Qualification de « la vente Giacometti » : une vente volontaire ou une vente judiciaire ? - HAL Accéder directement au contenu
Article dans une revue Recueil Dalloz Année : 2005

Qualification de « la vente Giacometti » : une vente volontaire ou une vente judiciaire ?

Résumé

[Cour d'appel de Paris 08-03-2005 02/21315].
Si, jusqu'il y a peu, les ventes aux enchères publiques donnaient lieu à un faible contentieux, principalement cantonné à l'annulation de la vente et à ses conséquences en présence d'une erreur vice du consentement ou d'un dol, il n'en va plus de même depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques(1), dont la plupart des dispositions ont été codifiées à droit constant aux articles L. 321-1 et suivants du code de commerce.

Parmi les nouvelles difficultés juridiques suscitées par cette loi et portées devant les juridictions, il faut en signaler une d'importance qui fait l'objet du présent commentaire. Il s'agit de la distinction à opérer entre les ventes aux enchères publiques volontaires et les ventes aux enchères publiques judiciaires. En effet, bien que cette distinction ne soit pas nouvelle, elle revêt désormais une importance majeure dans la mesure où la loi du 10 juillet 2000 régit les seules ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Pour mieux comprendre, il faut rappeler que cette loi a été adoptée par le législateur national à la suite d'une mise en demeure de la Commission de Bruxelles afin que la France rende compatible sa législation avec le principe de la libre prestation de services dans l'Union européenne, ce qui n'était pas le cas puisque le monopole des commissaires-priseurs empêchait des sociétés de ventes d'autres pays de l'Union de venir organiser et réaliser des ventes aux enchères tant volontaires que judiciaires sur le territoire français. En définitive, la loi du 10 juillet 2000 a mis fin au monopole des commissaires-priseurs pour la réalisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, dorénavant confiées à des sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Par ailleurs, l'article 29 de la loi maintient l'ancien monopole au profit des nouveaux commissaires-priseurs judiciaires pour l'organisation et la réalisation des ventes judiciaires de meubles aux enchères publiques. En conséquence, jusqu'à la loi du 10 juillet 2000, les commissaires-priseurs étaient chargés de toutes les ventes aux enchères publiques, qu'elles soient judiciaires ou volontaires(2), alors que, désormais, les ventes volontaires sont organisées par des sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et les ventes judiciaires par des commissaires-priseurs judiciaires(3). Ce sont deux sortes de ventes différentes organisées par des personnes juridiques distinctes(4).

C'est dans ce contexte qu'est intervenue l'affaire commentée. Ainsi, une première ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris du 1er juillet 1999 a nommé un administrateur judiciaire en qualité d'administrateur provisoire de la succession de la veuve du célèbre artiste Alberto Giacometti, avec notamment pour mission de constituer une fondation au profit de laquelle elle a légué ses biens. La mission de cet administrateur a été prorogée jusqu'à la reconnaissance de la Fondation Alberto et Annette Giacometti par décret du 10 décembre 2003, laquelle a alors recueilli les biens de la succession. Entre-temps, pour régler les frais d'administration de la succession, l'administrateur provisoire a été autorisé par le président du Tribunal de grande instance de Paris « à faire procéder par tel commissaire-priseur de son choix à la vente aux enchères publiques d'oeuvres [...] et ce pour un montant de 6 000 000 euros TTC » par une ordonnance du 21 février 2002. L'administrateur s'est alors adressé à la société Christie's France en tant que société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques pour qu'elle organise la vente. Aussitôt, la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires et la Chambre de discipline de la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris ont assigné la société Christie's France pour que le tribunal fasse interdiction à cette société d'organiser la vente litigieuse au motif qu'il s'agissait d'une vente judiciaire qu'une simple société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques n'était pas habilitée à réaliser.

En définitive, par jugement du 25 septembre 2002, le Tribunal de grande instance de Paris a interdit à la société Christie's France d'organiser et de réaliser la vente, considérant qu'elle n'avait pas la qualité de commissaire-priseur et qu'elle ne disposait donc pas d'un mandat régulier conforme à la décision judiciaire autorisant la vente. Pour autant, le tribunal n'a pas déterminé le caractère judiciaire ou volontaire de la vente, estimant, à tort(5), que cela n'était pas nécessaire. Finalement, les parties se sont entendues et la vente a eu lieu par le ministère d'un commissaire-priseur judiciaire. L'affaire aurait pu en rester là, mais la société Christie's France a décidé d'interjeter appel de ce jugement(6), ce dont on peut se réjouir car il a permis à la Cour d'appel de Paris de se prononcer sur cette question.

Les magistrats du second degré ont retenu la qualification de vente judiciaire au terme d'un travail notable de recherche du sens et de la portée de l'ordonnance du 21 février 2002, qui a « employé un terme impropre en désignant un «commissaire-priseur», alors que cette fonction avait disparu ». Ce motif peut cependant être relativisé par le contenu même de la loi du 10 juillet 2000. Celle-ci comporte des dispositions transitoires parmi lesquelles figure l'article 53 qui dispose que « pendant un délai de deux ans à compter de la date de promulgation de la présente loi, les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques pourront être organisées et réalisées concurremment par les commissaires-priseurs en fonctions à cette même date et par les sociétés de forme commerciale [...] ». Cette période transitoire de deux ans devait permettre aux anciens commissaires-priseurs de s'adapter à la réforme en leur laissant le temps de constituer des sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Or le président du Tribunal de grande instance de Paris a rendu son ordonnance pendant cette période transitoire puisqu'elle date du 21 février 2002 et que cette période s'est achevée le 10 juillet 2002 à minuit ou le 11 juillet 2002 à zéro heure(7). Le terme n'était donc pas forcément impropre puisque le législateur l'a lui-même utilisé. Il semble alors difficile de reprocher à un juge de l'employer aussi... Quoi qu'il en soit, c'est la qualification de la vente retenue par la cour d'appel qui importe et qu'il convient d'analyser, car la véritable recherche menée par cette juridiction concerne le caractère judiciaire ou volontaire de la vente. Ce d'autant que la loi du 10 juillet 2000 s'est montrée en la matière trop imprécise. Il revenait alors au juge de pallier cette insuffisance de la loi conformément à l'article 4 du code civil.

C'est pourquoi il est intéressant de présenter les lacunes de la loi du 10 juillet 2000 (I), avant d'envisager la distinction même vente judiciaire/vente volontaire (II).

Domaines

Droit
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Dates et versions

halshs-02208673, version 1 (31-07-2019)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02208673 , version 1

Citer

Laurence Mauger-Vielpeau. Qualification de « la vente Giacometti » : une vente volontaire ou une vente judiciaire ?. Recueil Dalloz, 2005, 21, pp.1404. ⟨halshs-02208673⟩
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Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
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