« Chanter l’absence, louer le retour » - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue cArgo - Revue internationale d'anthropologie culturelle et sociale Année : 2017

« Chanter l’absence, louer le retour »

Sandra Bornand

Résumé

Au Niger, en pays zarma, si l’expérience de la migration est tue par les migrants de retour, elle est en revanche mise en discours par les femmes qui, elles ne partent généralement pas. Par leurs chants, les femmes qui ne sont pas des chanteuses professionnelles mais vivent par procuration la migration de leurs époux, prétendants, frères ou voisins, célèbrent un migrant conquérant et pourvoyeur de richesses, à l’image du guerrier loué par les griots généalogistes, ramenant de ses campagnes esclaves et bétails. Que ce soit tous les soirs sur la place durant la saison sèche ou de jour dans une concession lors d’un mariage – pour les amies, encore célibataires, de la jeune mariée – que ce soit une fois par année sur la place publique quand on célèbre les rondeurs d’une femme (« fête de la graisse ») ou tous les jours dans la cour pour les femmes mariées, elles chantent en fonction des situations et de leurs envies propres. Elles participent par leur éloge du migrant qui part, puis revient après avoir « réussi », à la construction d’un « modèle » masculin. Mais elles chantent aussi l’attente, parfois déçue, des jeunes filles comme des épouses qui espèrent le départ ou le retour d’un amoureux ou d’un mari. Ces paroles codifiées – car émises dans des situations spécifiques, dans le respect des normes génériques et transmises de génération en génération – leur permettent ainsi d’exercer une action sur une situation qui leur échappe : par la construction tout d’abord d’un imaginaire migratoire collectif et partagé (notamment l’évocation de cet ailleurs où vivent durant des périodes plus ou moins longues les migrants), elles s’approprient tout d’abord une expérience qu’elles ne peuvent généralement vivre que par procuration. C’est sur la base de cette « autre » vie idéalisée qu’elles peuvent exprimer les différents sentiments liés à la migration du prétendant ou de l’époux, l’attente générant espoir, crainte, désillusion ou colère. En choisissant un chant plutôt qu’un autre, la soliste impose au chœur le registre qu’elle souhaite exprimer. Ces chants sont d’ailleurs aussi pour elles une occasion d'exercer une influence sur les hommes, critiquant celui qui reste au village ou reste trop longtemps dans ces pays côtiers, et louant celui qui part et revient son bagage chargé de cadeaux. A ces injonctions s'en ajoute pourtant une autre, opposée : celle des mères qui, de leur côté, louent ce fils qui ne partira pas. Cette incitation reste le plus souvent sans réponse, car les jeunes hommes – dès l’adolescence – ne songent généralement qu’à une chose : migrer comme l’ont fait avant eux leurs pères et leurs pairs.
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-01486514 , version 1 (09-03-2017)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01486514 , version 1

Citer

Sandra Bornand. « Chanter l’absence, louer le retour » : Discours sur les migrants en pays zarma (Niger). cArgo - Revue internationale d'anthropologie culturelle et sociale, 2017, La monnaie en relation (5). ⟨halshs-01486514⟩
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