Personne morale de droit public et action civile - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Recueil Dalloz Année : 2006

Personne morale de droit public et action civile

Sylvain Jacopin

Résumé

Voici encore un arrêt sur la recevabilité de l'action civile en matière pénale, conditionnée, faut-il le rappeler ici, par la démonstration du caractère personnel et direct du préjudice invoqué (art. 2 et 3 c. pr. pén.). Une nouvelle fois, la Cour de cassation fait preuve d'une grande rigueur en la matière. En effet, la Haute cour a désormais une conception très stricte du préjudice direct. En droit pénal des affaires, elle lui assigne un domaine de plus en plus étroit. La personne morale de droit privé est seule recevable dans son action, y compris pour des infractions qui, a priori, ne la lèsent pas directement(1). Or, la plupart du temps, il faut bien dire que, sauf changement de dirigeant, le nouveau agissant alors contre l'ancien, aucune action civile ne sera engagée dès lors que le dirigeant lui-même est souvent l'auteur de l'infraction. L'action des tiers relève alors, dans ce contexte, une importance particulière, mais privée de tout effet au pénal(2). Par cet arrêt du 28 février 2006, on pouvait donc légitimement s'attendre que la Cour de cassation reste fidèle à sa position, ajoutant l'Etat à la liste (déjà longue) des personnes irrecevables à se constituer partie civile, faute de justifier d'un préjudice personnel et direct, en cas d'aides à une société dont les dirigeants ont commis des abus de biens sociaux(3). La solution, certes contestable, demeure sans surprise. D'une part, l'action civile, même lorsque les faits sont reprochés à un fonctionnaire public, est soumise aux mêmes conditions de recevabilité prévues aux articles 2 et 3 du code de procédure pénale(4). D'autre part, selon la jurisprudence actuelle, les personnes morales de droit public (en particulier l'Etat) sont admises à agir au pénal de manière très ponctuelle. Il faut alors distinguer trois situations. La première concerne l'agent victime d'une infraction. Dans l'arrêt rendu le 10 mai 2005(5), une assistante sociale départementale est outragée et menacée de mort par un usager qui, en outre, adresse au supérieur hiérarchique de la victime un courrier lui imputant faussement des actes de corruption. Le Conseil général accorde à son agent le bénéfice de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 selon lequel la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Le président du Conseil général se constitue partie civile principalement des chefs d'outrage à une personne chargée d'une mission de service public de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie, et dénonciation calomnieuse. Selon la Cour de cassation, cette action est irrecevable : seule la victime directe de l'infraction peut déclencher l'action publique. Si, en vertu de la loi du 13 juillet 1983, la collectivité est subrogée dans les droits de la victime qu'elle a indemnisée, y compris par voie de constitution de partie civile, c'est à la condition que l'action publique ait été préalablement engagée par le ministère public ou par la victime directe de l'infraction(6). La deuxième situation se présente lorsque l'agent public lui-même commet une infraction. Dans l'arrêt rendu le 10 mars 2004(7), passé presque inaperçu, la Cour de cassation admet l'action civile de l'Etat dans une formule laconique : outre le préjudice matériel, les agissements reprochés, détachables de la fonction de laquelle ils ont été commis, « jettent le discrédit sur l'ensemble de la fonction publique, affaiblissent l'autorité de l'Etat dans l'opinion publique et lui causent un préjudice personnel direct ». La troisième situation est celle de l'affaire commentée : une infraction commise par le dirigeant d'une société pour laquelle ont été versés des fonds publics. La Cour de cassation refuse ici toute action civile de l'Etat. Il convient dès lors de s'interroger plus spécifiquement sur la façon dont le juge apprécie l'action civile des personnes morales de droit public relativement aux faits commis par leurs agents(8) ou par des tiers. Le raisonnement semble être le suivant : la commission d'une infraction emporte un double dommage. D'une part, elle porte atteinte à l'intérêt public ou privé que le législateur a entendu protéger (par ex. : atteinte à la fonction publique dans le cas de la corruption, atteinte à l'honneur dans le cas de la diffamation) ; d'autre part, elle atteint la collectivité dans son ensemble par le simple fait qu'une règle de vie en société a été violée, et du fait que le préjudice privé ou public se diffuse sur l'ensemble de la population. Sur le fondement de l'article 3, alinéa 2, du code de procédure pénale, ce n'est alors que lorsque le dommage est issu d'une infraction protégeant un intérêt public particulier distinct du préjudice collectif que l'action civile des personnes morales de droit public est admise (I). Néanmoins, ce raisonnement repose sur un artifice juridique peu convaincant, lié à des considérations d'opportunité, dans le souci d'accroître la répression de certaines infractions, au mépris de la théorie des infractions d'intérêt général (II).

Domaines

Droit
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02209439 , version 1 (31-07-2019)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02209439 , version 1

Citer

Sylvain Jacopin. Personne morale de droit public et action civile. Recueil Dalloz, 2006, 31, pp.2145. ⟨halshs-02209439⟩
446 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More