Tracer la pénibilité : les acteurs de la santé au travail face à l’appréciation de l’usure professionnelle
Résumé
L’institutionnalisation de la pénibilité dans le cadre des deux dernières lois de réforme des retraites est passée par trois dispositifs : un droit à retraite anticipée pour les salariés, une fiche individuelle de suivi d’expositions professionnelles pour les employeurs, une incitation à négocier pour les partenaires sociaux. L’argument défendu dans ce papier est qu’ils ont fait de cette institutionnalisation une normalisation paradoxale. La normalisation tient à ce qu’ils ont permis de temporiser la charge en menaces contenue dans la prise en compte de la pénibilité, en l’appréhendant à travers les catégories et modes opératoires éprouvés de la gestion des risques professionnels. Le paradoxe tient à ce qu’ainsi, ils l’ont suspendue aux problématiques traversant le champ de la santé au travail en même temps qu'ils contribuaient à leur acuité. L’analyse se propose de montrer dans ses dédales le travail des dispositifs, en se plaçant aux deux niveaux du processus d’institutionnalisation : d’abord, celui, politique, de l’élaboration législative des dispositifs ; ensuite, celui, administratif, de leur mise en œuvre. Dans cette succession , on comprend qu’un système de traçabilité des expositions sources de « la pénibilité » est posé comme l’horizon de son véritable traitement, idéal auquel, en attendant, les acteurs en charge des dispositifs sont bien obligés de fournir des palliatifs