Le lexique de la machine et l'organisation des savoirs : science et intelligence pratique - HAL Accéder directement au contenu
Article dans une revue Le Français préclassique (1500-1650) Année : 2007

Le lexique de la machine et l'organisation des savoirs : science et intelligence pratique

Résumé

Le terme « machine » procède d'un emprunt tardif (XIV e siècle) au latin machina, mais il tardera à devenir d'un usage courant. L'histoire de ce processus s'est trouvée étroitement associée à la figure de Nicole Oresme. Son Livre du ciel et du monde, qui traduit et commente le De caelo, contient en effet l'une des toutes premières occurrences connues du mot « machine ». Cette localisation apparaît pour la première fois nettement chez Littré, qui indique la source d'où il tire son information : « XIV e s. La machine corporele ou la masse de tous lez corps du monde, ORESME, Thèse de MEUNIER 1 ». A cette page de l'essai de Meunier, se trouve une longue citation de l'« Excusation et commendation » des Ethiques, où Oresme conduit une importante réflexion sur les difficultés que présente la traduction en français du patrimoine littéraire antique et où il énonce les principes qu'il suit pour la transposition des termes latins pour lesquels le français ne connaît pas d'équivalents. Mais on ne trouve rien là concernant particulièrement le mot « machine ». Le texte de Meunier se termine en fait surtout par le « fragment d'un lexique composé d'après les oeuvres françaises d'Oresme », qui n'entend pas statuer définitivement sur le caractère de néologisme des termes relevés, mais seulement contribuer à l'histoire du vocabulaire en notant les termes rares, transcrits et peut-être créés par Oresme. Ce lexique comprend, à la page 187, la mention de l'adjectif « machinatif » et du substantif « machine » : « Machinatif, adj., machine s. f. s. Il n'est pas machinatif ne convoiteux.-la machine corporelle ou masse de tous les corps du monde ». C'est là sans doute que Littré puise son information, laquelle se trouve amplement reprise jusque dans les ouvrages les plus récents, qui continuent d'associer l'histoire du mot « machine » au travail du traducteur et commentateur d'Aristote. Le FEW (p. 10) donne ainsi comme première occurrence connue celle que contient la traduction d'Oresme, en lui conférant le sens d'« assemblage et construction du monde », glose par ailleurs correcte. Il en va de même dans Hatzfeld, Darmesteter et Thomas (p. 1437) : Machine s. f. [ETYM. Emprunté du latin machina, méchanè, engin. (Cf. Mécanique)//XIVe s. La machine corporelle, ORESME, dans Meunier, Essai sur Oresme.] Et l'on trouve répercutée cette même information dans la partie historique et étymologique de l'article MACHINE du TLF (p. 109) : A. 1. 1377. Machine corporelle « ensemble d'éléments ayant la complexité d'une machine » (Oresme, Livre du ciel et du monde, éd. A. A. Menut, p. 520, 55). La glose est peu satisfaisante, puisqu'elle fait du trait de complexité le noyau sémantique du syntagme « machine corporelle », lequel concerne en fait le monde en tant qu'il est créé à partir des éléments premiers, et divisé en deux régions distinctes. Il est par ailleurs hasardeux de faire référence à un concept de machine fondé sur le trait sémantique de complexité alors que rien ne garantit au XIV e siècle l'existence d'un tel concept, même revêtu d'une terminologie latine. Quelle que soit la valeur de cette assignation, il n'en reste pas moins vrai qu'elle revient à inscrire l'acclimatation de « machine » dans le processus de latinisation du français décrit par F. Brunot dans le chapitre concernant le latinisme de son Histoire de la langue française 2 : « à partir du moment où on cherche à donner en français une littérature sérieuse et savante, il était inévitable qu'on cherchât dans le latin un modèle et un trésor ». Pour les clercs, « la peine était beaucoup plus grande de penser ou d'imaginer en langue vulgaire l'équivalent d'un vocable latin que de calquer ce vocable en lui donnant une terminaison française. C'était une terminologie à inventer : le plus simple était de l'emprunter au latin »
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Citer

Jean-Luc Martine. Le lexique de la machine et l'organisation des savoirs : science et intelligence pratique. Le Français préclassique (1500-1650), 2007. ⟨halshs-01910458⟩
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Dernière date de mise à jour le 21/04/2024
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