Cerveau et violence dans la mnémotechnique d'Anselme de Cantorbéry
Résumé
Entre 1077 et 1078, Anselme de Cantorbéry (1033 ou 1034-1109), bénédictin, compose le Proslogion, dans lequel, par le biais d’une démarche méditative, il entend formuler une expression du divin. Anselme procède par un inventaire méticuleux et organisé des divers attributs de Dieu, dans un contexte monastique où la méditation se pratique à partir d’un art de la mémoire rigoureux, permettant de localiser mentalement les différentes étapes du cheminement vers la connaissance. Or, la théologie d'Anselme est empreinte d'une angoisse cathartique liée à la fiabilité du façonnage de la mémoire et à la qualité aléatoire de l'irruption du souvenir : dans sa De vita Sanctus Anselmi, Eadmer, le disciple, ami et biographe d'Anselme note à plusieurs reprises qu'une intervention démoniaque empêche parfois la mémorisation de ce dernier. Eadmer assimile également l'impossibilité qu'a Anselme de se souvenir à un malaise mélancolique. Pour remédier à la labilité de la mémoire, qui peut être affectée de l'intérieur par les aléas de l'émotion comme infectée de l'extérieur par une intrusion dangereuse, Anselme a recours à la discipline du corps et à la rigueur de l'ascèse. Deux telles pratiques apparaissent alors comme deux formes de violence adjuvante, salvatrice : parce qu'elles tissent un lien étroit entre la réflexion du penseur et son propre corps, elle placent l'art de la mémoire au coeur de la conception du corps dévot comme corps souffrant.