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Article dans une revue Libération Année : 2005

Il faut que la nuit devienne un espace d'égalité

Résumé

La ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre est une des figures émergentes, de la ville contemporaine. Elle interroge nos modes de vie et nous oblige à changer de regard pour aborder nos agglomérations en termes de rythmes et d'horaires. Confrontés à ces évolutions, les chercheurs, les techniciens et les élus ne peuvent plus faire l'économie de la nuit et commencent à s'y intéresser à travers la lumière, l'insécurité ou le tourisme urbain.La première chose à faire est de mettre en place les conditions d'un vrai débat public sur la ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de retrouver des marges de manœuvre collectives. Violences, pannes d'électricité géantes, mort de sans-abri, accidents de la route, son et lumière, soldes, nuits blanches ou nocturnes commerciales: inquiétante ou festive, la nuit s'invite dans notre actualité diurne et, pourtant, nous n'avons pas encore pris la mesure des conséquences possibles sur notre qualité de vie. Pis, le temps en continu des réseaux et de l'économie structure déjà le rythme de nos vies et de nos villes. Et nous ne l'avons pas choisi. Bien des facteurs qui poussent dans le sens d'une ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre sont d'ordre sociétal et les décisions dépassent les seilles compétences des collectivités territoriales et l'échelle locale où s'activent quelques « bureaux » ou « maisons du temps ». C'est un enjeu de gouvernance bien plus large. La seconde proposition est de réfléchir au « droit à la ville » de jour comme de nuit, qui passe par le droit à la mobilité. Puisque les députés ont autorisé le travail de nuit, nous avons le devoir de repenser les horaires de transport et des services (crèches...), au moins en soirée et le matin, sous peine d'accroître encore les inégalités, l'insécurité et les difficultés quotidiennes des plus fragiles.La dernière proposition est de travailler autour de la notion d'« égalité urbaine ». La nuit, l'espace collectif et l'offre urbaine se réduisent avec la fermeture des lieux publics (commerces, gares, lieux de culte ou parcs). Plus on avance dans la nuit, plus les différences centre-périphérie sont criantes, tant en matière d'éclairage que de services. La nuit n'est pas l'espace de liberté qu'ont rêvé les artistes : le système est amputé, l’offre réduite et concentrée, les coûts élevés, la mixité illusoire et la citoyenneté limitée. Les besoins et les pistes ne manquent pas, notamment dans les transports : extension des horaires, nouvelles lignes, transport à la demande pour les salariés ou les fêtards. Il faut améliorer l'urbanité et l'hospitalité. Peut-on parler de ville à propos d'une commune où il n'est plus possible de se restaurer après 22h30? Où peut-on encore s'asseoir, boire ou uriner gratuitement dans la ville, de jour comme de nuit ?En termes de conciliation ou de sensibilisation, les chartes de nuit entre établissements, collectivités et usagers, comme à Lille, ou, à Amsterdam, l'expérience du maire de nuit (qui représente la question nocturne dans les débats relatifs à la ville) sont positives. Pour la tranquillité publique, on peut réhabiliter le veilleur de nuit avec sa cape et sa lanterne, comme à Turckheim, en Alsace, s'intéresser aux « correspondants de nuit » qui, à l'image des city guardians de Westminster, à Londres, circulent la nuit et assurent la tranquillité publique. On peut aussi copier les « marches nocturnes participatives » des femmes canadiennes ou suivre quelques tentatives réussies de mise en lumière d'espaces publics ou de quartiers périphériques. Au lieu du couvre-feu, il faut proposer aux jeunes désoeuvrés des loisirs nocturnes adaptés et des équipements ouverts plus tard (gymnases, centres sociaux...), comme dans les Asturies, en Espagne, où la délinquance a nettement diminué. On ne doit pas oublier la souffrance et l'isolement, plus dure la nuit que le jour, en intensifiant la solidarité et l'écoute, à l'exemple du travail du Samu social ou d'un lieu comme la Moquette, à Paris.Cette ville vingt -quatre heures sur vingt-quatre n'est pas un idéal. C'est une évolution possible de nos environnements urbains, artificialités qui échappent de plus en plus aux rythmes de dame nature. D'autre part, il n'y a pas une ville universelle, mais des villes avec leurs «couleurs temporelles» propres qui dépendent de la latitude, du climat, de la culture ou de la législation. Si la tendance générale est à l'extension du domaine du jour, on ne vit cependant pas la nuit de la même façon à Malmö qu'à Barcelone où la vie nocturne commence vers 0 h30 et la déambulation se poursuit jusqu'au matin. Penser la ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre n'implique pas de soumettre l'ensemble de la cité à une activité perpétuelle. L'effort peut se porter sur des « oasis de temps continu » offrant, de loin en loin, des grappes de services publics et privés (commerces, cabinets médicaux, crèches...), assurant le droit à la ville et installées sur des lieux de flux accessibles sans gêner la ville qui dort.
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Dates et versions

halshs-01773122, version 1 (20-04-2018)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01773122 , version 1

Citer

Luc Gwiazdzinski. Il faut que la nuit devienne un espace d'égalité. Libération, 2005. ⟨halshs-01773122⟩
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Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
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