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Chapitre d'ouvrage Année : 2016

Créer ou combattre la ségrégation ? Les politiques de discrimination territoriale positive

Résumé

"Les politiques de discrimination territoriale, en délimitant des territoires auxquels sont affectés des moyens spécifiques, sembleraient au premier abord avoir pour objectif de limiter les phénomènes de ségrégation, en luttant contre les inégalités sociales. En irriguant un quartier, ou un espace restreint, de dispositifs d'aide, de soutien, l'ambition des politiques de discrimination pourrait être de traiter les difficultés identifiées sur ces territoires, pour les ramener à une normalité urbaine (Brun, 2008). Pourtant, il apparaît que ces politiques de discrimination territoriale se traduisent par un rapport diversifié à la ségrégation, soit qu'elles cherchent à la faire disparaître, soit au contraire qu'elles la créent ou la maintiennent. La distinction entre ces formes d'action publique ségrégatives ou déségrégatives se fonde notamment sur l'appréhension de la nature des inégalités sociales. Ainsi, nous faisons l'hypothèse que les inégalités sociales vues comme un effet des écarts à la norme, comme la manifestation de handicaps (Salais, 2010 ; Desrosières, 2000 ; Estèbe, 2001), ou encore comme un défaut d'activation de capacités diverses, générent des politiques territoriales de nature différente. Au regard d'actions publiques issues de de politiques de discrimination territoriale dans plusieurs pays européens, nous nous proposons donc de dresser trois idéaux-types de rapports territoriaux aux inégalités sociales : l'espace-sas, l'espace-ressource, et l'espace-tri. Cette analyse s'appuiera sur des travaux relatifs à deux types de politiques de discrimination territoriale : d'une part, la pratique de priorisation de quartiers identifiés comme "en difficultés" (Roche, 2010) ; d'autre part, la création de sites de logements spécifiques à vocation d'insertion (Costil & Roche, 2012). Nous nous appuierons sur des enquêtes qualitatives (entretiens semi-directifs et analyse de la littérature grise administrative) menées sur les terrains suivants : tout d'abord des programmes de financement comme la politique de la ville en France dans le quartier Sémard à Saint-Denis, Soziale Stadt en Allemagne dans le quartier Kottbusser Tor à Berlin, ou un agenda 21 local en Italie dans le quartier Santa Croce à Reggio Emilia ; et un projet de village d'insertion à destination de populations roms d'autre part (Saint-Denis) ensuite. Nous serons également conduits à justifier la pertinence épistémologique de la comparaison de terrains à une échelle européenne, et de la confrontation de politiques de discrimination territoriale de nature différente, par création administrative d'un territoire ou par construction physique de celui-ci. Les idéaux-types identifiés distingueront notamment l'espace-sas du village d'insertion, objet d'une politique de ségrégation de la part des acteurs publics, dans une appréhension des inégalités sociales comme un enjeu de distance à une norme sociale (norme d'habitat, norme juridique reposant sur des titres de séjour), support de justification d'une pratique d'exception territoriale. L'expérience de Kottbusser Tor à Berlin, de Santa Croce à Reggio Emilia rend compte d'une approche territorialisée en terme d'espace-ressource : les inégalités sociales, perçues comme réversibles, font l'objet d'une action publique visant au rattrapage d'une situation moyenne, qui semble proche (en terme de santé, de situation d'emploi, de rapport à la lecture...) et repose sur l'activation de potentiels (Donzelot, Mevel, Wyveckens, 2003 ; Bacqué, Sintomer, Rey, 2005). Enfin la pratique de la politique de la ville à Sémard se traduit davantage par la création d'un espace-tri : l'action publique entreprise, en définissant les inégalités sociales comme des effets de handicaps, tend davantage à un tri des habitants présents (notamment via un projet de rénovation urbaine), dans l'objectif d'atteindre une meilleure répartition de ces handicaps dans l'espace urbain (Lelévrier, 2008 ; Tissot, 2007 ; Masclet, 2005). En interrogeant la relation opérée entre inégalités sociales et ségrégation urbaine (combattue ou créée), et notamment les conséquences de la définition de ce qu'est une inégalité sociale sur les mesures entreprises envers la ségrégation urbaine, nous serons donc conduits à examiner l'un des enjeux de la notion de discrimination territoriale : en quoi la territorialisation de politiques publiques relatives à la discrimination (Tissot & Poupeau, 2005) relève-t-elle d'une lutte uniforme contre les inégalités sociales ? Dans quelle mesure cette territorialisation contribue-t-elle ou pas à effacer l'enjeu des inégalités sociales pour s'intéresser à la seule limitation de la ségrégation urbaine et donc à la répartition de ces inégalités dans l'espace ?"

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halshs-01286276, version 1 (27-11-2017)

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  • HAL Id : halshs-01286276 , version 1

Citer

Elise Roche. Créer ou combattre la ségrégation ? Les politiques de discrimination territoriale positive. Hancock, Claire; Lelévrier,Christine ; Ripoll, Fabrice; Weber, Serge. Discrimimations territoriales : entre interpellation politique et sentiment d'injustice des habitants, L'Œil d'or, pp.141-154, 2016, Critiques et cités, 9782913661776. ⟨halshs-01286276⟩
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Dernière date de mise à jour le 20/04/2024
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