Les émotions de la critique urbaine : les affects en jeu dans la production des espaces - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2019

Les émotions de la critique urbaine : les affects en jeu dans la production des espaces

Benoît Feildel

Résumé

La transformation intentionnelle des espaces habités, dans le cadre des processus d'aménagement de l'espace et d'urbanisme, suscite son lot d'émotions. A travers cette communication, nous montrerons que les affects exprimés, manifestés, mobilisés à l'occasion de ces processus constituent de puissants vecteurs de structuration de l'action collective, aussi bien du côté des promoteurs des projets urbains que du côté des destinataires de l'action, habitants, usagers, citoyens (Feildel, 2014). Notre propos s'axera dès lors sur l'intérêt de mobiliser la théorie des émotions (Livet, 2002) dans une perspective critique (Honneth, 2000) pour éclairer les nouvelles modalités de marchandisation des espaces et les conflits qui émergent autour des projets urbains. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l'étude de projets d'aménagement menés depuis 2008 dans les agglomérations de Tours, Rennes et Nantes. La production de l'espace dans le cadre des projets urbains fait la part belle depuis quelques années au registre de l'affectivité, en écho au processus d'émotionnalisation des conduites, décrit par la sociologue Eva Illouz (2006), caractéristique de l'usage économique et politique des émotions dans les sociétés libérales contemporaines. Les opérateurs de l'aménagement mobilisent ainsi les affects principalement à des fins communicationnelles et performatives (Matthey, 2014), dans le but de susciter le désir autour des espaces à aménager et d'obtenir l'adhésion des populations aux projets dont ils sont les principaux promoteurs. La stratégie des acteurs de la production urbaine revient à mettre en scène les projets, afin de les rendre séduisants et désirables (Lipovetsky et Serroy, 2013) pour les investisseurs et les habitants, en ayant recours à un vocabulaire affectif (Anderson et Holden, 2008), qui prend dès lors le pas sur la mise en valeur des qualités fonctionnelles ou des enjeux sociaux de la fabrique des espaces. La promotion des affects, particulièrement visible dans les projets d'envergure, par exemple Lyon Confluence (Adam & Laffont, 2018), participe d'une économie affective (Illouz, 2008 ; Lordon, 2010) visant à la fois à susciter et à entretenir un affect commun (Lordon, 2013) autour des projets urbains. Cette instrumentalisation de l'affectivité, principalement à des fins marchandes, se heurte cependant à l'expression des sensibilités habitantes. C'est l'autre versant de l'implication des affects, celui de la mobilisation collective contre ces mêmes projets ; les émotions jouant un rôle important dans le cadre de la contestation des projets urbains (Feildel, 2014). Dans ces situations conflictuelles, les émotions servent à la fois à sensibiliser et à mobiliser les habitants (Traïni, 2009 ; Jasper, 2011). Le conflit s'ancre avant tout dans une dynamique portant sur les modalités et les valeurs soutenues par l'action aménagiste. Les émotions constituent alors de puissants révélateurs des valeurs (Livet, 2002) projetées sur l'espace, venant alimenter la critique et la contestation des projets urbains. Ce qui est visé, et qui provoque l'émoi des populations, c'est moins le contenu du projet en lui-même que la manière de faire-et en particulier, la non prise en compte des sensibilités habitantes. A travers la contestation, et la manifestation d'un ressentiment récurrent, s'exprime ainsi une demande de reconnaissance des sensibilités habitantes, de l'espace tel qu'il est perçu et vécu, en opposition à l'espace conçu par les opérateurs de l'aménagement. La mise en lumière de ces différentes facettes des processus de transformation des espaces habités vient souligner la dimension particulièrement heuristique-et relativement nouvelle-des affects dans le cadre des approches critiques, leur capacité à révéler les normes émotionnelles qui confortent la place des dominants et, plus largement, à éclairer les conditions d'un « partage du sensible » (Rancière, 2000) dans des contextes où l'objectif est d'orienter dans un sens délibérément consenti le désir collectif, encourageant l'effacement des divergences ou écartant l'éventualité d'un désaccord sur l'évaluation et la signification des ressentis (Feildel et Le Jeloux, 2018).
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-02171992 , version 1 (03-07-2019)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-02171992 , version 1

Citer

Benoît Feildel. Les émotions de la critique urbaine : les affects en jeu dans la production des espaces. Approches critiques de la dimension spatiale des rapports sociaux : débats transdisciplinaires et transnationaux, Jun 2019, Caen, France. ⟨halshs-02171992⟩
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