Le mariage peut-il « survivre » au transsexualisme d'un époux ? - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Recueil Dalloz Année : 2002

Le mariage peut-il « survivre » au transsexualisme d'un époux ?

Résumé

[Tribunal de grande instance de Caen 28-05-2001].
Parmi les conditions de fond du mariage, le droit civil français requiert encore des futurs époux une différence de sexe (1). Portée au jour de la rédaction de l'acte de naissance, l'indication sexe masculin ou sexe féminin est normalement définitive. Sauf erreur, cette mention ne présente pas de difficulté et est destinée à ne jamais changer. Mais la Cour de cassation, sous l'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (2), a, par un arrêt rendu en Assemblée plénière le 11 déc. 1992, autorisé certaines personnes à changer de genre : « Lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l'appartenance [...] » (3). Ainsi, le droit entérine le fait : la reconnaissance médicale et la réalisation chirurgicale du transsexualisme obligent l'officier d'état civil à modifier la mention relative au genre humain. Or un tel changement n'est pas sans conséquence, notamment lorsqu'il s'inscrit dans le cadre d'une union matrimoniale. En effet, que devient le mariage antérieurement contracté entre un homme et une femme lorsque l'un d'eux change de sexe et adopte celui de son conjoint ? S'il semble évident que le mariage ne peut plus durer puisqu'il s'agit désormais d'une union homosexuelle, comment y mettre fin ?

Ces questions ont été suggérées par l'examen du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Caen le 28 mai 2001 à propos d'une demande en divorce aux torts exclusifs de son conjoint déposée par une épouse dont le mari venait de changer de sexe. Cette affaire retient particulièrement l'attention dans la mesure où Mme F..., épouse G..., et M. G..., devenu Sylvie G... par décision du même tribunal en date du 10 déc. 1998, étaient mariés depuis le 11 août 1950 et étaient respectivement âgés de 73 et de 72 ans.

Ainsi, Mme F... a assigné son conjoint en divorce pour faute, à ses torts exclusifs, lui reprochant, d'une part, d'avoir quitté le domicile conjugal en 1994 pour subir sa transformation féminine et considérant, d'autre part, que « son transsexualisme, accompagné d'un changement d'état civil, constitue un comportement injurieux à son égard ». Par ailleurs, elle sollicite une prestation compensatoire, un report des effets du divorce au jour du départ fautif du mari, des dommages et intérêts au titre des art. 266 et/ou 1382 c. civ. et l'autorisation de conserver l'usage du nom de son mari. Le tribunal fait droit à sa demande principale en précisant toutefois que le transsexualisme n'est pas en soi constitutif d'une faute. En revanche, la faute réside dans le fait d'avoir procédé aux transformations sans « l'accord et le soutien moral de son conjoint », « sans tenir compte des implications de ce choix à l'égard de son épouse, qui, par la force des choses, se trouve désormais privée d'une vie de couple dans le cadre de l'institution du mariage ». C'est aussi en raison de ce « comportement égocentrique » que le tribunal condamne Sylvie G... à verser des dommages et intérêts à Mme F... Enfin, celle-ci obtient une prestation compensatoire allouée sous forme de rente viagère (4) et le droit de conserver l'usage du nom de son mari (5).

Cette décision conduit donc à s'interroger sur la faute, cause du divorce, qui a permis à Mme F... d'obtenir un divorce aux torts exclusifs de Sylvie G... En effet, bien que le jugement n'ait pas retenu le transsexualisme comme constitutif d'une faute, il a adopté une vision subjective du problème en retenant l'implication de ce choix à l'égard de l'épouse. Quoique cette position soit séduisante, l'on observe que les juges du fond ne parviennent pas à rejeter purement et simplement les demandes en divorce pour faute présentées par les conjoints de transsexuels (6). Or il faut se demander si le transsexualisme permet une telle appréciation au regard de l'arrêt de l'Assemblée plénière du 11 déc. 1992. Cette première réflexion permettra ensuite d'envisager si une autre issue que le divorce pour faute, plus objective, ne pourrait pas être trouvée en cas de changement de sexe de l'un des époux en cours d'union matrimoniale.

C'est pourquoi, après avoir critiqué la dissolution du mariage d'un transsexuel par un divorce à ses torts exclusifs (I), seront étudiées les autres solutions permettant de mettre fin à un mariage contracté antérieurement au changement de sexe de l'un des époux (II).

Domaines

Droit
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02206353 , version 1 (31-07-2019)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02206353 , version 1

Citer

Laurence Mauger-Vielpeau. Le mariage peut-il « survivre » au transsexualisme d'un époux ?. Recueil Dalloz, 2002, 02, pp.124. ⟨halshs-02206353⟩
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