« Ils ont combattu beaucoup de Zarma, mais cela je ne vous le dirai pas… » - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2016

« Ils ont combattu beaucoup de Zarma, mais cela je ne vous le dirai pas… »

Sandra Bornand

Résumé

I was once offered by a jasare — a genealogist and historian griot — to meet the descendants of a great warrior; he wanted to tell me the former’s story and glorious feats on Ghanaian soil. Both the jasare and I were astonished to find out that the men of that lineage didn’t know this ancestor, no matter how famous he was. Only those who had moved to Ghana had heard his name and knew he came from their actual village. Both my survey of the jasare in the songhay-zarma region of Niger and that peculiar case where transmission of memory seems lacking, have led me to be deeply concerned about the issue of memory ; therefore, I wish to develop four different aspects ; though, what is at stakes here goes far beyond Zarma society. 1)What kind of learning process do the jasare(s) provide for? I shall first describe the memory process of recalling ancestors and narratives, starting from my own learning and jasare metadiscourse. Then I shall deal with the role and experiences of the jasare. Finally, I will link these practices and representations to research in the field of psychology and cognitive anthropology on « semantic memory » and « autobiographical memory ». 2)Putting in perspective this learning process, situated speaking (enunciation) shows how central the genealogical list is. If it forms a mnemonic basis for the jasare, its role is especially to spot a person out of the crowd, vouching him with historic importance by admitting him into a lineage, but above all into History. How then, shall omissions be considered? Either circumstantial or systematic, unwilling or deliberate, they are definitely meaningful; and when noticed, they are construed. Nevertheless, only the jasare’s metadiscourse lets us know. Is it the jasare’s agency that has to be understood here? 3)What does it mean for a dominating social group, as M. Bloch (1995) puts it, « to delegate its historic memory of the past » and its public enunciation to an inferior social group such as the jasare, considering the former cannot claim to power? According to M. Maurice Halbwachs (1925) memorization occurs in social environments. But when a society is changing, its environment does the same ; and what was considered essential to remember has become meaningless and can create conflict ; similarly to what is happening to the jasare whose presence during the ceremonies is disputed. Thus, how shall we as anthropologists question these changes ?
Un jour, un jasare – griot généalogiste et historien zarma – avec qui je travaillais, me proposa de rencontrer les descendants d’un grand guerrier dont il voulait me narrer le récit des exploits en terre ghanéenne. Quelle ne fut pas ma surprise et celle du jasare de découvrir que les hommes de ce lignage ne connaissaient pas cet ancêtre pourtant fameux et que seuls ceux partis en migration au Ghana avaient entendu son nom et savaient qu’il venait de leur village ! Partant de ce cas particulier où la transmission mémorielle semble étrangement faire défaut et de mes enquêtes sur les jasare en région songhay-zarma (Niger) qui m’ont amenée à m’intéresser à la question de la mémoire, je souhaite développer ma réflexion autour de quatre points, dont l’enjeu dépasse, comme je le montrerai, le seul cadre de la société zarma : 1) Quels sont les types d’apprentissage mis en place par les jasare ? Il s’agira d’abord de décrire les processus de mémorisation des appels d’ancêtres et des récits, à partir de métadiscours des jasare et de mon expérience personnelle pratique de cet apprentissage. Puis j’aborderai le rôle que peut jouer le vécu du jasare. Enfin je relierai ces pratiques et représentations aux recherches en psychologie et anthropologie cognitives sur la « mémoire sémantique » et la « mémoire autobiographique ». 2) Mettre en perspective cet apprentissage et les énonciations en situation montre la place centrale de la liste généalogique. Si elle constitue une base mnémonique pour le jasare, elle a surtout pour fonction de faire ressortir une personne de la foule et de lui donner une épaisseur « historique » en l’inscrivant dans un lignage mais plus encore dans l’Histoire. Comment alors considérer les cas d’omission ? Que celles-ci soient circonstancielles ou systématiques, involontaires ou délibérées (il est difficile de le savoir sans un métadiscours du jasare lui-même à leur propos), elles sont signifiantes et, quand elles sont remarquées, interprétées. Peut-on y voir l’expression de l’agency du jasare ? 3) Que signifie, pour un groupe social dominant, de déléguer « sa » « mémoire historique du passé » (pour reprendre une expression de M. Bloch, 1995) et l’énonciation publique de celle-ci à un groupe social inférieur, les jasare, qui ne peut revendiquer le pouvoir ? 4) Comme l’écrit Maurice Halbwachs (1925), la mémorisation est une construction qui s’opère dans des cadres sociaux. Or quand une société change, ces cadres se modifient et ce que l’on cherchait à tout prix à retenir n’est plus forcément signifiant aujourd’hui, et peut devenir l’objet de conflits, à l’image des jasare dont la présence au cours des cérémonies est contestée. Comment en tant qu’anthropologue questionner ces changements ?
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-01486510 , version 1 (09-03-2017)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01486510 , version 1

Citer

Sandra Bornand. « Ils ont combattu beaucoup de Zarma, mais cela je ne vous le dirai pas… » : Réflexions autour des processus mémoriels. Mémoire et souvenir en Afrique et dans la diaspora, ISOLA (International Society for the Oral Literatures of Africa), May 2016, Gainesville, États-Unis. ⟨halshs-01486510⟩
127 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More