est pas un obstacle à la réparation du préjudice écologique. De plus, elle réaffirme que ce préjudice peut donner lieu à une indemnisation sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, nonobstant l'existence par ailleurs de régimes de réparation spécialement destinés à s'appliquer aux atteintes à l'environnement.

Les enseignements de l'arrêt sont donc doubles. Ils portent, d'un côté, sur la caractérisation du préjudice écologique (I), et, de l'autre, sur le régime de la réparation de ce préjudice (II).

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Dates et versions

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Identifiants

  • HAL Id : halshs-02215491 , version 1

Citer

Aude-Solveig Epstein. La réparation du préjudice écologique en droit commun de la responsabilité civile. Recueil Dalloz, 2016, 21, pp.1236-1240. ⟨halshs-02215491⟩
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