“Let’s go see the madmen”: le méta-spectacle de la folie sur la scène jacobéenne

Pascale Drouet (1)

1 FoReLL [Poitiers] - Formes et représentations en linguistique et littérature [EA 3816]

Rivalisant avec les théâtres, le célèbre asile de Bedlam ouvre ses portes aux curieux en quête de sensationnel et en mal d’effroi dans l’Angleterre d’Elisabeth I — la folie engendre son propre spectacle et tout spectacle peut avoir un but lucratif. Riche d’un potentiel dramaturgique, la folie devient naturellement porteuse de méta-théâtralité lorsqu’elle est mise en scène. En abordant quelques pièces jacobéennes — The Honest Whore, part I (1604) de Dekker, The Duchess of Malfi (1614) de Webster, et The Changeling (1622) de Middleton et Rowley —, on s’interrogera sur l’instrumentalisation des fous, sur l’exploitation de leur corps hors norme et de leur comportement spectaculaire, sur la récupération (dramaturgique et idéologique) d’un spectacle de la folie s’inscrivant dans une économie ambiguë du divertissement (qui dénonce mais distrait en même temps). On distinguera plusieurs niveaux de représentation et d’analyse. Premier niveau : les scènes inspirées de Bedlam sont généralement représentées pour dénoncer le dysfonctionnement de l’asile, avec une griffe satirique plus ou moins féroce. Deuxième niveau : ces scènes permettent une mise en abyme du châtiment qui enrichit la structure de la pièce; on montre comment on punit les fous indisciplinés, mais aussi comment on se sert de ce spectacle effrayant pour tenir en respect d’autres personnages (qui en sont les spectateurs forcés), voire pour les supplicier ; on s’oriente vers une sorte de théâtre de la cruauté avant la lettre. Troisième niveau : cette mise en abyme s’inscrit elle-même dans une économie du divertissement (plus ou moins sadique, à coup sûr naïvement « exotique ») dont se délectent d’autres personnages et dont rient ou s’effraient les véritables spectateurs ; le méta-spectacle de la folie vient alors s’inscrire dans la lignée des intermèdes grotesques et des anti-masques. Enfin, on se demandera si la mise en scène de la folie (même comme tentative de sortir du « grand renfermement » et de suggérer une réintégration symbolique à la société) peut dépasser la dialectique du débordement et de la canalisation, et déboucher sur la question éthique du « spectacle-limite », c’est-à-dire sur la question des limites de la représentation.

Mots clés: théatre anglais

Domaines: Littératures

Pascale Drouet. “Let’s go see the madmen”: le méta-spectacle de la folie sur la scène jacobéenne . Shakespeare en devenir, 2009, Folie et théâtralité, 3, n.p. ⟨halshs-01823011⟩