, Ainsi de Laurent, qui planifie méticuleusement ses visites : il va tous les ans en Italie précisément pour les oeuvres qu'il peut y admirer dans les musées, les églises et les autres monuments historiques, et choisi ses lieux de vacances, en priorité, pour leur offre culturelle. De façon générale, les séjours courts des enquêtés les plus compétents répondent également à une telle logique : Isabelle : On voulait se faire un week-end, on savait pas où aller, on n'était pas? On n'avait pas un budget énorme, on pouvait pas aller très loin. Je me suis dit, mais moi, le musée de l'illustration à Strasbourg, je veux le voir, je veux le voir, Planifier ses visites : vacances culturelles et week-ends à Paris La motivation culturelle des choix de destinations de vacances s'accroît avec l'investissement culturel et la compétence artistique

, Le séjour est organisé pour prendre des vacances, s'éloigner du lieu de travail, mais la logique de l'investissement culturel est immédiatement mobilisée. La disposition planificatrice incite également à se renseigner en amont sur l

, Marie prépare ses visites à partir de guides de voyage (40 ans

, Laurent repère en amont les peintres et les oeuvres qui l'intéressent dans les régions où il se rend (44 ans

, Leur généralisation a été l'un des principaux symptômes des mutations économiques de ces établissements depuis les années 1970. De ce fait, elles ont été largement critiquées pour leur caractère mercantile, en particulier celles que l'on qualifie de « blockbuster » qui, en se concentrant sur des artistes à la réputation établie, La vie des musées d'art est désormais, et depuis plusieurs décennies, rythmée par les expositions temporaires

, Cette hypothèse ne se vérifie pas sur mon terrain : les visiteurs les moins planificateurs ne vont pas voir d'expositions temporaires, alors que les plus planificateurs n'en manquent aucune. Le fait que Lyon ne soit pas une capitale artistique est peut-être une raison : des villes qui ont une offre plus importante, New York?) connaissent peut-être un public de visiteurs peu assidus en vacances et dans les collections permanentes

C. , une des raisons pour lesquelles les visiteurs dotés de fortes dispositions à la planification tendent à élargir l'horizon géographique de leurs visites d'expositions. Paris constitue une destination habituelle pour ces visiteurs. Elle est très souvent associée à des sociabilités spécifiques : Laurent et Isabelle, par exemple, ont tous deux des amis à Paris qu'ils sollicitent souvent pour les loger le temps d'une visite centrée sur des sorties culturelles

V. D. Alexander, « Pictures at an exhibition: Conflicting pressures in museums and the display of art, American Journal of Sociology, vol.101, pp.797-839, 1996.

, Ces séjours sont l'occasion d'aller visiter les expositions du moment, mais aussi de revoir les musées qu'ils affectionnent le plus : le Louvre pour Laurent, la cité de l'architecture pour Pauline. Mes enquêtés lyonnais se déplace ainsi régulièrement, outre leurs voyages à, Baptiste vante ainsi les musées et fondations suisses, qu'il

, Le fait d'avoir visité plusieurs fois les collections permanentes d'un musée local constitue un bon marqueur de la capacité à la planification, puisqu'il signale une attention particulière apportée à ces collections. Laurent a par exemple visité plusieurs fois le musée des beaux-arts, Chez les visiteurs les plus compétents, la routinisation peut prendre d'autres formes que la visite des expositions, et concerner notamment les collections permanentes des musées

P. , Elles sont rendues possibles par son rapport « décomplexé » au musée, issu d'une familiarité précoce avec ces lieux. Le musée des beaux-arts de Lyon fait partie des musées dont elle connaît bien les collections. La répétition favorise également les visites courtes. Elle se munit pour cela autant que possible d'abonnements dans les musées de la ville (« Les nouvelles cartes d'accès, les choses comme ça, ça me permet d'avoir ce rapport-là, qui a fait des études d'histoire de l'art, n'hésite pas à multiplier les visites rapides des collections permanentes des musées qu'elle apprécie le plus. Elle explique ainsi que « si je me retrouve à attendre quelqu'un aux Terreaux

, En réduisant le coût marginal d'une visite (payer moins cher, éviter la queue), elle favorise les visites courtes. Il est aussi un appui pour des visites dont l'objectif est fixé : alors que les visiteurs, le plus souvent, visitent « le musée » dans son ensemble, ceux qui ont le rapport le plus routinier à la pratique avancent des objectifs plus spécifiques : montrer un tableau à un ami (étudiante en histoire de l'art), observer les ruines grecques dans les paysages de la peinture classique (chercheur en sciences expérimentales)

, Produire la routine

, Si le rapport planificateur et sélectif à l'art est inséparable de la compétence artistique, on ne peut pas simplement en faire le produit de cette compétence. L'habitude des musées d'art, leur intégration dans les routines de la vie quotidienne, constituent les premiers produits de cette socialisation

, Pauline grandit dans une famille de classe supérieure, dans une fratrie de quatre. Dans son enfance, ses parents l'emmènent avec ses frères au musée « une fois par mois » dans leur ville, et plus souvent lors des périodes de vacances et de week-ends. Elle fait avec ses parents de nombreux voyages culturels, où elle visite musées et monuments. De son point de vue, son rapport « décomplexé » aux musées vient de cette habitude acquise très tôt : Mais voilà, les musées, ça fait partie de la culture familiale, donc vraiment? Voilà, Où s'acquièrent les dispositions temporelles dont il a été question dans l'article ? La socialisation artistique est le plus souvent le fait de la famille ; dans des cas plus rares

, Cette familiarité se retrouve dans son attitude au musée, décrite dans la section précédente : visites courtes et fréquentes, souvent non planifiées, et parfois extrêmement sélectives. c'est cette fréquentation très jeune qui m'a permis de pouvoir me dire que y'a rien d'obligatoire dans un musée, on n'est pas obligé de se taper le circuit en entier, ni de voir l'étoile importante? Voilà, la dernière fois que j

, Personne n'y va jamais, hein (rires). (28 ans, bibliothécaire, master d'histoire, licence d'histoire de l'art

, Elle les a suivis dans son enfance, tous les week-ends, dans des expositions pour lesquelles ils faisaient parfois plusieurs heures de voiture : « ils m'ont traînée partout ». Souvent, les vacances plus longues étaient consacrées à des voyages culturels. Ainsi, alors qu'elle a grandi loin de Lyon, elle connaissait déjà bien le musée des beaux-arts avant son installation ici pour ses études : ses parents l'y avaient emmenée à plusieurs reprises. Elle le visite désormais avec ses enseignants, et elle a bénéficié de cette familiarité durant ses études (25 ans, médiatrice culturelle, Les parents d'Isabelle sont enseignants et critiques d'art

L. Fait-d'avoir-Été and . Dans-leur-enfance, accompagnés au musée apparaît pour les visiteurs que j'ai interrogés la variable la plus discriminante dans la production de l'habitude. D'autres enquêtés ont eu des parents amateurs d'art, mais davantage tournés vers une pratique individuelle

, Baptiste n'a pas développé de routine de visites dans son enfance, et ce n'est que durant ses études d'histoire qu'il commence à prendre l'habitude de visiter des musées, d'abord pour des raisons professionnelles. À l'âge adulte, il peut mobiliser certaines ressources acquises durant l'enfance, mais doit intégrer l'habitude de la visite qu'il n'a pas intériorisé enfant. De même, Danièle avait un père collectionneur d'art, qui ne partageait pas sa passion avec ses enfants (63 ans, antiquaire, baccalauréat, conjoint médecin, origine supérieure). Dans les deux cas, la passion des parents a certes pu produire des dispositions facilitant l'adoption d'une pratique à l'âge adulte, via d'autres canaux que l'accompagnement au musée (présence d'oeuvres à la maison, bibliothèque de livres d'art, discussions informelles?), mais l'habitude des visites semble avoir été difficile à prendre. Baptiste ne se considère pas encore comme tout à fait familier des musées d'art, auxquels il préfère les musées d'histoire, par exemple, les compétences artistiques de leurs enfants apparaissent du même coup moindres et leurs routines de visite, moins bien ancrées. Ainsi, Baptiste a grandi dans un village isolé, à une heure d'une ville moyenne, avec deux parents amateurs d'art

, Issu d'une famille de milieu populaire (père agent des PTT, mère ouvrière), il n'a jamais visité de musées, ni parlé d'art avec ses parents. Il a commencé à s'intéresser à la peinture il y a une dizaine d'années en lisant systématiquement des ouvrages d'histoire de l'art, en assistant à des conférences et en visitant de nombreux musées, souvent de façon exhaustive, quitte à revenir plusieurs jours de suite. Lorsqu'il visite un musée, en vacances, il déclare y être présent de l'ouverture à la fermeture. C'est ainsi la planification stricte de son temps et l'engagement dans ses lectures qui lui a permis de compenser le manque de familiarité avec l'art dans l'enfance. Or, ces dispositions ascétiques se sont constituées ailleurs, dans sa socialisation politique. Militant d'extrême gauche, il a lu systématiquement les oeuvres de penseurs socialistes, avec le même sérieux que celui qu'il appliquera plus tard à l'art, La production d'habitudes de visite hors de toute socialisation familiale est rare. Parmi les visiteurs que j'ai interrogés, tous ceux dont les parents n'avaient ni intérêt pour l'art, ni pratique d'accompagnement des enfants

, Jean-Claude Passeron notait déjà à propos des bibliothèques comment un « capital de familiarité », la connaissance pratique des schèmes de classement, pouvait contrebalancer la faiblesse des ressources culturelles 49 . Cette familiarité est un moteur de pratiques et d'apprentissage. On le voit à l'oeuvre même dans les trajectoires de visiteurs qui ne disposent pas d'une compétence artistique particulièrement forte : dans ce cas, l'attachement peut se faire à un seul musée et, Ainsi, la routinisation de la visite semble produire une familiarité avec les musées

J. Passeron, M. Grumbach, and L. , Mais le plus souvent, ce sont les visiteurs les plus compétents qui disposent par ailleurs de la plus grande familiarité avec les musées locaux. La connaissance locale se superpose alors à la connaissance générale de l'art. Laurent a ses habitudes au Louvre : « à chaque fois que je vais à Paris, je vais au Louvre, moi. » Il a pour cet établissement, dit-il, une affinité particulière. « Je sais que je vais rentrer dans cette salle, au Louvre, je sais ce que je vais voir, quoi. Je sais que, là, à gauche, y'a cette oeuvre que j'aime, Enquête sur l'introduction d'une documentation audio-visuelle dans huit bibliothèques publiques, 1981.

, La maîtrise des schèmes de perception légitime de l'art n'est pas simplement une affaire de savoirs et de statutla connaissance des divisions artistiques, le sentiment d'être habilité à prendre la parole, etc. 51 -mais aussi d'un savoir-faire temporel qui prend deux formes principales dans le cas de la visite au musée, la planification et la sélectivité des visites. Cette dimension est, comme le reste de la compétence artistique, liée à l'origine sociale et au diplôme. Mais elle n'est pas un simple produit de cette compétence : elle est au contraire l'un des médiateurs qui expliquent le lien entre ces déterminants sociaux et le développement de la compétence, Le principal résultat de l'article est qu'il existe une dimension temporelle à la compétence artistique qui différencie les pratiques culturelles des classes supérieures

, « Mobilité / autochtonie : Sur la dimension spatiale des ressources sociales, p.40, 2010.

S. Coavoux and . Les-frontières-de-la-compétence, Les apports de l'analogie entre comportements politiques et consommations artistiques à l'étude des publics des musées, Biens symboliques/Symbolic goods, 2018.