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Chapitre d'ouvrage Année : 2016

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Ce que nous enseignent les débats actuels sur l’euthanasie

Résumé

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Ce que nous enseignent les débats actuels sur l'euthanasie Anne-Lyse CHABERT La pensée peut-elle s'abstenir encore de penser l'Etre, quand celui-ci, après être resté scellé dans un long oubli, s'annonce au moment présent du monde par l'ébranlement de tout étant ? Heidegger, Lettre sur l'humanisme 1 Les débats sur la fin de vie résonnent aujourd'hui avec une acuité sans précédent : les partisans et pourfendeurs de la légalisation de l'euthanasie se contredisent avec toujours plus de véhémence 2. Mais nous ne sommes ici-bas qu'« entre nous », humains contraints de façonner des lois humaines et donc humainement imparfaites. Aucune transcendance, d'origine morale ou divine, aucune digue protectrice en dehors de nous-mêmes et de l'éthique que nous déployons n'est en mesure de contenir nos angoisses et de freiner les excès de notre époque. Comment se fait-il alors que le problème de l'euthanasie, problème si moderne, prenne autant d'ampleur de nos jours ? Face aux revendications toujours plus criantes d'une meilleure qualité de vie se font désormais entendre des exigences quant à la qualité de la mort-la mort de l'autre d'abord, dans la mesure où ce n'est que par son intermédiaire que je peux envisager la mienne. En effet, si la majorité des individus souhaiteraient aujourd'hui terminer leurs jours chez eux, sereinement et entourés des leurs, la plupart la terminent à l'hôpital, loin de leurs repères intimes et entourés la plupart du temps d'un personnel soignant interchangeable. La question la plus brûlante est celle du moment du départ, de l'agonie, surtout quand elle se prolonge et qu'elle est source de souffrances : doit-on tolérer une fin de vie pénible pour autrui, ou au contraire faire en sorte de ne pas laisser une souffrance perdurer, lorsqu'elle est considérée par le corps médical comme inutile, surtout quand le sujet est lui-même demandeur d'un geste létal 3 ? Le débat nous requiert sans appel : faut-il ou non légaliser l'euthanasie ? Mais qu'implique en fait une position pro ou anti-euthanasie dans nos temps modernes ? Quelles postures sous-tendent ces positions par rapport à la question de la mort en général, ou de la vie, et du sens qui lui est accordé ? Une réponse catégorique face au débat sur la fin de vie peut-elle véritablement aboutir de manière raisonnable ? L'objectif de cet article n'est pas de prendre position par rapport au débat actuel, mais plutôt de tenter de déceler ce qui se joue sous les polémiques médiatiques récentes concernant la fin de vie. Revendiquer ou contester la légalisation de l'euthanasie, c'est déjà défendre de manière sous-jacente des postulats quant à notre condition d'être humain sur la terre. Ces postulats sont-ils alors cohérents entre eux et avec la réalité de notre présent ? Comme l'a montré Durkheim, la volonté du suicidaire, dont le souhait est équivalent à celui du patient qui demande l'euthanasie, n'est pas un fait qui relève de la volonté seulement individuelle, même si son foyer est effectivement l'individu. Cette volonté relève surtout de la collectivité sociale, indirectement : « C'est la constitution morale de la société qui fixe à chaque instant le contingent des morts volontaires » 4. Il n'est pas surprenant que des sociétés qui considèrent aujourd'hui certaines vies comme « déclassées » et délivrent donc implicitement le message que ces vies deviennent encombrantes pour le reste de la collectivité, suscitent une demande de mort accrue de la part des individus qui se reconnaissent dans ces critères. Dans nos sociétés qui ressassent de manière lancinante les seuls idéaux de rapidité et d'efficacité, quelle place peut alors trouver l'individu vulnérable ? Ne lui renvoie-t-elle pas en permanence sa position de persona non grata perturbant l'ordre social aux niveaux économique, politique, au niveau de l'entourage et surtout de la famille ? Il n'est que de voir comment l'image de la mort est véhiculée par nos sociétés modernes, ou comment ces mêmes sociétés écartent cette réalité de la pensée des individus. La mort semble être un tabou social prégnant, peu évoquée avant les âges qui précèdent la vieillesse. Les rites sont escamotés, le temps du deuil est raccourci, semblant paradoxalement orchestr é 1 Martin Heidegger, Lettre sur l'humanisme, texte allemand traduit et présenté par Roger Munier, Paris : Aubier Montaigne, p. 141. 2 Le mot euthanasie, du grec eu, « bien » et thanatos, « mort », a vu son sens évoluer avec le temps. Chaque société semble s'être forgé une conception singulière de la « bonne mort ». Aujourd'hui, le terme a été infléchi et se réfère directement au geste d'assistance vers une mort imminente. On peut considérer que le mot recouvre trois actions fondamentalement différentes : le refus de l'acharnement thérapeutique (euthanasie passive) ; le soulagement de l'agonie (euthanasie active) ; le fait de donner délibérément la mort à un malade, soit à sa demande, soit après une délibération familiale et/ou médicale. 3 Notre propos se focalise sur les cas les plus problématiques, ceux dont parle Hans Jonas comme ceux des cas les plus « torturants » : ce sont « ceux des patients plus ou moins « emprisonnés » par exemple à l'hôpital, parvenus au stade final d'une maladie mortelle, dont la détresse physique assigne à d'autres personnes un rôle d'auxiliaire pour réaliser leur choix de la mort, voire dans le cas extrême, un rôle de substitut pour opérer ce choix. » Hans Jonas, Le Droit de mourir,

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Citer

Anne-Lyse Chabert. Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Ce que nous enseignent les débats actuels sur l’euthanasie. Emmanuel Hirsch. Fins de vie, éthique et société, Erès, pp.674-681, 2016. ⟨halshs-01515464⟩
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