L’invention du cru en Bordelais. Du croît d’un lieu au vin de distinction (Moyen Âge-XVIIe siècle) - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Crescentis : Revue internationale d'histoire de la vigne et du vin Année : 2018

L’invention du cru en Bordelais. Du croît d’un lieu au vin de distinction (Moyen Âge-XVIIe siècle)

Résumé

In the Bordeaux region, the current approach of growth in its soil, œnological, legal, etc. aspects is the result of a wine discrimination process inherited from the 18th century and standardised during the 19th and the 20th centuries, with the setting of a network composed of experts who have established the criteria for discrimination. As part of this modern conception, historians' works, such as those of René Pijassou and Henri Enjalbert, tried to retrace this emergence that they linked with those of fine wines and of the « châteaux » during the 17th and the 18th centuries. In this way, they have neglected the use of the word « growth » in more ancient texts and in the same time they have forgotten the medieval legacy in its invention. This study proposes to restore it by the analysis of the uses of this word in Late medieval texts and by the comment of its semantic evolution until the appearance of the « grands crus ».
À la jonction du vin et du lieu, le terme de cru s’est imposé aujourd’hui dans le vocabulaire du professionnel comme de l’amateur pour lesquels il est associé, plus encore que la notion d’appellation, à la qualité et à la distinction ; dans un contexte de mondialisation et de concurrence forcenée entre les aires viticoles, il symbolise l’exclusivité française et la prééminence historique de ses terroirs et de ses vins. Mais il est de ces mots dont l’historien doit s’écarter de toute représentation controuvée pour mieux en mettre en exergue l’historicité. En Bordelais, la conception actuelle du cru, dans ses dimensions pédologiques, œnologiques, juridiques…, est le résultat d’un processus de discernement des vins hérité du XVIIIe siècle et normalisé au XIXe siècle avec la mise en place d’un réseau de spécialistes qui en ont établi les critères et que le classement de 1855 a sanctionné. Participant de ce regard moderne, les historiens, tels René Pijassou et Henri Enjalbert, ont voulu en restituer l’avènement qu’ils associaient à celui des vins de qualité (entendons des grands vins de garde selon les critères de leur époque) et des châteaux aux XVIIe et XVIIIe siècles. De cette sorte, ils ont négligé l’emploi du terme de cru dans les sources plus anciennes et corrélativement, la part de l’héritage médiéval dans son invention. Celle-ci, objet de l’étude proposée, semble effective à la fin du Moyen Âge lorsque le mot fait son apparition dans les actes de la pratique, notamment dans les sources municipales (coutumes, délibérations…) et les actes fonciers. Sa polysémie et sa dimension analogique sont déjà tangibles puisque « cru » recouvre tant la production (le croît, crescut, creu, cru en gascon), le lieu comme espace patrimonial et vivrier que le territoire juridique sous gouvernance communautaire et protégé par des privilèges. S’il est agrégé au vignoble – il ne semble pas utilisé pour d’autres productions – il n’est pas encore pleinement un critère qualitatif, ni associé à un terroir spécifique mais, lorsqu’il est notamment employé par les magistrats municipaux, discerne déjà un espace de production fortement identitaire et participe, avec d’autres attributs juridiques, normatifs, métrologiques…, de la construction de la marque. C’est avec les mutations du vignoble et de son marché, aux lendemains de la conquête française, que l’emploi du mot de cru se généralise ; il conserve toujours ses acceptions médiévales mais en acquiert de nouvelles : aux XVIe-XVIIe siècles, alors que sous l’impact du marché flamand et de ses attentes qualitatives, le vignoble bordelais se transforme, le cru est mis au service d’une hiérarchisation croissante des espaces, des acteurs et des modalités de la production, en corollaire de l’apparition des premiers noyaux d’élite (Sauternais et Sainte-Croix-du-Mont-Loupiac, Graves). En individualisant un domaine, en exprimant la spécificité de son vin, il devient alors un instrument du processus de distinction, tel qu’il s’affirme aux siècles suivants. La fusion entre le lieu et le vin est alors consommée.
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-01995990 , version 1 (28-01-2019)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01995990 , version 1

Citer

Sandrine Lavaud. L’invention du cru en Bordelais. Du croît d’un lieu au vin de distinction (Moyen Âge-XVIIe siècle). Crescentis : Revue internationale d'histoire de la vigne et du vin, 2018, Le vin et le lieu, 1. ⟨halshs-01995990⟩
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