De la maison à la ville dans l’Orient ancien : la ville et les débuts de l’urbanisation - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2013

De la maison à la ville dans l’Orient ancien : la ville et les débuts de l’urbanisation

Cécile Michel

Résumé

Les premières villes auraient vu le jour au Proche-Orient ancien, région également réputée par la Bible et les auteurs grecs pour avoir abrité de véritables mégapoles entre le Tigre et l’Euphrate, connues sous les noms de Ninive et Babylone. Les débuts de l’urbanisation ont donné lieu à de très nombreux écrits, depuis l’invention par G. Childe (1950), d’une véritable « révolution urbaine » qui aurait eu lieu au IVe millénaire av. J.-C. ; les définitions de la ville ont beaucoup varié selon la zone géographique considérée ou les critères pris en compte. Dans le cadre du Séminaire d’Histoire et d’Archéologie des Mondes Orientaux (SHAMO), archéologues, épigraphistes, historiens et spécialistes des images se sont réunis au cours de six séances au premier semestre 2011 pour analyser le phénomène d’urbanisation dans le Proche-Orient ancien, définir de la ville, ses composantes (ville haute, ville basse) et ses limites, en donner une typologie et préciser la place qu’y tenaient les vivants et les morts. La plupart des définitions de la ville se sont d’abord appuyées sur la taille de l’agglomération, fixant un seuil à partir duquel il est possible de parler d’une « ville ». Toutefois des analyses récentes modèrent l’importance de cette caractéristique chiffrée et préfèrent définir la ville comme un « centre peuplé de manière substantielle offrant des services spécialisés à une société plus vaste ». D’autres caractéristiques de la ville sont régulièrement mises en avant ; on doit y trouver des fortifications défensives, un secteur résidentiel, des temples dont celui de la divinité poliade, le palais royal pour l’élite, des zones d’artisanat pour une production spécialisée (céramique, métal, tissage, travail lapidaire…), une ou des places publiques, des principes axiaux liés à la cosmologie, et éventuellement des tombes avec du mobilier. H abuba Kabira serait le résultat d’une opération d’urbanisme réalisée à partir d’un projet préconçu : son plan fait figure de plus ancien plan de ville connu. Ces éléments, s’ils participent à la constitution d’une ville, n’en expliquent pas pour autant sa formation ; la ville serait le résultat du développement de réseaux de relations, via des échanges et une économie de plus en plus diversifiée et spécialisée. L a présence de nombreux textes découverts dans la ville d’Uruk témoigne de la concentration de scribes attachés à des activités politiques ou religieuses. La ville, centre économique, était lié à un arrière-pays avec lequel il entretenait diverses relations. L’examen de la documentation textuelle des IVe et IIIe millénaire indiquerait même l’existence en réseau des villes sumériennes (J.-J. Glassner). Au Bronze Moyen, on assiste à une série de fondations nouvelles fortifiées dans la région d’Ešnunna et plus tard en Babylonie ; H arrādum, sur le Moyen Euphrate irakien, avec son plan quadrangulaire, en serait l’un des principaux témoins (C. Kepinski). L a documentation écrite qui y a été exhumée permet de situer la ville dans son contexte géopolitique aux périodes paléo-babylonienne et médio-assyrienne, et d’en définir ses fonctions administrative, militaire, commerciale et culturelle. Alors que les séances du séminaire SHAMO se tenaient, paraissaient les premiers résultats de l’étude de J. Pournelle qui, à partir de l’étude combinée des relevés archéologiques et de photos prises par des satellites, s’est attachée à reconstruire les paysages de l’ancienne basse Mésopotamie et des marais. Selon cet auteur, les premiers gros villages et petites villes, telle Eridu, seraient apparus d’abord sur des buttes dans les marais, le long d’étroits passages pour bateaux, vers 4 000 av. J.-C., période coïncidant avec un pic de la montée des eaux dans le Golfe. Dans cet espace, plantes et animaux abondaient, et la nourriture et les matériaux de construction y étaient facilement accessibles. Vers 3 500 av. J.-C., on assiste à la naissance des premières villes sur les petits deltas en bordure nord du marais, telle Uruk. L a retraite des eaux dans le G olfe au III e millénaire aurait alors provoqué l’émergence d’une irrigation intensive, celle-ci n’étant donc pas à l’origine du processus d’urbanisation. Le vocabulaire permettant aujourd’hui de définir les premiers centres urbains doit être choisi avec précaution : « cité », « ville » et « village », correspondant respectivement aux termes anglais « city », « town » et « village ». Selon A. Westenholz, le village n’a pas de mur défensif, ni de divinité poliade ; un texte paléo-babylonien précise en outre : « il n’y a pas de devin dans un village (kaprum) ». Cet auteur propose d’utiliser le mot « town » pour une ville dépendante d’une cité-État ; chez les Sumériens, elle en aurait presque toutes les caractéristiques, mais serait dépourvue d’un palais royal. En effet, son dirigeant porte le titre de « sanga », chef du temple, et serait responsable envers le souverain de la capitale pour lequel Westenholz utilise le vocable « city ». Cette dernière renferme un palais. En français, le terme cité-État, créé au milieu du XIXe siècle pour la Rome du Ier siècle av. J.-C., est employé pour la Mésopotamie ; en revanche, il semble préférable de ne pas utiliser le mot « cité », trop connoté par la « cité grecque ». Le développement de réseaux d’échanges par les Sumériens au IVe millénaire a dépassé le strict cadre mésopotamien pour s’étendre en Syrie où l’urbanisation se développe à son tour au IIIe millénaire (« deuxième révolution urbaine »), et l’influence de la culture d’Uruk est même perceptible en Anatolie du sud-est où l’on a mis au jour d’importants centres proto-urbains, tel Arslan Tepe8. Dans le reste de la péninsule anatolienne, on relève différents processus d’urbanisation indépendants au Bronze ancien, avec des établissements de taille modeste et d’organisation binaire qui se développe dans une région dépourvue d’écriture et au pouvoir politique morcelé (B. Perello). Au Bronze moyen, le plateau anatolien vit le développement de villes fortifiées constituées d’une citadelle, avec palais et temples, et d’une ville basse construite de maisons à deux niveaux en briques sur fondations en pierres, sur le modèle de Kültepe, au nord-est de Kayseri, dont la stratigraphie a servi d’échelle chronologique de référence pour le plateau anatolien pour la première moitié du IIe millénaire av. J.-C. La ville basse, habitée par des Anatoliens, des étrangers et une importante communauté de marchands assyriens, a été définie, à tort, selon les modèles de colonie, puis de diaspora marchande, et désignée par le terme kārum (comptoir de commerce) ; toutefois, les contours de la ville basse, encore inconnus, ne coïncidaient vraisemblablement pas avec le kārum (C. Michel). Au Levant méridional, on relève un processus d’urbanisation original aux âges du Bronze et du Fer où l’on assiste au développement de plusieurs centres de taille plus réduite, indépendants les uns des autres, qui interagissent avec des groupes tribaux ; on observe un phénomène similaire en Syrie du Nord ou en Iran (P. de Miroschedji). Les fortifications figurent parmi les principaux éléments des villes du Proche-Orient ancien, elles en dessinent les limites et sont représentées avec force détails sur les bas-reliefs néo-assyriens (L. Bachelot). Il s’agit d’une série d’éléments identifiés par l’archéologie et significatifs du fait urbain dans la documentation textuelle. L a répartition des sites fortifiés par types prédéfinis, intégrés à l’évolution géopolitique du Proche- Orient ancien permettent, entre autres, d’appréhender les différentes étapes de l’évolution urbaine (S. Rey). À Mari, la mise en place d’une ligne-double de défense construite pendant la ville II coïncide avec la deuxième révolution urbaine ; à la fin du III e millénaire, une défense échelonnée est transformée en défense active pour accompagner les progrès de la poliorcétique (P. Butterlin). Au Ier millénaire, la complexité et la taille des remparts atteignent des niveaux alors inégalés afin de faire face à la multiplication des sièges issus des imposantes stratégies militaires des empires assyriens et babyloniens (A.-R. Castex et B. Gombert). Lieu de résidence pour les vivants, la ville pouvait également héberger les morts, ceux-ci étant enterrés sous les maisons comme à Ur, Ugarit ou Emar. Mais à l’Âge du Fer, en Syrie de l’Ouest, d’importants cimetières à crémation se situent hors de la ville comme à Karkemiš et à H ama. À l’inverse, à tell Banat, le site funéraire est à l’origine et a même structuré l’établissement urbain (A. Tenu). En Nabatéenne, à Pétra et Madâ’in Sâlih, l’espace des morts est distinct de celui des vivants, mais visible depuis l’agglomération urbaine grâce à d’imposants tombaux monumentaux où des groupes familiaux étaient ensevelis (N. Delhopital).
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Dates et versions

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Identifiants

  • HAL Id : halshs-01186386 , version 1

Citer

Cécile Michel (Dir.). De la maison à la ville dans l’Orient ancien : la ville et les débuts de l’urbanisation. Archéologies et Sciences de l'Antiquité, XI, pp.128, 2013, Cahier des Thèmes transversaux ArScAn, F. Joannès, ISSN 1953-5120. ⟨halshs-01186386⟩
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