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Article dans une revue Diderot Studies Année : 2009

Art, machine et magie dans l'essai sur la peinture

Résumé

La machine du tableau A la fin du Salon de 1761, juste avant le morceau sur L'accordée de village, Diderot s'emporte : Reste, mon ami, pour m'acquitter de ma promesse à vous dire un mot des morceaux de Casanove ; mais que vous dirais-je de sa bataille. Il faut la voir ; comment rendre le mouvement, la mêlée, le tumulte d'une foule d'hommes jetés confusément les uns à travers les autres ; comment peindre cet homme renversé qui a la tête fracassée et dont le sang s'échappe entre les doigts de la main qu'il porte à sa blessure ; et ce cavalier qui, monté sur un cheval blanc, foule les morts et les mourants. Il perdra la vie avant que de quitter son drapeau. Il le tien d'une main ; de l'autre il menace d'un revers de sabre celui qui lui appuie un cou de pistolet, pendant qu'un autre lui saisit le bras ; comment sortira-t-il de danger. Un cheval tien le sien mordu par le col ; un fantassin est prêt à lui enfoncer sa pique dans le poitrail. Le feu, la poussière, et la fumée éclairent d'un côté et couvrent de l'autre une multitude infinie d'actions qui remplissent le vaste champ de bataille. Quelle couleur ! quelle lumière ! quelle étendue de scène. Les cuirasses rouges, vertes ou bleues, selon les objets qui s'y peignent, sont toujours d'acier. C'est pour la machine, une des plus fortes compositions qu'il y ait au Salon. (DPV, XIII : 162-163) Il y a assurément des imperfections dans cette bataille. Mais, avec tous ses défauts, c'est « un grand et beau tableau » (DPV, XIII : 164), l'un de ceux dont il faut voir la multitude infinie d'actions. Voilà bien une scène capable d'arrêter Diderot, pour qui « il faut aux arts d'imitation quelque chose de sauvage, de brut, de frappant et d'énorme » (Essai sur la peinture, DPV, XIV : 56). La « secousse violente », la « sensation profonde » (DPV, XIV : 62) qu'elle produit, sa capacité à susciter des « fantômes » qui obsèdent, tout signale la force d'une grande idée et la fécondité d'un grand peintre : « Ce Casanove est dès à présent un homme à imagination, un grand coloriste ; une tête chaude et hardie ; un bon poète ; un grand peintre » (Salon de 1761, DPV XIII : 164). Comme souvent lorsqu'il est en présence de ce qu'il aime, Diderot s'embrase. Son texte, qui s'attache moins à représenter la toile qu'à imiter les effets qu'elle produit, devient haletant, palpitant, vivant. Le lecteur moderne continuera d'éprouver les effets de la puissante vitalité qui passe de la toile à la notice que Diderot lui consacre. Mais aussi, malgré la force verbale, il ressentira sans doute la petite irritation attachée à la présence d'un mot, inattendu et passablement énigmatique. Que vient faire là cette machine ? On sait que Diderot utilise souvent « machine » dans son discours sur les arts. L'amateur dira volontiers « Passons ». Mais la critique est mesquine. En tournant un peu le dos aux tumultes de l'art et aux enthousiasmes du salonnier, mais pour peut-être y revenir, c'est à la petite incongruité du mot « machine » que nous voudrions nous attacher. Lorsque Diderot l'emploie, ici et ailleurs, et bien qu'il en retravaille les valeurs en fonction des paramètres de son écriture, comme il le fait en général pour les termes techniques qu'il s'approprie 1 , il n'innove pas immédiatement. Il ouvre plutôt sa terminologie au lexique de son temps en y introduisant cet emploi pictural de « machine » qui ne laisse pas de nous paraître surprenant 2. Le mot « machine », dans ce contexte, appartient en effet à la langue particulière de la peinture, à laquelle on sait que Diderot se montre attentif. Laissons donc un moment Diderot et ouvrons lexiques et dictionnaires. Sans aucune prétention à l'exhaustivité, on peut 1 « Je m'amuse à employer les termes de l'art, du moins comme je les entends »-cf. Pensées détachées sur la peinture, Paris, Hermann, 1995, p. 443. 2 Annie Becq a consacré naguère un bel article à cette acception : « La machine dans le discours esthétique de l'âge classique », RHLF n°186-187, La Machine dans l'imaginaire (1650-1800), Actes du colloque de Lille des 11 et 12 décembre 1981, p. 269-278, Lille, 1982-3.
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Citer

Jean-Luc Martine. Art, machine et magie dans l'essai sur la peinture. Diderot Studies, 2009, XXXI, pp.315-343. ⟨halshs-01910449⟩
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Dernière date de mise à jour le 21/04/2024
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