Sur la conjugaison de la théorie et de la pratique éducative : le tact pédagogique chez Johann Friedrich Herbart et sa successeure Rotraud Coriand

Jean-François Goubet (1, 2)

1 ESPE LNF - École supérieure du professorat et de l'éducation - Lille Nord de France
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Sur la conjugaison de la théorie et de la pratique éducative : le tact pédagogique chez Johann Friedrich Herbart et sa successeure Rotraud Coriand Jean-François Goubet Dans son ouvrage Allgemeine Didaktik. Ein erziehungstheoretischer Umriss 1 [Didactique générale. Une esquisse de théorie éducative], Rotraud Coriand en vient à parler trois fois du thème du tact pédagogique, un thème venant de Herbart lui-même. Le tact pédagogique a premièrement affaire à la conduite de la classe (class management [gestion de classe]). Le tact pédagogique se présente à l'articulation du gouvernement herbartien, qui vaut pour le présent, et de l'instruction, qui regarde vers l'avenir et se soucie de former les élèves. Un bon enseignant sait comment il peut organiser son activité de sorte à ce que les perturbations disparaissent le plus possible, tandis que le temps d'apprentissage de chaque élève s'accroît. A cet égard, le tact pédagogique apparaît comme la compétence professionnelle prenant en charge les présupposés d'une instruction réussie. C'est avec droit que Coriand résume ainsi cet état de fait : « La capacité d'enseignants professionnels, mise au défi de manière permanente, à instruire une classe et/ou à mettre en oeuvre simultanément la gestion de classe et l'instruction fait penser à la catégorie herbartienne de 'tact pédagogique' » (p. 63). On voit ici que le métier d'enseignant n'est nullement unilatéral. Une prédilection trop marquée pour une discipline, une simple expertise en conduite de classe laissent de côté des aspects importants de la profession. Un enseignant doit promouvoir en même temps le gouvernement 2 et la culture. Oublie-t-il le premier, sa classe en sera moins tranquille et l'instruction presque impossible ; néglige-t-il la seconde, il n'est alors pas à la hauteur de sa tâche d'éducateur. La difficulté du métier réside sûrement dans l'exigence contradictoire d'avoir un oeil sur le présent et, simultanément, un autre sur l'avenir. Il faut à l'enseignant avoir une sorte d'heureux strabisme lorsqu'il veut, à partir du présent, s'approcher de ce à quoi il vise. Il ne doit avoir en vue que le futur proche, le plus prochain, pour tenir ensemble les deux composantes. Lorsque le philosophe regarde le futur éloigné comme avec une lunette, et que l'animateur s'attache à l'ordre ici et maintenant, son métier met l'enseignant dans une nécessaire position intermédiaire. 1 Stuttgart, Kohlhammer, 2015. Nous traduisons les passages dans le texte, en indiquant les pages de la version originale. Nous citons également les textes de Herbart dans des éditions allemandes de référence. Le lecteur d'expression française pourra quelquefois trouver des traductions françaises ou des commentaires de ces passages dans deux ouvrages : J.-F. Goubet, Des maîtres philosophes ? La fondation de la pédagogie générale par l'Université allemande, Paris, Classiques Garnier, 2012, et J. F. Herbart, Textes pédagogiques choisis, présentation, traduction et commentaire par J.-F. Goubet, Paris, Fabert, 2017. 2 Avec ce terme quelque peu vieilli, je souhaite m'appuyer sur Herbart. Par la suite, je ferai dès que ce sera possible des renvois aux ouvrages de Herbart, afin que l'on aperçoive la connexion entre cette tradition philosophico-pédagogique et les considérations actuelles en sciences de l'éducation. Sur le gouvernement, cf. par ex. l'Umriß pädagogischer Vorlesungen (Johann Friedrich Herbarts pädagogische Schriften mit Einleitungen,

Domaines: Philosophie; Education

Jean-François Goubet. Sur la conjugaison de la théorie et de la pratique éducative : le tact pédagogique chez Johann Friedrich Herbart et sa successeure Rotraud Coriand. 2018. ⟨halshs-01702683⟩